Hector Berlioz (1803-1869)
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Berlioz ne cessa d’écrire : correspondance, critique musicale, livres, préfaces et programmes musicaux, livrets enfin (Lélio ou le retour à la vie, L'Enfance du Christ, La Damnation de Faust, Béatrice et Bénédict, Les Troyens). Son apport théorique le plus important est le Grand Traité d’orchestration et d’instrumentation modernes (augmenté d’un essai sur la direction d’orchestre), l’un des tout premiers du genre. Mais il fut moins théoricien que chroniqueur : en dehors de ses lettres prolifiques (plus de 4000 ont été retrouvées et sa Correspondance générale publiée chez Flammarion comprend huit volumes), et de ses Mémoires, publiés de façon posthume, le continent majeur est celui des articles de presse. Entre 1823 et 1863, il signa quelque neuf cents feuilletons qui représentèrent sa seule source stable de revenus : il ne fut en effet ni virtuose ni enseignant, les commandes furent rares et l’exécution de sa musique ne lui laissa que peu de bénéfices.
Ses premiers articles datent de 1823 et paraissent de façon sporadique dans Le Corsaire, Le Correspondant, la Berliner allgemeine musikalische Zeitung, la Revue européenne, L'Europe littéraire et Le Rénovateur ; Berlioz devient critique régulier en 1834, essentiellement au Journal des débats et à la Revue et gazette musicale. Ses articles sont d’une incroyable variété : les chroniques de concerts ou d’opéras voisinent avec les lettres ouvertes, les fantaisies littéraires, les articles biographiques (Marcello, Méhul, Paganini), ou encore les notices nécrologiques (Cherubini, Spontini, Chopin, etc.). Depuis son premier article, défendant la Vestale de Spontini, jusqu’au dernier, consacré aux Pêcheurs de perles de Bizet, Berlioz peint la vie musicale de son temps : concerts du Conservatoire, Opéra et Opéra-Comique, mais aussi concerts des journaux de musique, concerts de musique ancienne du prince de la Moskowa, concerts de Dietsch voués à la musique religieuse, séances musicales des grands interprètes (les pianistes Thalberg, Heller, Hallé, Doehler ou Alkan, le violoniste Bohrer, les violoncellistes Batta ou Franchomme, le clarinettiste Cavallini, etc.). Ses feuilletons évoquent les étoiles contemporaines (Liszt, Meyerbeer, Donizetti, Halévy, Verdi, Gounod, etc.) et les célébrités passées qu’il encense (Gluck, Beethoven, Spontini, etc.), mais aussi une foule de musiciens aujourd’hui oubliés : Ruolz, Mainzer, Clapisson, Monpou, Kastner, Balfe, Flotow, Bazin, Boisselot, Mermet etc. Au-delà du foisonnement de la vie parisienne, ses feuilletons abordent encore les principales publications contemporaines, les méthodes d’instruments, mais aussi diverses questions liées à l’enseignement, au diapason, à l’instrumentation, ou encore à la musique en plein air.
Au-delà de la motivation financière, Berlioz conçut d’emblée l’écriture journalistique comme une « arme » polémique « pour défendre le beau » (Mémoires, XXI). Il signa ses premiers articles dans Le Corsaire puis Le Correspondant au cœur de la guerre des dilettanti, pour plaider en faveur de la tradition lyrique française. Ce goût pour la polémique ne faiblit point lorsqu’il devint chroniqueur régulier aux Débats : il y mena de nombreuses croisades contre les fugues dans la musique religieuse, contre les vocalises dans le style dramatique, contre les directeurs de théâtre mercantiles, les chanteurs narcissiques, les chefs peu scrupuleux, les instrumentistes irrespectueux, le public sourd aux chefs-d’œuvre…
Les motivations de Berlioz étaient simultanément d’ordre médiatique. S’il ironisa sur les contraintes d’un métier qui le condamnait souvent à écrire « des riens sur des riens », s’il alla jusqu’à parler d’ « esclavage » dans une lettre de 1861 à son fils, et si sa correspondance révèle parfois des décalages entre ses opinions véritables et les jugements publiés dans la presse, il était en réalité très conscient de la puissance de sa position d’écrivain musical : il conçut ses articles comme une vraie « machine de guerre » afin de conquérir l’Opéra (CG2:336) ou comme un espace où défendre sa conception de la musique ; la publication de ses livres retravaillant ses articles antérieurs obéit à une semblable stratégie médiatique, destinée à valoriser son œuvre musicale (Voyage musical en Allemagne et en Italie, Les Soirées de l’orchestre, Les Grotesques de la musique, À travers chants).
Lecteur assidu des grands classiques comme des romantiques français et étrangers, Berlioz possède un style personnel et percutant qui n’a rien à envier aux écrivains de son temps. Maître dans l’art de la satire, il se montre le digne contemporain d’un Cham ou d’un Daumier. Sa plume excelle à éreinter tous les « grotesques de la musique » : son ironie mordante repose sur différents procédés qui vont de l’anecdote spirituelle au portrait-charge, en passant par les piques assassines. Par sa truculence, ses jeux de mots, ses contrastes, son style possède une dimension quasi shakespearienne : s’y rattache le goût pour une langue hybride, truffée de termes étrangers, métissée de citations dans la langue de Virgile ou de Shakespeare, cultivant parfois un vocabulaire insolite ou inventé, et une langue mêlant art oratoire, tournures épiques, images poétiques, goût assumé pour l’incongruité, le coq-à-l’âne ou la digression, les hyperboles enfin, à la mesure de la violence de ses émotions musicales.
Berlioz fait preuve d’un art consommé du récit qui éclate dans sa correspondance, dans ses nouvelles littéraires ou dans ses Mémoires, dans lesquels il se délecte à mettre en scène sa vie romanesque. Même dans ses textes non fictionnels, il donne souvent le primat à des structures narratives qui transforment toute chose – une lettre, un feuilleton musical, la description même de la musique – en micro-récit. Ces narrations sont souvent animées par des procédés de dramatisation, mais aussi par de brèves saynètes laissant place au style dialogué et tenant le lecteur en haleine. Ce goût et ce talent littéraires conduisit Berlioz à entrelacer sa musique de textes et de mots dont il fut également l’auteur : programmes (Symphonie fantastique), narrations (Le Retour à la vie), préfaces (Roméo et Juliette), livrets (La Damnation de Faust, Les Troyens, Benvenuto Cellini) proposent au fil de son œuvre différentes formes d’intrications entre les mots et les sons, très novatrices pour certaines. En reliant de façon aussi intime le melos et le logos, en mettant plus largement l’écriture au service de la composition, sous de multiples formes, en faisant enfin de son Traité d’orchestration son opus 10, Berlioz rend vaine toute séparation entre œuvre musicale et œuvre littéraire : toutes deux doivent s’appréhender de concert.
Emmanuel REIBEL
25/05/2020
Pour aller plus loin :
Alban Ramaut, « Investir les journaux à l’ère industrielle. Fatalité ou opportunisme ? L’exemple de Berlioz (1830-1838) », Revue musicale OICRM, vol. 7, no 1, 2020, mis en ligne le 1er avril 2020, https://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol7-n1/investir-les-journaux.
prénom | Hector |
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nom | Berlioz |
année de naissance | 1803 |
année de décès | 1869 |
identique à | http://data.bnf.fr/13891412/hector_berlioz/ |