Les Soirées de l'orchestre
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Le volume des Soirées de l’orchestre édité en décembre 1852 chez Michel Lévy-Frères inaugure la série des quatre écrits de Berlioz passés à la postérité. C’est donc le premier des ouvrages accomplis que Berlioz produit à partir des recyclages de ses feuilletons et de leur inscription définitive dans un cadre littéraire approprié. Ce livre intervient après le premier essai finalement délaissé du Voyage musical en Allemagne et en Italie (1844) dont Berlioz reprend ici certains fragments ; d’autres seront versés dans ses Mémoires qu’au demeurant il commence à rédiger à cette même période.
On sait par sa correspondance que le compositeur avait imaginé relancer le Voyage par une traduction anglaise en 1847 puis qu’il s’intéressa à une réécriture d’un « recueil de nouvelles » sans doute déjà avancé à la fin de l’année 1849 (CGIII, 29 décembre 1849). Ce projet n’aboutissant cependant qu’en 1852, il s’est naturellement enrichi de l’adjonction de nouveaux feuilletons. Quand on sait (CGIV, 7 décembre 1852) que Berlioz pouvait envoyer un exemplaire de son livre dès le 7 décembre, on s’étonne d’y trouver la recension du Beethoven et ses trois styles de Wilhelm von Lenz parue au Journal des débats le 11 août alors qu’il relisait les épreuves de son livre.
Il convient de noter le climat compliqué des années de la Deuxième République (1848-1852) comme celui chez Berlioz d’une nécessité de passer de nouveau à l’écriture, souci sans doute lié à un désarroi financier doublé d’une inquiétude morale et d’une solitude esthétique. Le romantisme ne semble-t-il pas alors également mis en déroute ? Berlioz ne situe pas pour rien l’action de ses récits dans un théâtre lyrique d’une ville civilisée du nord de l’Europe, et non pas à Paris.
Plus qu’un réemploi du matériau déjà existant, les Soirées représentent, dans la volonté d’approfondissement, une étonnante intelligence de l’art de la mise en scène – mise en situation – de ses textes littéraires. Avec une imagination étonnante et une culture subtile, le compositeur s’amuse à créer un objet lié à la tradition des récits, des veillées et des contes (le premier titre suggéré est au demeurant « Contes de l’orchestre »). Il transpose ce topos littéraire dans la sphère d’activité des musiciens. Ses modèles sont bien sûr Hoffmann et encore Boccace, sans parler des Mille et une nuits à l’origine de ces suites littéraires. C’est par conséquent un ouvrage qui tient de l’idée du pastiche et de celle du manifeste, tout en se permettant des outrecuidances prononcées. À la fois œuvre qui met en scène la vie des musiciens, au travers de personnages types liés de près ou de loin à la physiologie de leurs instruments, de leurs fonctions, et à leurs origines géographiques, ce volume place toujours la question des chefs-d’œuvre au cœur de son discours. C’est aussi le volume qui comporte le plus de fictions, parmi lesquelles "Le harpiste ambulant" (2e soirée), "le Suicide par enthousiasme" (12e), "Le Piano enragé" (18e) ou encore "Euphonia" (25e).
L’ouvrage est construit en un prologue, vingt-cinq soirées, et deux épilogues. Si la célébration de l’art se réalise sous couvert d’humour (deuxième épilogue), d’humour cynique parfois (vingt-cinquième soirée) et macabre (quatrième soirée), Berlioz reste un critique redoutable (dix-huitième soirée). Pendant les soirées où sont exécutées des chefs-d'oeuvre, les musiciens de l'orchestre, concentrés sur la musique, ne prennent point la parole : six soirées sont intercalées parmi les vingt-cinq pour ménager des plages de silence face à des partitions fétiches dont, par conséquent, presque rien n’est dit sinon une approbation muette peut-être parfois teintée de réserve : Le Freischütz (3e soirée), La Vestale (11e), Le Barbier de Séville (17e), Don Giovanni (19e), Iphigénie en Tauride (22e), Les Huguenots (24e). Mais c’est la poésie et le mystère de la musique qui sont aussi célébrés, comme les admirations pour les maîtres : Beethoven, Gluck, Weber.
L’ouvrage connut rapidement et durablement une large diffusion. La seconde édition de 1854 amendée en raison de sa virulence critique sur des partitions de contemporains intouchables, comme le Pigeon-vole de Castil Blaze, est aujourd’hui abandonnée. L’ouvrage connut plusieurs traductions.
Alban RAMAUT
09/03/2018