André Boucourechliev (1925-1997)
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Boucourechliev laisse une dizaine de livres, une centaine d’articles, des critiques de concerts et d’enregistrements, des comptes rendus, des entretiens, une correspondance. Il se dit « écrivain de musique », affirmant « J’entends par là que j’écris des livres sur la musique, mais que le mot de musicologie ne me paraît pas adéquat, parce qu’il connote une science, une carrière, une profession qui ne sont pas miennes. Cette expression me paraît bien délimiter mon rôle qui est ambitieux sur un autre plan : ce sont des écrits de compositeur sur la musique ». De cette double présence, saluée par de nombreuses tribunes, Boucourechliev conduit une action militante pour la musique contemporaine auprès de ses collègues, des interprètes et plus largement de tout auditeur savant et/ou sensible, sans se restreindre aux seuls spécialistes.
À l’instar de nombre de compositeurs de sa génération – Luciano Berio, Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis, Henri Pousseur, Pierre Boulez –, André Boucourechliev (1925-1997) laisse un vaste ensemble d’écrits. Né à Sofia, il arrive à Paris en 1949 comme pianiste virtuose. Élevé dès l’enfance dans un milieu francophile, il obtient la nationalité française en 1956. C’est à partir de cette même année, à la mort de Gieseking à qui il est lié comme à un maître, qu’il se consacre à la composition sans se plier cependant à aucune orthodoxie, pas même sérielle et qu’il commence simultanément à publier. Sa production de textes accompagne son activité de pianiste puis celle de compositeur et témoigne plus globalement de sa position d’observateur précis et précieux de la vie musicale de son temps. La première de ses œuvres retenues au catalogue, Étude 1 (1956) pour bande magnétique réalisée au Studio di fonologia à Milan est strictement contemporaine de son Schumann (1956) qui, de l’avis même de son auteur, est un livre de pianiste alors que son Beethoven (1963), quelques années plus tard, est déjà celui d’un compositeur. Dans son ensemble, son œuvre (musical et sur la musique), couvre quatre décennies. Sa dernière composition, Trois Fragments de Michel-Ange (1995), précède de peu Regards sur Chopin (1996) dernier livre publié de son vivant suivi de Debussy, la révolution subtile (1998) inachevé et posthume. Un ultime volume porte sa signature. Intitulé À l'écoute (2006), il rassemble des textes inédits ou publiés choisis et présentés par Jean Ducharme.
Depuis leur parution, plusieurs de ses ouvrages connaissent un succès sans cesse renouvelé et des traductions. Voir entre autres la 4e édition du Schumann en 1995 complétée par un choix de textes et le catalogue des œuvres, Igor Stravinsky de 1982 réédité en 1989, Regards sur Chopin traduit en japonais et en anglais, ou encore la toute récente republication du premier Beethoven (2020) avec une préface inédite du Quatuor Ebène.
Pour la connaissance globale des écrits publiés, il faut saluer le travail de Jean Ducharme qui, outre une bibliographie chronologique propose un relevé exhaustif des articles publiés dans la Nouvelle Revue Française et dans Preuves (cf. supra « pour aller plus loin »). Les écrits non publiés sont conservés à la BnF, dans le fonds André Boucourechliev (dépôt 2012) et, pour la correspondance, dans divers autres fonds.
Boucourechliev consacre ses premiers articles à la vie musicale effervescente de son temps. Il s’en justifie : « La musique actuelle était très attaquée et fort peu connue ; j’ai eu la possibilité d’écrire pour la défendre passionnément ». Sa position de compositeur en fait un critique engagé. Il est enclin à admirer Berio, Stockhausen ou Boulez plus que Nono, John Cage ou Giacinto Scelsi. Il déploie une activité soutenue de critique et de chroniqueur pour Le Domaine musical, les festivals de Venise, Royan, Donaueschingen ou encore les Semaines musicales internationales de Paris. Dès janvier 1957, il contribue à la revue Esprit avec un tout premier article, « La musique électronique ». La même année, il succède à Boris de Schloezer à la Nouvelle Revue Française à laquelle il collabore très régulièrement (1957-1969 et 1983-1992). De 1962 à 1969, il écrit pour Preuves, avec entre autres une vaste enquête sur « La musique sérielle aujourd’hui » (1965-66). Il communique en outre dans Harmonie, Réforme et L’arc (deux articles sur Beethoven en 1970) et bien sûr dans divers titres exclusivement dédiés à la musique : Musique en jeu (1971 et 75) et l’Avant-Scène Opéra avec quatre contributions majeures sur Wagner (1976-77). Il donne aussi, à Entretemps – périodique fondé par plusieurs étudiants assidus de son séminaire du Boulevard Jourdan – un article sur « Le Ring, forme ou programme » (1988).
Ses livres, quant à eux, portent un regard neuf (analytique, esthétique, historique) sur de grandes figures du passé ou de la modernité du premier vingtième siècle auprès de qui il se tient comme pianiste et/ou comme compositeur : Schumann, Beethoven, Chopin puis Debussy et Stravinsky. Même les sujets romantiques sont « délibérément projetés d’une poétique et de concepts modernes », explique-t-il dans Dire la musique. L’autorité de ces monographies demeure. Son attachement à Beethoven a suscité divers articles et deux ouvrages distincts. Au Beethoven de 1963, plusieurs fois réédité et complété jusqu’en 1994, fait écho un Essai sur Beethoven en 1991 qui n’a rien de commun avec le premier.
Son essai Le langage musical (1993) relève d’une démarche différente. Boucourechliev livre « un travail de synthèse sur le langage musical et son action, qui [met] en place des modèles applicables à tous les idiomes et à toutes les époques ». Il insiste, cela « vaut le risque, considérable, d’être tenté aujourd’hui ». Son corpus est alors celui d’une histoire longue (de l’Orfeo à Lulu pour l’opéra), qu’il pense comme une dynamique, en grandes étapes, guettant « les stratégies du composteur au sein de l’œuvre ». Dans les mêmes années, il réunit pour Dire la musique (1995) une vingtaine d’articles des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix consacrés à des sujets qui ont marqué le cœur de ses préoccupations.
Parmi les lignes de force de ses écrits se trouvent l’œuvre musicale, le langage musical, les liens entre compositeur et interprète, mais aussi entre public et interprète, le programme et la forme, le thème et la variation, la sonate et son autorité, les restes de l’empreinte sérielle quand sa grammaire n’est plus. En infatigable « questionneur du langage musical », il se tient à l’écoute, pour tenter de définir ce qu’est la musique elle-même ou encore le temps musical.
Alain Poirier souligne sa constante volonté « d’actualisation », qu’il s’agisse de « Beethoven dans notre temps » (1970), « Debussy aujourd’hui » (1972), « Wagner aujourd’hui » (1963) ou encore la vaste enquête menée pour Preuves « la musique sérielle aujourd’hui » (1965). En « penseur de la musique » – l’expression est de François Nicolas –, Boucourechliev conçoit « l’histoire comme permanence » ainsi qu’il l’affirme dans son Igor Stravinsky.
De même qu’il attend de ses interprètes de nécessaires choix pour l’interprétation de ses pièces en Archipel (Cinq pièces pour solistes conçues jusqu’en 1970), de même il cherche à susciter chez ses lecteurs en tant qu’ils sont des auditeurs une écoute musicale active qui les rende « opérateurs », en référence, comme d’autres compositeurs de sa génération, à Mallarmé. Il appelle en outre à la « concordance profonde entre deux actions », celle de composer et celle d’écouter. « Écouter n’est pas subir, mais agir : se confronter incessamment à cet autre univers ». L’auditeur, ainsi mis « au travail » est appelé, in fine, à devenir le véritable interprète de l’œuvre. « Le sens, c’est vous », affirme-t-il dans le sillage des réflexions de Barthes (dont il fut le professeur de piano) sur l’« inécrivable », mais aussi d’Umberto Eco (dont il contribua à la traduction française de l’Opera aperta).
Béatrice RAMAUT-CHEVASSUS
01/09/2022
Pour aller plus loin
- Alain Poirier (dir. sc.), André Boucourechliev, Paris, Fayard, 2002, « L’écrivain de musique », contributions d’Alain Poirier, Jean Ducharme et François Nicolas, p. 225-265 et « Bibliographie » établie par J. Ducharme, 399-407.
- http://www.boucourechliev.com/html/bibliohtml.htm, site des Amis de Boucourechliev, onglet « bibliographie ».

prénom | André |
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nom | Boucourechliev |
année de naissance | 1925 |
année de décès | 1997 |
identique à | https://data.bnf.fr/13891721/andre_boucourechliev/ |