Igor Stravinsky
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Alors qu’il avait consacré ses premiers ouvrages à deux figures incontournables du Romantisme allemand, Schumann et Beethoven, c’est à l’un des monstres sacrés de la modernité musicale que Boucourechliev choisit de dédier sa troisième monographie. Sobrement intitulé Igor Stravinsky, l’ouvrage paraît en 1982 chez Fayard, un éditeur auquel Boucourechliev restera, sauf exception, fidèle jusqu’à la fin de sa carrière.
Si, dans le Beethoven de 1963, l’ « écrivain de musique » faisait preuve d’une certaine originalité formelle (le discours sur l’œuvre y précédait et excédait largement en quantité le commentaire biographique), il revient, pour ce Stravinsky, à une organisation plus classique : l’œuvre et la vie du compositeur russe sont envisagées simultanément, suivant une perspective chronologique qu’évoquent souvent les titres des chapitres : « Apprentissage », « Avec les Ballets russes », « L’entre-deux-guerres I », « L’entre-deux-guerres II »... L’ouvrage n’en demeure pas moins profondément personnel : n’entendant pas se départir de sa précieuse liberté de ton, Boucourechliev ne cache rien au lecteur de ses goûts et de ses dégoûts. Deux exemples suffiront à s’en convaincre : si Noces est louée pour son instrumentation d’une « originalité absolue, inégalée » (p. 139), Perséphone est, quant à elle, comparée à une « huître laiteuse au goût un peu fade d’été » (p. 250).
Boucourechliev s’était fixé pour but, dans son Beethoven de 1963, de mettre en lumière la modernité du maître de Bonn, son incessante actualité. C’est une ambition voisine, mais un peu différente tout de même, qui sous-tend le Stravinsky : souligner la cohérence et l’unité de l’œuvre de l’auteur du Sacre. Une cohérence et une unité qui n’ont pourtant rien d’évident lorsque l’on songe à la diversité des styles abordés par le compositeur russe. La thèse défendue par Boucourechliev tout au long de son ouvrage est que l’œuvre de Stravinski ne souffre en rien de son hétéroclisme : sous le vernis des métamorphoses techniques et esthétiques se trouvent des invariants qui confèrent à l’œuvre toute sa consistance. C’est à l’énumération et à l’analyse de ces constantes stravinskiennes qu’est consacrée la brillante introduction de l’ouvrage, significativement intitulée « Clés pour Stravinsky » : un « russisme » qui n’est pas un folklorisme, un goût pour le rituel et le hiératisme, une fascination pour l’archétype. L’enjeu, pour Boucourechliev, est double : il s’agit bien sûr d’éclairer l’œuvre de Stravinski d’une lumière nouvelle, mais aussi de se démarquer de certains de ses contemporains – l’on songe notamment à Pierre Boulez – qui n’auront eu de cesse d’exalter un Stravinski (celui du Sacre ou de Noces) que pour mieux l’opposer à un autre (celui des œuvres néo-classiques).
Le corps de l’ouvrage peut être vu comme un ample développement des idées présentées dès l’introduction. Boucourechliev y fait preuve d’une prétention à l’exhaustivité (il n’est pas une œuvre de Stravinski qui ne fasse l’objet d’au moins quelques lignes) et d’une érudition toute musicologique (maniant une impressionnante bibliographie, l’écrivain de musique ne cesse de dialoguer avec d’autres éminents stravinskiens : Schloezer, Siohan, Souvtchinski...). Certaines œuvres font l’objet d’un commentaire approfondi – on se reportera notamment à la belle analyse du Sacre, qui complète utilement celle, plus ancienne et centrée sur le travail rythmique, de Boulez. Il faut relever enfin une préoccupation éthique qui, pour la première fois, affleure de manière évidente dans le discours de Boucourechliev. Ce qui se dessine au fil de l’ouvrage, ce n’est pas seulement un portrait de Stravinski en créateur génial : le compositeur russe nous est aussi présenté comme une figure émancipatrice. En recourant à l’archétype et au hiératisme du rituel, Stravinski échappe en effet au discours subjectif et totalitaire des compositeurs romantiques allemands. Et, ce faisant, il parvient à « garantir sa liberté et la nôtre, sa légèreté et la nôtre, un espace habitable » (p. 29).
François BALANCHE
14/02/2020
genre | AnalyseEssai |
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éditeur | Fayard |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1982 |
nombre de pages | 427 |
langue originale | français |
traductions | |
compositeur |