Essai sur Beethoven
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Paru en 1991, l’Essai sur Beethoven occupe, à bien des égards, une place singulière au sein des écrits d’André Boucourechliev. Seul de ses ouvrages à être publié aux éditions Actes Sud, il offre aussi un exemple unique, dans son œuvre (exception faite des articles), de retour à un compositeur déjà abordé au cours de sa carrière. La musique de Beethoven, en effet, avait fait l’objet d’un précédent livre, publié en 1963. Qu’est-ce qui explique ce besoin, ressenti par Boucourechliev plus de deux décennies après la parution de ce premier ouvrage, d’ajouter une nouvelle pierre à l’édifice déjà colossal des études beethovéniennes ?
C’est dans le Beethoven de 1963 qu’il faut chercher la réponse à cette question : le maître de Bonn y était décrit comme « le premier esprit moderne », celui dont la musique, d’une constante actualité, ne cesse d’interroger l’auditeur et de se métamorphoser au gré des écoutes. Vingt-six ans après sa publication, l’auditeur Boucourechliev n’est plus le même, et son Beethoven a évolué avec lui : il lui faut donc s’y confronter de nouveau, pour répondre aux nouvelles questions posées par son œuvre. « Si Beethoven ne cesse de nous parler, il exige de nous, encore et toujours, que nous lui parlions en retour : c’est à cette exigence que je réponds ici » (p. 153).
Pour parler de Beethoven – et peut-être, plus encore, parler à Beethoven – c’est la forme de l’essai qui est privilégiée. Un genre littéraire ouvert à toutes les expérimentations, qui permet à Boucourechliev de laisser libre cours à sa subjectivité : « De cet essai [...] est exclue la neutralité, je dirai même l’objectivité » (p. 11). Car l’objectivité est l’affaire du musicologue, que n’est pas et que ne veut pas être Boucourechliev. C’est donc avec la plus grande liberté qu’est ici traitée l’œuvre de Beethoven. Liberté thématique, tout d’abord : d’emblée, toute prétention à l’exhaustivité est rejetée au profit d’une focalisation sur trois grands genres musicaux – la sonate pour piano, le quatuor et la symphonie. Liberté formelle, ensuite : pour la première fois, Boucourechliev s’essaie à une structure polyphonique, dans laquelle des chapitres biographiques alternent avec des chapitres consacrés au commentaire de l’œuvre.
L’Essai sur Beethoven complète et prolonge l’approche phénoménologique (fondée sur un retour à la réalité de l’œuvre), inaugurée dans l’ouvrage de 1963. Constamment replacée dans le contexte qui l’a vu naître, la musique de Beethoven y est décrite comme radicalement nouvelle, en des termes qui ne sont pas ceux de l’analyse traditionnelle : il est question, entre autres, de « stratégies beethovéniennes du temps » (p. 66), de « rythmes de formes » (p. 67). Quant aux « groupes », « blocs », « masses », « Klangfarbenmelodie » et autres termes que nous pensions réservés à la description d’une musique beaucoup plus récente, ils sont mobilisés par Boucourechliev afin d’expliciter au mieux la redoutable efficacité du temps musical beethovénien.
Notons enfin la présence d’une dimension éthique, qui ne faisait que transparaître dans l’ouvrage de 1963 mais qui, ici, s’épanouit pleinement. Ce qui se dessine par petites touches, tout au long de l’essai, c’est l’idée d’un Beethoven génial, mais d’un Beethoven tyran, dont l’auditeur est la proie impuissante et comblée : « Face aux symphonies de Beethoven, nous n’avons aucune liberté – que celle de jouir, consciemment, inconsciemment, avec plus ou moins de volupté, de notre propre abandon à leurs pouvoirs » (p. 83). C’est que ces symphonies, la Cinquième en particulier, possèdent un « sens dictatorial » (p. 83). Sans doute faut-il voir, derrière ces outrances, l’influence d’un Roland Barthes et de son idée d’une « langue fasciste ». S’ils paraissent aujourd’hui datés, ces propos prouvent toutefois que Boucourechliev n’est pas resté étranger aux grands débats sur le pouvoir et la liberté qui marquèrent son époque, lui qui chercha sans cesse à jeter des ponts entre la musique et le reste de la société.
François BALANCHE
28/09/2019
genre | AnalyseEssai |
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éditeur | Actes Sud |
lieu d'édition | Arles |
années d'édition | 1991 |
nombre de pages | 157 |
langue originale | français |
compositeur |