Schumann
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Publié en 1956 dans la collection « Solfèges » des Éditions du Seuil, Schumann est le premier ouvrage d’André Boucourechliev. Alors âgé de trente et un ans, le jeune musicographe (qui, parallèlement, se lance avec bonheur dans une activité de critique et de chroniqueur de la vie musicale de son temps) se confronte pour la première fois à travers ce livre au genre certes abondamment pratiqué, mais néanmoins difficile, de la monographie consacrée à un compositeur.
Malgré le caractère original de son sujet (l'on aurait pu s’attendre, de la part d’un compositeur de la génération de 1925, à un ouvrage sur Debussy ou Stravinski), ce Schumann s’avère à bien des égards moins « personnel » que les livres ultérieurs. Il faudra, en effet, attendre le Beethoven de 1963 pour voir émerger dans les écrits de Boucourechliev certaines préoccupations nées des échanges avec des intellectuels tels que Roland Barthes ou Boris de Schloezer : la conception de l’écoute comme action, communication, confrontation avec l’œuvre ; l’idée d’un compositeur qui ne crée pas seulement ses œuvres mais est aussi créé par elles ; la lecture éthique des œuvres musicales, considérées tantôt comme oppressives, tantôt comme libératrices, etc. Sur le plan formel également, ce Schumann ne laisse rien présager du renversement qui sera opéré par Boucourechliev dans son ouvrage suivant (dans le Beethoven de 1963, le compositeur n’aborde la biographie du maître de Bonn qu’après avoir copieusement parlé de son œuvre). C’est à une structuration classique que nous avons affaire ici : l’ouvrage, qui se compose d’une introduction suivie de huit chapitres, obéit à une stricte progression chronologique, chaque section correspondant à un épisode de la vie du compositeur.
Sous le vernis du respect des normes traditionnelles du genre biographique émergent cependant, dans ce Schumann, des intuitions brillantes, qui préfigurent les textes ultérieurs de Boucourechliev. Une certaine façon de parler des œuvres, tout d’abord, s’impose dès ce premier opus : se tenant à distance de la surinterprétation psychologique comme de l’analyse prétendument objective, Boucourechliev réussit le tour de force de rester attaché à l’œuvre telle qu’elle se lit ou s’entend, sans rien renier de sa subjectivité et de sa sensibilité d’auditeur. Un autre trait caractéristique de l’ouvrage tient dans une volonté de replacer en permanence l’œuvre de Schumann au sein du vaste paysage du Romantisme germanique ; en effet, l’auteur des Papillons étant « véritablement issu de ce courant poétique, […] ce serait mal le comprendre que de l’en détacher », nous explique Boucourechliev dès son introduction (p. 5). Il faut aussi souligner la pertinence de certaines sections de l’ouvrage, dans lesquelles Boucourechliev aborde, à travers l’étude de la musique de Schumann, de grands problèmes esthétiques sur lesquels il reviendra copieusement dans la suite de sa carrière : celui de la relation texte-musique (on se rapportera au chapitre intitulé « Mourir à force de chanter », p. 96-116), ou celui de l’unité de l’œuvre musicale (« Je n’œuvre pas en vain », p. 136-158). Enfin, l’on ne peut pas ne pas évoquer pour finir le beau chapitre que Boucourechliev consacre à la critique schumanienne (« Davidsbündler contre Philistins », p. 43-54), une critique musicale érigée en art, dans laquelle « le génie s’arroge le droit de juger seul le génie » (p. 44). On est tenté de voir, dans ces lignes, un autoportrait masqué de Boucourechliev en critique.
S’il est donc un coup d’essai, ce premier ouvrage n’en est pas moins un coup de maître, qui comblera tout autant les novices que les schumanniens confirmés. Les premiers y trouveront une introduction aussi pertinente que pédagogique à l’œuvre du grand compositeur romantique. Les seconds apprécieront de voir une lumière nouvelle et parfois inattendue jetée sur des œuvres qu’ils connaissent et chérissent déjà. Tous, enfin, goûteront la qualité du style de Boucourechliev, dont l’amour de l’écriture, comme celui de la musique de Schumann, transparaît dans chaque ligne de ce livre.
François BALANCHE
04/01/2024
genre | AnalyseEssai |
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éditeur | Seuil |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1956 |
nombre de pages | 192 |
langue originale | français |
traductions | |
compositeur |