Ernest Chausson (1855-1899)
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Si l'on considère sa vie relativement brève (il est mort à 44 ans) et le fait que ses premiers écrits connus remontent à ses presque vingt ans, on peut estimer qu'Ernest Chausson (1855-1899) a laissé derrière lui des écrits en nombre important. Ces derniers consistent en une correspondance nourrie de plus de trois cents lettres, une nouvelle et un roman de jeunesse, trois journaux intimes, sept articles, ainsi que le livret de son unique opéra, le Roi Arthus. L'ensemble de ces écrits est une source du plus grand intérêt pour ceux qui souhaitent tout à la fois se rendre familiers de l'homme et de l’artiste dans son cheminement personnel, mais aussi comprendre les ressorts de sa vocation artistique. L’on voit celle-ci prendre forme peu à peu, se heurter aux doutes pour finalement, dans la durée, gagner en confiance et en plénitude. Parallèlement, elle s'infléchira esthétiquement. En outre, c'est toute une peinture instructive de la vie musicale française du dernier quart du XIXe siècle qui est exposée au travers de la correspondance en particulier, qui s'échelonne entre fin 1874 et juin 1899, peu avant que le compositeur ne décède accidentellement. Les différents éléments constitutifs des écrits de Chausson sont donc autant de regards permettant de dresser le portrait dynamique d'un artiste en prise avec lui-même et avec son temps.
Mis à part sept articles de critique musicale consacrés essentiellement à Parsifal, à la tétralogie de Wagner, au Mefistofele de Boito, à César Franck ou au Fervaal de son ami Vincent d'Indy (un premier article intitulé "Fervaal" paraît dans le Mercure de France en avril 1897 et un second, "Pour Fervaal", dans L'Art libre le 23 juin 1898), Chausson n'a jamais pris la plume publiquement. A la différence de ses pairs Paul Dukas ou Claude Debussy par exemple, il n'a pas tenu de chronique musicale régulière dans laquelle auraient pu transparaître ses goûts, ses positions. Sans doute, son statut d'artiste nanti lui épargna-t-il un travail de pigiste dont on sait qu'il ne plaisait que très modérément à l'auteur de La Mer. Il n'a pas davantage été porté, comme Vincent d'Indy, Charles Bordes, Louis Bourgault-Ducoudray ou encore Maurice Emmanuel vers des écrits musicologiques, historiques ou théoriques. Doutant longtemps de sa technique et de son métier car il était arrivé tard à la composition (il travailla avec Jules Massenet et César Franck au Conservatoire entre 1879 et 1882), Chausson n'avait rien d'un chef d'école, pas plus qu'il n'avait de certitudes à professer. Discret et pudique, il n'a pas cherché non plus à faire éditer ses écrits romancés ou ses journaux comme ont pu le faire en leur temps Berlioz (Mémoires) qu'il révérait, Charles Gounod (Mémoires d'un artiste), ou encore Camille Saint-Saëns (Harmonie et mélodie, Ecole buissonnière,…).
Mettre en regard les écrits de Chausson avec ceux de ses contemporains, c'est donc constater qu'ils sont fondamentalement des dialogues de l’intime, avant tout motivés par des raisons d’ordre privé ou personnel. Ils sont toujours exempts cependant de sujets politiques ou religieux que le musicien préfère ne pas aborder.
Ce sont tout d’abord des dialogues avec lui-même dans son roman de jeunesse empreint de romantisme et d’idéalisme, Jacques (personnage autobiographique), datant de l’été 1876, et ses trois journaux intimes (1875, 1892 et 1896). Les propos introspectifs de ces trois périodes de chroniques quotidiennes s’avèrent d’autant plus intéressants qu’ils interviennent à des moments clés de son parcours artistique : en 1875, alors qu’il interroge son avenir ; en 1892, quand les premières marques de reconnaissance sur sa musique l’encouragent à persévérer ; 1896 enfin, après l’achèvement du Roi Arthus, qui marque une libération de sa créativité. Ce sont encore des dialogues avec ses proches - famille, amis artistes et musiciens – dans sa correspondance au sein de laquelle se lisent autant son caractère que ses questionnements sur son œuvre.
En définitive, seul le livret du Roi Arthus avait vocation à être rendu public. Cependant, ainsi que le remarque Jean Gallois, il est toujours le « miroir même du compositeur, la cristallisation de sa pensée et de son credo » [Ernest Chausson, Paris, Fayard, p.379, 1994]. Ce livret, dont les brouillons sont conservés à la BnF [MS-8837-5, 6 et 9 principalement] nécessita de nombreuses réécritures de la part du compositeur. Entre le scénario initial de 1886 et la fin de la composition de l’opéra en 1895, il connut de multiples amendements, tant du point de vue de sa structure générale que des détails de cette dernière. Sa correspondance de l’époque se fait régulièrement le témoin des tourments de ce grand œuvre.
Que ce soient son roman de jeunesse, ses journaux intimes, sa correspondance ou ses articles, les écrits de Chausson montrent un homme cultivé et sincère, qui manie la plume avec aisance et finesse. Il fait partie de cette génération de musiciens aux aptitudes artistiques multiples qui balança quelque temps entre plusieurs arts. C’est ce dont témoigne notamment son Journal de 1875 – son « ami muet » ainsi qu’il le nomma.
La plus grande partie de la correspondance de Chausson a été éditée au sein de revues [n° spécial de la Revue musicale du 1er décembre 1925 ; Vol. XLII de La revue belge de Musicologie, 1988 ; La Revue de l’Art, éd. du CNRS, 1992], d’une monographie de référence [Ernest Chausson par Jean Gallois, Fayard, 1994] et d’un ouvrage dédié qui inclut deux cent quarante-trois lettres du compositeur [Ecrits inédits réunis par Jean Gallois et Isabelle Bretaudeau, éd. du Rocher, 1999] et contient en outre ses trois journaux intimes (ceux de 1892 et 1896, plus brefs que le premier, y apparaissent in extenso), ainsi que son roman de jeunesse, Jacques.
Isabelle BRETAUDEAU
28/01/2018
POUR ALLER PLUS LOIN :
Barruel, Thérèse. « Maurice Denis et Ernest Chausson : Correspondance inédite et catalogue des œuvres de Denis ayant appartenu à Chausson », Revue de l’art, no 98, 1992, p. 66-76.
Chausson, Ernest. « Lettres inédites à Vincent d’Indy », dans La Revue musicale, Numéro spécial Ernest Chausson, 1er décembre 1925, p. 128-136.
Chausson, Ernest. « Lettres inédites à Paul Poujaud », dans La Revue musicale, Numéro spécial Ernest Chausson, 1er décembre 1925, p. 143-174.
Chausson, Ernest. « Lettres inédites à Henry Lerolle », dans La Revue musicale, Numéro spécial Ernest Chausson, 1er décembre 1925, p. 175-177.
Stockhem, Michel. « Lettres d’Ernest Chausson à Eugène Ysaÿe », Revue belge de musicologie, vol. 42, 1988, p. 241-272.
Van der Linden, Albert. « Deux lettres d’Ernest Chausson à Octave Maus », Revue belge de musicologie, vol. 3, no 1, 1949, p. 116-117.
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