Emmanuel Chabrier
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En 1943, Francis Poulenc, grand admirateur d’Emmanuel Chabrier, encourage Roland-Manuel, auteur de plusieurs « Ravel », à rédiger une étude sur le compositeur de Gwendoline : « Ce qui manque, c’est un beau "Chabrier". Vous seul sauriez le faire. Tâchez d’y penser » (Correspondance, p. 547). Comme le souligne Southon, à cette époque, « les études existantes sur Chabrier [sont] encore rares et déjà anciennes » (J’écris ce qui me chante, p. 41) : parmi elles, le Chabrier de Joseph Desaymard (1908), qui publiera également la correspondance en 1934, ainsi que les biographies de René Martineau (1910) et de Georges Servières (1912). Cette première exhortation est suivie d’un échange entre Poulenc, Roland-Manuel et Georges Poupet, éditeur chez Plon et ami de Poulenc, mais qui ne connaîtra aucune suite concrète. En 1959, malgré déjà quelques contributions (dont un éloge publié à l’occasion du Centenaire de Chabrier dans le n° du 1er juillet 1941 de La NRF), Poulenc déclare à son amie Suzanne Peignot : « Il y a tant de choses qui n’ont jamais été dites sur cet homme admirable » (Correspondance, p. 933). Poulenc se décide alors à entamer la rédaction de cette pièce manquante de l’historiographie de la musique française.
Le Chabrier de Poulenc est publié deux ans plus tard, en 1961, aux éditions La Palatine, émanation de la maison Plon, avec un total de 187 pages. À noter que Poulenc a d’abord envisagé de publier son texte aux éditions du Seuil, souhaitant s’inscrire dans une des collections « Microcosme » nommée « Solfèges » qui comptait déjà des études sur, notamment, Couperin, Ravel et Schubert. Ce premier choix est particulièrement éclairant quant aux intentions de l’auteur : s’agissant d’une collection en format de poche destinée à la vulgarisation des savoirs, Poulenc souhaite que son ouvrage puisse toucher, outre les spécialistes, un large public d’amateurs : « Je l’ai fait à l’usage du public mélomane qui suit la collection Solfège [sic] […] Les techniciens n’y perdront pas leur temps car les exemples sont pertinents » (lettre à Geneviève Sienkiewicz, 21 décembre 1959, Correspondance, p. 937). Ce faisant, Poulenc souhaite redonner la juste place que mérite selon lui Chabrier dans l’histoire de la musique française : « Puissé-je réussir à convaincre, enfin, techniciens et profanes que Chabrier représente, avec Fauré, Debussy, Ravel et Satie le meilleur de la musique française depuis 1880. » (p. 8)
La publication est bien reçue, entre autres, comme le précise Southon, « grâce aux amis de Poulenc bien placés dans la presse » (J’écris ce qui me chante, p. 44). Ce qu’une majorité souligne, c’est la « plume gourmande », selon l’expression de Henri Hell, et le trait oral de celle-ci : « Dans un style savoureux, où ceux qui connaissent M. Poulenc retrouveront le mordant et l’esprit de sa conversation, le musicien nous décrit ce que furent la vie, le caractère et l’œuvre de Chabrier » (Marcel Schneider, « Chabrier par Poulenc », cité dans J’écris ce qui me chante, p. 44). Une première traduction anglaise sera publiée seulement en 1981, chez Dobson (Londres).
L'ouvrage est divisé en quatre parties : la première, la plus importante, est consacrée à la vie et à l’œuvre de Chabrier (p. 9 – p. 124) ; la seconde, « In memoriam », reproduit une sélection de témoignages de personnalités artistiques et littéraires repris d’un tirage luxueux de Briseïs publié chez Enoch en 1897 en hommage au compositeur (p. 125 – p. 144) ; la troisième se compose de « lettres inédites » de Chabrier dont Poulenc a fait l’acquisition pour certaines (p. 145 – p. 179) ; la quatrième, « Le Collectionneur », reprend la collection de tableaux de Chabrier telle que présentée dans le catalogue de vente de celle-ci dont Poulenc s’est procuré un exemplaire annoté des prix d’acquisition (p. 181 ‒ p.187). Reprenant ainsi le plan classique de toute biographie critique d’artiste en abordant chronologiquement la vie et l’œuvre, Poulenc singularise son étude en fournissant des documents inédits qui entendent montrer d’autres facettes de Chabrier : « un époux et un père incomparables » (p. 147), un écrivain à travers la pratique épistolaire, un amateur d’art.
L’ensemble est rédigé sur un ton volontairement « familier » (p. 7) coutumier de Poulenc qui abhorre le discours technique. Cela induit l’utilisation du « je » et, ce faisant, la mise en parallèle des parcours de Poulenc et de Chabrier. En outre, en relevant les similarités entre eux et en insistant sur la nationalité française de Chabrier – au détriment de l’influence wagnérienne sur ce dernier –, Poulenc entend s’inscrire dans une lignée de musiciens nationaux parmi lesquels figurent, outre Chabrier, Fauré, Debussy, Ravel, Satie, Roussel. Or, comme le souligne très justement Duguay, il est remarquable que plusieurs biographes de Poulenc aient repris cette parenté sur laquelle ce dernier a volontairement insisté. Ainsi Poulenc a-t-il participé au discours critique le concernant et son Chabrier n’a pas été de moindre importance à ce sujet.
Mélanie DE MONTPELLIER D’ANNEVOIE
15/01/2020
Pour aller plus loin :
Francis Poulenc, Emmanuel Chabrier, Paris-Genève, La Palatine, 1961.
Francis Poulenc, Correspondance 1910-1963, réunie, choisie, présentée et annotée par Myriam Chimènes, Paris, Fayard, 1994.
Francis Poulenc, J’écris ce qui me chante, textes et entretiens réunis, présentés et annotés par Nicolas Southon, Paris, Fayard, 2011.
Michèle Duguay, « Emmanuel Chabrier de Francis Poulenc », Nota Bene, Canadian Undergraduate Journal of Musicology, vol. 17, Iss. 1 (2014).
genre | Biographie |
---|---|
éditeur | La Palatine |
lieu d'édition | Paris-Genève |
années d'édition | 1961 |
nombre de pages | 187 |
langue originale | français |
traductions | |
compositeur | |
identique à | https://data.bnf.fr/15043159/francis_poulenc_emmanuel_chabrier/ |