Francis Poulenc (1899-1963)
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Francis Poulenc prenait très volontiers la plume, que ce fût pour répondre à sa correspondance ou pour intervenir publiquement, de sorte que le corpus de ses écrits privés et publics est assez volumineux. Ce corpus, qui se caractérise par son hétérogénéité générique et témoigne de l’esprit cultivé de son auteur, peut être décomposé en quatre axes principaux : (1) les écrits privés, comprenant l’abondante correspondance du compositeur et ses journaux intimes ; (2) les deux seuls ouvrages à proprement parler que Poulenc ait rédigés, à savoir sa biographie d’Emmanuel Chabrier, publiée en 1961 aux éditions La Palatine, et son Journal de mes mélodies, publié à titre posthume, en 1964 ; (3) les écrits à caractère oral, tels que les conférences mais aussi les écrits radiodiffusés, rédigés ou corédigés par Poulenc, et ayant connu une publication par la suite ; (4) enfin, les contributions écrites de Poulenc à la presse ou à des projets éditoriaux de plus grande envergure (préfaces de monographies, notices de dictionnaires ou d’encyclopédies…).
Plusieurs recueils d’écrits de Poulenc ont vu le jour dès les années 1960. L’attention s’est d’abord portée sur la correspondance avec une édition de lettres choisies par Hélène de Wendel et préfacée par l’ami de Poulenc, Darius Milhaud (éd. du Seuil, 1967). Dans les années 1990, ont paru un choix de lettres du compositeur traduites en anglais, édité par Sidney Buckland (Gollancz, 1991), et une édition scientifique des lettres en français établie par Myriam Chimènes (Fayard, 1994), celle-ci faisant aujourd’hui référence avec ses 767 lettres richement documentées de Poulenc à sa famille, ses amis et ses relations professionnelles et auxquelles s’ajoutent les 251 à lui adressées. Enfin, Pierre Miscevic a récemment publié (Orizons, 2019), les 192 lettres conservées jusqu’à nos jours de Poulenc à sa nièce Brigitte Manceaux, de 15 ans sa cadette et dont il fut très proche. Cette publication compléta les dix lettres de cette correspondance singulière que Myriam Chimènes avait publiées précédemment. En 1999, sous le titre d’À bâtons rompus (Actes Sud), Lucie Kayas a rassemblé les 32 émissions radiophoniques rédigées par Poulenc entre l’automne 1947 et l’été 1949 où il traite de sujets divers qui lui tiennent à cœur (Maurice Chevalier, le folklore, la musique sacrée, Debussy, Ravel, Stravinsky, Gounod, Satie…). Cette édition révèle également les deux seuls journaux intimes de Poulenc parvenus jusqu’à nous : « Journal de vacances », tenu durant les étés 1911 et 1912, et les « Feuilles américaines », pages en réalité commandées par Georges Poupet, éditeur chez Plon, à l’occasion du séjour de Poulenc aux États-Unis entre 1949 et 1950. Les autres journaux intimes – au nombre de deux – ont été détruits par le compositeur dans des accès d’émotions fortes. Enfin, en 2011, Nicolas Southon a réuni et commenté plus de 120 écrits de Poulenc, articles de presse, entretiens, conférences… auxquels il a ajouté le livre sur Chabrier, les Entretiens avec Claude Rostand, radiodiffusés et publiés en 1954, et Moi et mes Amis, « confidences recueillies » par Stéphane Audel, radiodiffusées à partir de 1953 et parues après la mort du compositeur en 1963. Quant au Chabrier et au Journal de mes mélodies, ils connurent des traductions anglaises dès les années 1980 (Chabrier : 1981, Dobson ; Journal : Gollancz, 1985 ; Kahn & Averill, 2006).
Comme l’a signalé Nicolas Southon dans sa présentation des écrits publics du compositeur, « Poulenc écrit sans volonté d’exercer un pouvoir ou d’occuper une position, mais il sait bien que dispenser cette parole favorise sa carrière » (J’écris ce qui me chante, p. 9). Ainsi, Poulenc donne de nombreuses conférences et entretient sa présence dans la presse sous un large panel de genres différents : études spécialisées, critiques musicales, interviews, comptes rendus, réponses d’enquêtes, hommages, lettres ouvertes… Grâce à ses relations notamment, il collabore à diverses revues littéraires et artistiques telles que les Feuilles libres, Le Figaro littéraire, Le Ménestrel, Comœdia, Contrepoints, La Nouvelle Revue Française, Les Lettres françaises, L’Opéra de Paris, ou encore le Harper’s Bazaar. Poulenc pratique une écriture libre, spontanée, faisant écho à son parler rieur et pétri de bons mots ; il use d’un « ton familier », pour citer le compositeur lui-même, abhorrant le discours technique. Le « je » est aussi régulièrement convoqué, par la mobilisation des souvenirs. Continuellement en prise avec ses doutes, Poulenc aime et a besoin de se raconter, de se mettre en scène dans l’histoire artistique de son temps, de s’inscrire dans un lieu, un moment, aux côtés de noms qui ont fait cette histoire : « Je ne m’en étonne guère, appartenant à une génération où les manifestes étaient virulents. J’ai beaucoup vécu avec Breton, avec Éluard, avec Aragon, avec les surréalistes, avec René Crevel, qui en écrivaient des semblables. » (Réponses à un questionnaire de B. Gavoty et D. Lesur, Pour ou contre la musique moderne, Paris, Flammarion, 1957, p. 270-272, in J’écris ce qui me chante, p. 454). Pareillement, les entretiens avec Claude Rostand et Stéphane Audel, produits dans les années 1950, n’ont finalement pas d’autres buts que de raconter et d’édifier le « mythe » de Poulenc, qui souffre alors d’une crise existentielle et artistique, éprouvant la perte de plusieurs êtres chers, la montée d’une nouvelle génération de compositeurs qui pourrait définitivement l’enterrer dans l’arrière-garde et la frustration de voir son nom toujours assimilé à une étiquette de frivolité malgré ses efforts pour consolider son éthos de compositeur « sérieux ».
Refusant le discours critique et analytique sur la musique, Poulenc n’a pas, à proprement parler, pratiqué la critique musicale : « Plutôt que de critique musicale véritable, on parlera donc de comptes rendus dans lesquels l’amitié, un certain militantisme artistique et la défense d’une esthétique ou d’intérêts communs, tiennent leur part de façon conjuguée. » (Southon, J’écris ce qui me chante, p. 18). Selon Poulenc, « la composition musicale est de trop de mystère pour se prêter à l’analyse » ; et cela concerne tant son œuvre que celle des autres : [au sujet d’un quatuor de Bartok] « Ne brisons pas ce magnifique jouet pour découvrir son fonctionnement. Nous sommes en présence d’un chef-d’œuvre » (« Écho de Paris – Musique : trois quatuors à cordes », Fanfare, n°14 [15 novembre 1921], in J’écris ce qui me chante, p. 225-226). À ce titre, nulle surprise d’apprendre que Poulenc n’eut qu’une seule charge régulière de critique auprès d’une revue : il s’agit d’Arts phoniques, pour laquelle il fut responsable de la rubrique « Musique instrumentale » entre 1928 et 1929. La spécificité de ces contributions se situe au niveau de l’attention portée à la qualité technique des enregistrements. À ce propos, Nicolas Southon note qu’« il est intéressant d’observer [Poulenc] contribuer à la définition de la critique de disque, genre appelé à un développement considérable mais dont les codes et le vocabulaire ne sont pas encore fixés ».
Ne relevant pas de l’analyse musicale, le Journal de mes mélodies (Grasset, 1964), commencé en 1939 et dont le manuscrit est conservé à la BNF, a été principalement pensé à l’attention des interprètes : « J’entreprends ce Journal dans l’espoir de servir de guide aux interprètes qui auraient quelque souci de ma pauvre musique. », enjoignant les chanteurs à « lire attentivement les poèmes avant de travailler une mélodie (p. 2). Avec un style quelquefois télégraphique, ce Journal entend expliquer, pour chacune des mélodies alors composées, la genèse et la juste interprétation à adopter. Par ailleurs, ce Journal, comme la majorité des écrits publics et privés de Poulenc, rappelle la proximité entretenue par ce dernier avec les milieux littéraires de l’époque et les amitiés qui le liaient à de nombreux hommes et femmes de lettres : Jean Cocteau, Paul Éluard, Colette, Louise de Vilmorin, Max Jacob, Paul Valéry… Sa correspondance témoigne également de ses nombreuses relations littéraires.
Tout au long de sa carrière et de sa vie, Poulenc prit donc la plume, avec plaisir. Il pouvait écrire plusieurs lettres par jour, le plus souvent centrées sur la musique (la sienne et celle des autres), les événements rythmant sa vie professionnelle de compositeur, d’interprète et de conférencier, et les rebondissements de sa vie sentimentale, souvent couplés à des maux divers. Il fut sollicité à plusieurs reprises par son réseau pour collaborer à tel ou tel périodique, donna de son temps pour de nombreux entretiens et causeries, s’inventa même biographe avec son Chabrier, compositeur qu’il comptait parmi « le meilleur de la musique française depuis 1880 » (Chabrier, p. 8) et auquel il souhaita rendre hommage. En un sens, grâce à son esprit cultivé et son style coloré croquant avec verve, humour ou nostalgie la vie musicale et littéraire de son temps, Poulenc mena, parallèlement à sa carrière de compositeur, une carrière d’homme, sinon de lettres, du moins de plume.
Mélanie DE MONTPELLIER D’ANNEVOIE
01/03/2022
Pour aller plus loin :
Poulenc Francis, Journal de mes mélodies, Paris, La Société des Amis de Francis Poulenc chez Grasset, c1964.
Poulenc Francis, Correspondance 1910-1963, réunie, choisie, présentée et annotée par Myriam Chimènes, Paris, Fayard, 1994.
Poulenc Francis, À bâtons rompus, écrits radiophoniques : précédé de Journal de vacances et suivi de Feuilles américaines, textes réunis, présentés et annotés par Lucie Kayas, Arles, Actes Sud, 1999.
Chimènes Myriam, « Francis Poulenc et Geneviève Sienkiewicz : correspondance inédite », in Mas Josiane (éd.), Centenaire Georges Auric - Francis Poulenc, Centre d’étude du XXe siècle, université Paul Valéry, Montpellier III, 2001, p. 239-285.
Poulenc Francis, J’écris ce qui me chante : écrits et entretiens, textes et entretiens réunis, présentés et annotés par Nicolas Southon, Paris, Fayard, 2011.
Poulenc Francis, Lettres inédites à Brigitte Manceaux, édition de Pierre Miscevic, Paris, Orizons, 2019.
prénom | Francis |
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nom | Poulenc |
année de naissance | 1899 |
année de décès | 1963 |
identique à | http://data.bnf.fr/13898628/francis_poulenc/ |
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Traduction d'ouvrage Anglais : Diary of my songs
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