Examen de deux principes avancés par M. Rameau, dans sa brochure intitulée "Erreurs sur la musique, dans l'Encyclopédie"
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Les textes-sources de l’Examen de deux principes (texte principal, et quelques fragments détachés) sont contenus dans les manuscrits autographes conservés à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel (Suisse) sous les cotes MsR 60 (première rédaction), MsR 58 (copie de travail, avec corrections et additions), MsR 59 (copie définitive). La rédaction du texte a été entreprise en 1755 pour servir de réponse à une brochure publiée par Rameau initialement de façon anonyme (Erreurs sur la Musique…), dans laquelle était développée une analyse critique sévère à l’égard du discours de Rousseau sur la musique, spécialement dans six des articles parus dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (vol I à IV) : « Accompagnement », « Accord », « Cadence », « Chœur », « Chromatique », « Dissonance ». Rousseau, après avoir renoncé à une publication en réponse directe, eut le projet de faire figurer son Examen de deux principes en tête de son Dictionnaire de Musique, ce à quoi il renonça lors de la parution de l’ouvrage (1768). Le texte ne fut publié que de façon posthume en 1781 dans l’édition genevoise des œuvres du philosophe. Rameau, pour sa part, prolongeait dans ses Erreurs sur la Musique… le propos initial de ses Observations sur notre instinct pour la musique (1755), démarche complétée par l’examen d’un nouvel article dans la Suite des erreurs sur la musique dans l’Encyclopédie (1756). On peut voir sur le sujet les introductions à l’édition de l’Examen de deux principes, d’une part, de Olivier Pot (Rousseau, œuvres Complètes, vol. v (dir. B. Gagnebin et M. Raymond), Paris : Gallimard, coll. « Pléiade », 1995, p. cxlv-clxiv), d’autre part, de Brenno Boccadoro (« Édition thématique du tricentenaire », vol. xii, Genève : Slatkine - Champion, 2012, p.327-333). Les références de pagination utilisées ci-dessous sont celles de l’édition Gallimard.
Après avoir rappelé le contexte de l’écriture des articles incriminés par Rameau, fait appel au discernement public et lancé quelques pointes polémiques acérées à l’adresse de son censeur (p. 349-350), Rousseau s’attache à une analyse critique radicalement contradictoire de deux principes avancés par le compositeur dijonnais, soit : - l’harmonie est première, et l’unique fondement de l’art musical (la mélodie en dérive) ; - l’harmonie représente le corps sonore.
L’argumentation de Rousseau concernant le premier principe ramellien progresse de façon détaillée et méthodique : l’art musical opère un tri dans la résonance naturelle ; la « proportion harmonique » ne saurait justifier la primauté de la triade majeure (351-352) ; la mélodie s’écarte souvent de la simplicité qui devrait résulter de sa subordination à l’harmonie ; la résonance naturelle ne permet d’expliquer ni le mode mineur ni la dissonance ; les sons engendrés par une basse fondamentale ne sauraient engendrer une bonne mélodie (352-353) ; l’harmonie n’a constitué en rien le fondement des chants dans les anciennes civilisations ; les expériences de Rameau au service de son principe ont été pratiquées avec des individus acculturés, et les résultats en sont infirmés lorsque l’on s’adresse à des individus « plus rustiques » (353-355) ; Rameau fournit des exemples d’harmonisation de simples intervalles, en négligeant le fait que les tonalités (« modulations ») dans lesquelles ils s’inscrivent sont différentes, et en les abstrayant de tout discours suivi, mesuré ou accentué ; or « la mélodie est un langage comme la parole » (355-357).
Le second principe examiné (« L’harmonie représente le corps sonore ») constitue pour Rousseau à la fois une absurdité de nature tautologique (360) et une erreur manifeste, les termes en étant contredits par la pratique ramellienne de l’accompagnement elle-même ; strictement parlant, seul l’accord parfait majeur se révèle compatible avec les conséquences du principe (361-363). Rameau se fourvoie en réclamant « les droits de la nature, mot qu’en qualité d’artiste il ne devrait jamais prononcer » (363). La fin du texte (363-366) se compose d’éléments argumentaires qui tous s’articulent à la réfutation centrale : plaidoyer pour la clarté et la simplicité de l’harmonie ; allusion à la critique de Corelli par Rameau, jugée dépourvue de pertinence ; inanité de la théorisation physique du son, substituée par le Dijonnais à la pensée pythagoricienne de nature mathématique ; critique de la théorie des harmoniques inférieurs, au demeurant incompatible avec les expériences du physicien Sauveur… L’observation des principes de Rameau ne saurait in fine donner que ce qu’elle donne : une mauvaise musique et de mauvais accompagnements (366).
Entre la Lettre sur la musique française, d’une part, certains articles du Dictionnaire de Musique et l’Essai sur l’origine des langues, d’autre part, l’Examen de deux principes constitue bien une pièce essentielle de la pensée de Rousseau concernant la mélodie (sujet central de l’un des textes préparatoires – MsR 60, dont une partie a été publiée sous le titre factice Origine de la mélodie), et sa préséance, en toute bonne musique, sur les prétentions indues de la science harmonique érigée en dogme par Jean-Philippe Rameau.
Pierre SABY
22/12/2023
Pour aller plus loin
Introductions au texte par Olivier Pot (Rousseau, œuvres Complètes, vol. v, dir. B. Gagnebin et M. Raymond, Paris : Gallimard, coll. « Pléiade », 1995, p. cxlv-clxiv), et par Brenno Boccadoro (« Édition thématique du tricentenaire », vol. xii, Genève : Slatkine - Champion, 2012, p.327-333).
Dauphin, Claude et O’Dea, Michael : Rousseau, Jean-Jacques (1712-1778) : présentation synthétique des écrits sur la musique, en ligne sur Dictéco.
Duchez, Marie-Élisabeth, « Introduction » à l’[Origine de la mélodie], dans Rousseau (Jean-Jacques) œuvres Complètes, vol. v (dir. B. Gagnebin et M. Raymond), Paris : Gallimard, coll. « Pléiade », 1995, p.cxxxvii-cxliv.
genre | EssaiPolémique |
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langue | français |
date | 1755 |
description matérielle et bibliographique | Manuscrits autographes conservés à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel (Suisse) sous les cotes MsR 60 (première rédaction), MsR 58 (copie de travail, avec corrections et additions), MsR 59 (copie définitive). Texte publié de façon postume dans le 3e volume des Oeuvres postumes de Jean-Jacques Rousseau parues à Genève en 1781. |
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