Lettre sur la musique française
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Ce texte, qui a nourri des débats jusqu’à la période contemporaine, fut rédigé pour l’essentiel dans les derniers mois de 1752, alors que faisait rage à Paris la Querelle des bouffons, opposant les partisans enthousiastes des commedie per musica et des intermezzi italiens, aux gardiens – ou réputés tels – de la tradition française d’opéra versaillais, tragédie en musique post-lullyste ou opéra-ballet, genres dont le représentant majeur était alors Rameau.
Après la représentation à l’Académie royale de La Serva padrona de Pergolesi par la troupe dirigée par Bambini, le 1er août 1752, c’est, en novembre, la Lettre à une dame d’un certain âge sur l’état présent de l’Opéra de l’italianophile d’Holbach (faisant écho à la Lettre sur Omphale publiée dès janvier par Grimm), qui marque le début de cette querelle sur l’opéra et les styles nationaux. Rousseau, faisant mine de n’avoir pas voulu prendre part à la querelle, publia la version définitive de cette Lettre incendiaire en novembre 1753, alors même que le départ des Bouffons italiens avait été décidé, et que l’intensité des troubles et du débat avait notablement décru.
Le texte consiste en une démonstration argumentée, tout entière tendue vers sa célèbre conclusion, selon laquelle « les François n’ont point de Musique et n’en peuvent avoir ; ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux (92) ». Le fondement de l’argumentation réside dans l’exposé des qualités musicales de la langue italienne (sonore, accentuée, rythmée mais douce et harmonieuse) susceptible de générer naturellement une mélodie souple et expressive (17-18, 31-32), tant dans la musique vocale que dans l’instrumentale, car les caractères de la langue déterminent l’une et l’autre (9), tout cela en regard, terme à terme, des défauts de la langue française, particulièrement impropre à la mélodie et par suite à la musique, parce que sourde (nasales, diphtongues), peu accentuée donc sans prosodie et peu rythmée, et marquée par la dureté de ses consonnes (4-5). Les conséquences de ces faiblesses linguistiques sont nombreuses et rédhibitoires : comme par compensation, usage excessif des agréments dans le chant (sans effet expressif), complexité de l’harmonie (ne produisant que du bruit) ; rythme et mesure insensibles, ce qui autorise les libertés coupables des chanteurs ; tentation de sur-accompagner ou de multiplier les parties et les motifs musicaux, au mépris de la « règle » (spontanément suivie par les italiens, ignorée des français) longuement exposée par Rousseau, d’ « unité de mélodie », selon laquelle toutes les parties d’accompagnement doivent non seulement servir la ligne principale, mais encore en procéder (35-42) ; au lieu de quoi, chaos de motifs sans lien, disjonction entre musique vocale et musique instrumentale, mauvaise exécution, absence d’expression, absence d’ensemble à l’orchestre (11-15)… La simplicité des accompagnements pratiqués par les Bouffons italiens est proposée comme parangon d’expressivité – au prix d’une digression à prétention théorique de valeur contestable (51-58). Différentes parties constitutives de l’œuvre d’opéra sont examinées dans cette perspective : le duo, dont Rousseau prône l’écriture en dialogues alternés ou, éventuellement, sur le mode unanime en lignes parallèles (47-50) ; l’ariette et le monologue français, l’une sans lien avec les scènes dramatiques et sans expression, l’autre traînant et ennuyeux (62-67) ; le récitatif, surtout : nécessaire afin d’éviter au sein de l’œuvre une rupture de « langue » (chanté/ parlé), il doit être proche le plus possible de la parole déclamée, quand les Français, imaginant pallier ainsi le manque de relief de leur idiome, le nourrissent d’intervalles disjoints, de changements de registre, d’intonations « bruyantes et criardes », de « sons soutenus et renflés », instituant ainsi en style une disharmonie fatale entre les caractères de la langue et sa mise en récitatif chanté. Le monologue de l’Armide de Lully, « Enfin, il est en ma puissance », fait l’objet d’un commentaire, vers par vers, stigmatisant les incohérences et les contresens de ce que les Français pensent, à tort, être de la musique.
Dans Au petit prophète de Boehmischbroda (Paris 1753), Diderot proposa de comparer ce monologue avec un morceau italien de même nature au plan dramatique. En 1754, Rameau se livra, dans ses Observations sur notre instinct pour la musique, à une longue analyse critique et contradictoire du commentaire de Rousseau (56, 69-123).
Pierre SABY
13/ 10/ 2018
Pour aller plus loin :
La Querelle des Bouffons (réimpression des brochures et ouvrages édités à Paris et La Haye, 1752‑1754), introd. par Denise Launay, 3 vol., Genève : Minkoff Reprint, 1973, xxviii-3281 p.
éditions numérisées | |
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genre | Essai |
lieu d'édition | s.l. |
années d'édition | 1753 |
nombre de pages | 92 |
langue originale | français |
compositeur |