Lettre à M. Burney et Fragment d’observations sur l’Alceste italien de M. le chevalier Gluck
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C’est à la demande du compositeur, qui lui en avait confié la partition probablement au début de l’année 1774, que Rousseau rédigea à la fin de sa vie ses observations sur l’Alceste italien. Il en fit une mise au propre alors même qu’il ne disposait plus de cette partition, dont Gluck avait repris possession, et en envoya le texte à l’historien anglais Charles Burney, à la suite d’une lettre dans laquelle il soumettait à son correspondant certaines des conceptions fondatrices de sa pensée sur l’art musical. On s’accorde à penser aujourd’hui que la Lettre, sans doute rédigée en 1776 (postérieurement à la création parisienne de l’Alceste français, le 23 avril), fut expédiée en octobre 1777. La Bibliothèque universitaire et publique de Neuchâtel (Suisse) conserve, sous les cotes MsR 64 et MsR 65, les manuscrits ayant servi à l’établissement du texte (Lettre et Fragment) publié dans l’« Édition thématique du tricentenaire » parue en 2012 aux éditions Slatkine - Champion, sous la responsabilité scientifique de Alain Cernuschi. Sur les circonstances de rédaction des deux textes, et l’établissement du manuscrit mis au propre, voir l’introduction de ce dernier (p. 595-605). Les références de pagination utilisées ci-dessous sont celles de cette édition genevoise.
Dans sa Lettre à Burney, Rousseau évoque d’abord le système de notation chiffrée de la musique, qui avait fait l’objet de sa Dissertation sur la musique moderne, en y ajoutant l’idée de la notation « en sillon » (alternativement, par système, de gauche à droite et de droite à gauche, et par page, de haut en bas et de bas en haut, afin d’éviter les sauts à la lecture) (p. 596-600) ; il expose ensuite ses principales idées ou interrogations concernant la musique des anciens Grecs (absence d’harmonie, rapport poésie/musique et déclamation/chant ; existence d’une musique purement instrumentale ?, p. 600-603). Il désigne comme cruciale la question générale du rapport entre musique et langue, et réaffirme l’importance du principe directeur d’ « unité de mélodie » au sein de toute bonne composition musicale (p. 603-604). C’est dans le prolongement de ces préoccupations que s’inscrivent les observations sur l’Alceste.
Selon Rousseau, l’ouvrage de Gluck souffre d’un défaut structurel, car la densité musicale y va en décroissant (p. 605-606), et d’une trop grande uniformité d’expression, car le pathétique y règne d’un bout à l’autre (p. 608). Le musicien n’a pas su contourner le défaut de construction du livret, comme on aurait pu le faire en exploitant mieux les ressources de l’harmonie et du rythme (p. 609-612), et un même type de déclamation domine par trop tout au long de l’œuvre (p. 313), au détriment d’une alternance judicieuse entre récitatif simple, récitatif accompagné, récitatif obligé et airs (p. 614-618). Rousseau rappelle encore que l’harmonie, contrairement aux prétentions françaises, ne saurait à elle seule porter la moindre émotion, et doit agir en auxiliaire de la mélodie et du rythme (p. 618-619). La seconde partie des Observations reprend peu ou prou la matière de ces idées dans le cadre de commentaires ponctuels, attachés à divers passages de la partition (p. 621-633).
Ce sont ainsi les idées directrices de la poétique rousseauiste de la musique et de l’opéra qui nourrissent, dans une formulation concentrée mais porteuse de l’état ultime de la pensée du philosophe, à la fois la Lettre à M. Burney et le Fragment d’observations sur l’Alceste italien de Gluck.
Pierre SABY
25/06/2020
Pour aller plus loin
Lettre de J. J. Rousseau, à M. Burney, Auteur de l’Histoire générale de la musique et Fragment d’observations sur l’Alceste italien de M. le chevalier Gluck, Alain Cernuschi (éd.), dans : Rousseau, Jean-Jacques, Œuvres Complètes, « Édition thématique du tricentenaire », sous la dir. de Raymond Trousson et Frédéric S. Eigeldinger, vol. XII, Écrits sur la musique, Genève et Paris, Slatkine-Champion, p. 581-634. Les deux textes sont également consultables en confiance, ainsi que l’introduction d’Olivier Pot, dans : Rousseau, Jean-Jacques, Œuvres Complètes, dir. B. Gagnebin et M. Raymond, vol. 5, Écrits sur la musique, la langue et le théâtre, Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 433-457 et ccv-ccxxxii.
genre | EssaiLettre |
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langue | français |
date | 1777 |
description matérielle et bibliographique | La Bibliothèque universitaire et publique de Neuchâtel (Suisse) conserve, sous les cotes MsR 64 et MsR 65, les manuscrits ayant servi à l’établissement du texte (Lettre et Fragment) publié dans l’« Édition thématique du tricentenaire » parue en 2012 aux éditions Slatkine - Champion. Ce texte a été publié de façon postume dans le 3e tome des Oeuvres postumes de Jean-Jacques Rousseau (Genève, 1781). |
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