Dissertation sur la musique moderne
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La Dissertation sur la musique moderne (1743) fait partie des ouvrages consacrés par Jean-Jacques Rousseau au « solfège par transposition ». Pour y parvenir, Rousseau propose une notation musicale d’appoint faisant usage des chiffres pour représenter les degrés de la gamme. Au-delà des retombées pédagogiques de sa méthode chiffrée, Rousseau inscrit sa présentation dans la lignée des réformes de la séquence syllabique inventée par Guido d’Arezzo (XIe siècle) pour en adapter l’emploi à une nouvelle stylistique : deux uniques modes, le majeur et le mineur, donnés comme matériau compositionnel à la place de la variété des modes médiévaux. Ainsi faut-il comprendre le titre et le propos de cette Dissertation sur la musique moderne.
Dans ce premier ouvrage publié par lui, Rousseau approfondit et développe considérablement le mémoire qu’il avait présenté à l’Académie des sciences de Paris en 1742 sous le titre de Projet concernant de nouveaux signes pour la musique. Quelle différence entre le modeste projet de réforme de la notation et ce nouvel opuscule auquel Rousseau voudrait accorder une vocation théorique, consacrée, d’après son titre, à révéler un nouvel état du langage musical !
Certes, la visée pédagogique via une réforme du système de représentation des paramètres de durée et de hauteur des sons en est encore le prétexte. On y retrouve le réquisitoire contre l’arbitraire et l’incohérence des liens qui unissent le signifiant graphique et le signifié audio-vocal. Mais bien au-delà, sa critique du code de la notation musicale annonce les grandes dialectiques de l'Essai sur l'origine des langues, de l'Examen des deux principes avancés par M. Rameau et de la Lettre sur la musique française. Dès le quatrième paragraphe, l'auteur de la Dissertation déplore la perte de cette « musique merveilleuse » des anciens Grecs sous la pression obsessive du progrès et de l'innovation, argumentaire généralisé en système dans tous ses écrits musicologiques.
Ne faudrait-il pas alors reconnaître dans ces textes initiatiques de 1742-1743 l'archétype de la pensée dualiste de Rousseau dont l'effet se décuple non seulement dans les écrits sur la musique, mais encore sur l'axe de sa philosophie polarisée entre nature et culture, entre synchronie et diachronie, entre le temps de l'innocence et celui de la corruption ? La philosophie rousseauiste semble justement représenter « cette […] voie moyenne entre l'exercice de pensée logique et la perception esthétique […] tout naturellement [inspirée] de l'exemple de la musique qui l'a depuis toujours pratiquée » dont parle Lévi-Strauss dans son « Ouverture » aux Mythologiques : Le cru et le cuit (Paris, Plon, 1964, p. 22), texte capital pour interpréter la portée anthropologique de la musique.
Dans ces premiers exposés sur la musique, antérieurs à la polémique avec Rameau et au conflit esthétique franco-italien, s'articule une dialectique de la mélodie et de l'harmonie. S'y déploie une démonstration de la prééminence de la ligne de chant articulée à sa structure de gamme préétablie et la reflétant en toute circonstance. Tel est le rôle des vocables de solmisation différemment « teintés » par l’emploi des voyelles sourdes ou claires, servant à l’intonation des degrés de la gamme. De cette syntaxe mesurée sur les intervalles découle le sens mélodique que l'harmonie a beau jeu de soutenir et de colorer.
Toute la théorie musicale de Rousseau tient en cette grammaire tonale que son Dictionnaire de musique, paru en 1767, viendra majestueusement amplifier. L’utilité des chiffres s’en trouve alors relativisée au point de disparaître puisque le véritable fondement en est l’articulation de la solmisation mobile (do, ré, mi…) avec les locus fixes de tonalités exprimés par les lettres A-B-C-D-E-F-G : un solfège à la manière anglosaxonne tout à fait applicable sur la portée sans le concours des chiffres (cf. « La leçon de musique d’Émile ».
La solmisation mobile à double articulation (syllabes amovibles de Guido et lettres absolues fixes) découlant de la modernisation de Rousseau a servi de précepte au Movable Doh préconisé par les réformateurs de la pédagogie musicale anglaise Sarah Glover et John Curwen à la fin du 19e siècle. Cette manière de déchiffrer la musique prévaut dans la plupart des pays anglo-saxons ainsi qu’en Hongrie.
Claude DAUPHIN
10-03-2018
éditions numérisées | |
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genre | Essai |
éditeur | G.-F. Quillau père |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1743 |
nombre de pages | 104 |
langue originale | français |
compositeur |