Mes souvenirs
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Entre le 12 février et le 13 mai 1911, Massenet signe six Souvenirs de théâtre dans L’Écho de Paris. Le compositeur y retrace la genèse et la fortune de Manon (12 février), Werther (26 février), Le Jongleur de Notre-Dame (12 mars), Esclarmonde (26 mars), Hérodiade (9 avril) puis de Thérèse (13 mai) pour accompagner la création parisienne de cet ouvrage. Publiée plus ou moins en alternance avec des articles de Saint-Saëns, cette série rencontre un succès tel que le quotidien incite Massenet à rédiger un ensemble plus complet de vingt-neuf chapitres dont la parution s’échelonne, quelques mois après, entre le 19 novembre 1911 et le 11 juillet 1912, soit quelques jours avant la disparition du compositeur, survenue le 13 août. Comme dans ses derniers articles, Massenet s’attarde très peu sur l’esthétique de ses ouvrages ou de ses pairs pour mieux retracer les grandes étapes de sa carrière artistique et les principaux événements ou rencontres qui ont marqué son existence. Sous l’aspect mondain du discours qui dissimule l’âpreté d’une carrière artistique et les incessants dénigrements dont elle fut l’objet, se dégage la personnalité humaine et artistique d’un auteur qui, s’interrogeant in fine sur le devenir de son Œuvre, se montre attaché à une époque et une tradition française qui, à ses yeux, semblent disparaître.
Intitulée Mes souvenirs (pour mes petits-enfants), cette deuxième série formera la matière principale du livre Mes souvenirs qui paraît peu après (Paris : Lafitte, 1912, 352 p.), avant d’être traduit en anglais par Harry Villiers-Barnett qui avait reçu l’agrément du compositeur (My Recollections, traduit par Harry Villiers Barnett, Boston : Small, Maynard & Company, 1919, 304 p.). En 1992, une première édition critique de Mes souvenirs est publiée par Gérard Condé aux Éditions Plume. Précédés d’une introduction, les chapitres sont annotés, indexés et suivis d’une chronologie biographique, d’une discographie et d’une bibliographie sélective, conçues par Patrick Gillis. L’ensemble diffère ainsi de l’édition de 1912 dans laquelle Mes souvenirs étaient précédés d’une « préface » de Xavier Leroux, rédigée après la mort du compositeur, suivie d’un « Avant-propos » de Massenet. Enfin, des témoignages d’élèves ou d’interprètes et une sélection des discours du compositeur étaient placés en « appendice » pour donner au volume l’aspect d’un testament artistique et littéraire. En rédigeant Mes souvenirs, Massenet avait incontestablement pris goût à l’écriture et à la réflexion puisque, en juin 1912, il s’était engagé par traité à livrer, avant le 1er janvier 1914, un ouvrage substantiel intitulé L’Initiation musicale dont le contenu devait donner « une vue d’ensemble de la musique, pouvant être lue et comprise par tout le monde. » (Mes souvenirs et autres écrits, J-Chr. Branger éd., Paris : Vrin, 2017, p. 42)
Cependant, la valeur de Mes souvenirs est rapidement remise en cause en raison de son ton constamment bienveillant et des multiples approximations qui l’entachent au point que certains, relayés par une tradition familiale, ont douté de l’authenticité d’un texte qui aurait été dicté, selon eux, par le compositeur à un « ghost-writer ». Aujourd’hui, de nombreuses sources, tels les manuscrits autographes des Souvenirs de théâtres, viennent contredire cette affirmation. Massenet a bien rédigé ses Mémoires et supervisé leur publication en feuilletons puis en volume. Dans deux articles qu’ils signent respectivement bien des années plus tard, Adolphe Boschot et Gérard Bauer, journalistes de L’Écho de Paris, affirment certes avoir relu et corrigé les manuscrits du compositeur, mais n’en contestent aucunement la paternité. Par ailleurs, le ton badin et l’objectif de l’ouvrage – « charmer et informer » (Jean-Louis Jeannelle, Écrire ses mémoires au xxe siècle : déclin et renouveau, Paris, Gallimard, 2008, p. 56) – résultent aussi bien d’un courant mémoriel de l’époque que de l’état de santé d’un homme qui subit les effets secondaires euphorisants des doses importantes de morphine qu’il reçoit pour atténuer les douleurs d’un mal qui l’emportera peu après.
Ces nouvelles sources impliquaient dès lors l’établissement d’une nouvelle édition critique (Mes souvenirs et autres écrits, op. cit.) d’autant que la redécouverte du compositeur s’était accompagnée ces dernières années d’une nouvelle publication de Mes souvenirs (Paris : Éditions du Sandre, 2006), dépourvue d’apparat critique, et de deux nouvelles traductions, allemande (Mein Leben, trad. Eva Zimmermann et éd. Reiner Zimmerman, Wilhelmshaven : Heinrichshofen, 1982, 350 p.) et italienne (I Miei ricordi, trad. et éd., Riccardo Viagrande, [Monza] : Casa musicale Eco, 2015, 228 p.), n’interrogeant cependant aucunement la genèse du texte.
Jean-Christophe BRANGER
14/06/2017