Écrits
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Cette anthologie, publiée par Laurent Feneyrou en 2006, a pour but d’offrir au public francophone le premier recueil des écrits de Manzoni, mais aussi de dévoiler une somme exhaustive de sa pensée.
Le volume, dont l’introduction précise le parcours artistique du compositeur, représente en effet une synthèse de deux anthologies en langue italienne (Scritti et Tradizione e utopia) et fournit en même temps la traduction de quatre articles inédits et de nombreux articles publiés dans des revues internationales. De plus, les soixante-deux articles et entretiens de cet ouvrage qui fait référence sont précédés par des notes introductives éclaircissant les enjeux soulevés et présentant des renvois musicaux, philosophiques et historiques. Soulignons aussi que certaines notes de bas de pages, absentes dans les textes originaux, accompagnent le lecteur dans la compréhension des textes et lui suggèrent des approfondissements.
Les quatre sections de ce livre (« Sur les chemins de la modernité », « Philosophie de la nouvelle musique », « Itinéraire » et « Éléments de composition musicale ») reflètent la multitude des intérêts du compositeur. Si la première retrace ce que Feneyrou appelle « la généalogie musicale de Giacomo Manzoni » (p. 16) par des portraits de compositeurs de différentes époques (Monteverdi, Beethoven, Wagner, Mahler, Schoenberg, Webern, Ives, Varèse, Maderna, Stockhausen, Cage et Nono), la deuxième réunit des articles sur Adorno et Thomas Mann. La troisième section se décline en trois parties (« Œuvres », « Scène » et « Littérature »), consacrées respectivement aux œuvres majeures de Manzoni, à des études sur le théâtre musical et le cinéma, et à des réflexions sur d’importants écrivains d’expression allemande (Goethe, Hölderlin, Elias Canetti). La dernière section aborde des sujets théoriques, comme l’exploitation musicale du texte, l’enseignement de la composition ou encore le rapport entre compositeur et public.
La richesse et la diversité des contenus abordés confère à cette anthologie un caractère encyclopédique. Cependant, certains articles méritent une attention particulière, non seulement en raison de l’acuité des considérations avancées, mais aussi car ils permettent de mieux appréhender la poétique du compositeur. Les études consacrées à Schoenberg (p. 77-114), que Manzoni considère comme « un point de référence unique » (p. 82) du point de vue éthique et musical, mettent en avant un homme attaché à la tradition, mais poussé en même temps par un profond désir d’innovation et par une sensibilité non négligeable aux thématiques sociales et politiques. Dans la deuxième section (p. 181-284), sans doute la plus remarquable, Manzoni jette un regard captivant sur la pensée d’Adorno et de Thomas Mann, personnages qu’il a connus personnellement et qui l’ont profondément influencé. On peut y découvrir notamment sa préface aux Dissonances (texte adornien de 1956, mais encore inédit en français) et au Docteur Faustus, où Mann est défini comme étant l’« artisan récalcitrant de l’irruption du nouveau » (p. 260). En plus des trois textes de présentation de ses compositions (Parole da Beckett, Per Massimiliano Robespierre et Masse: Omaggio a Edgar Varèse) et des articles sur le théâtre de Brecht (p. 355-363), signalons aussi l’article qui clôt cette anthologie, intitulé « Retour du refoulé, le langage de la musique comme expression de sentiments ? » et issu d’une communication réalisée en 2000. Convoquant des références à la psychanalyse et aux neurosciences, le compositeur avance ici ses critiques de la musique postmoderne.
Si cet ouvrage comble tout d’abord une lacune bibliographique sur l’un des principaux compositeurs italiens contemporains, il nous livre aussi un témoignage historique fascinant sur la vie culturelle de la seconde moitié du xxe siècle et représente une source de réflexions subtiles d’ordre esthétique, philosophique et musical. Il en ressort par ailleurs une sensibilité culturelle internationale, particulièrement attentive à des figures françaises (Debussy, Varèse, Boulez, Artaud, Sartre, Jean-Pierre Changeux…).
Pietro MILLI
03/06/2018