Grand Traité d'instrumentation et d'orchestration modernes
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Parmi les ouvrages de Berlioz, le Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes est le seul à portée ouvertement théorique, le seul également à recevoir un numéro d’opus (op. 10), au même titre que ses œuvres musicales. Issu d’une série de 16 articles parus dans la Revue et gazette musicale entre le 12 novembre 1841 et le 17 juillet 1842, sous le titre « De l’instrumentation », ce traité, daté de 1844, paraît fin 1843 chez Schonenberger ; pour sa nouvelle parution remaniée (Lemoine, 1855), il est augmenté d’un chapitre sur le chef d’orchestre, qui paraît également l’année suivante de façon séparée chez Schonenberger sous le titre Le Chef d’orchestre. Théorie de son art. Extrait du Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes par Hector Berlioz. Cet ouvrage manifeste à la fois l’intérêt constant porté par Berlioz aux sonorités de l’orchestre (pour lui, celles-ci ne constituent pas une coloration, elles sont indissociables de l’idée musicale) et l’effervescence organologique de cette période : au fil des trois étapes éditoriales disparaissent un certain nombre d’instruments (le luth, le cor de basset), tandis que d’autres font leur apparition (instruments de Sax, mélodium, octobasse, etc.).
Comme le montre la page de titre annonçant « le tableau exact de l’étendue, un aperçu du mécanisme et l’étude du timbre et du caractère expressif des divers instruments », ce traité possède à la fois une dimension technique, visant à spécifier les usages de chaque instrument, et une dimension poétique, visant à préciser la propriété, la nécessité et la convenance de ces usages au regard du pouvoir expressif de chaque instrument. Aussi repose-t-il sur un puissant imaginaire qui fait de l’orchestre un théâtre, et des instruments différents personnages, tour à tour épiques (le trombone), héroïques (la clarinette), poétiques et religieux (la harpe), mélancoliques et rêveurs (le cor anglais), etc. Soixante-six grands exemples en partition, tirés de Gluck (17), Beethoven (17), Berlioz lui-même (11), Meyerbeer (8), Mozart (4), Weber (3), Spontini (2), Rossini (2), Méhul (1) et Halévy (1), viennent enrichir cet ensemble consacré successivement aux instruments à cordes, aux instruments à vent (parmi lesquels Berlioz intègre les voix), aux percussions enfin.
La « modernité » proclamée par le titre est liée à l’usage novateur que Berlioz fait du terme même d’orchestration (même si la forme du traité tend encore à isoler dans leur approche chacun des instruments), à la définition révolutionnaire de l’instrument de musique qu’il propose (« Tout corps sonore mis en œuvre par le Compositeur »), et à sa vision d’un orchestre idéal aux effectifs pléthoriques ; mais tout en affirmant la nouvelle suprématie du timbre, devenu paramètre déterminant de la composition, l’« Introduction » du traité condamne simultanément, de façon antimoderne, « l’exagération » qui serait devenue la marque de l’orchestration contemporaine.
Si ce traité d’orchestration n’est pas le premier du genre (il a été précédé par celui de Georges Kastner) et s’il a rapidement été concurrencé par celui de François-Auguste Gevaërt, il a néanmoins connu une riche postérité. En France, il a été lu et médité par de nombreux compositeurs, depuis Saint-Saëns (qui affirme que « c’est avec [lui] que toute [sa] génération s’est formée ») jusqu’à Ravel (qui en avait une copie sous la main à Montfort l’Amaury) ; Widor s’est employé à le compléter dans son ouvrage Technique de l’orchestre moderne, faisant suite au Traité d’Instrumentation et d’Orchestration de H. Berlioz, avant que le Traité d’orchestration de Koechlin s’impose comme la nouvelle référence incontournable. A l’étranger, des traductions allemande et italienne, puis anglaise et espagnole parurent du vivant de Berlioz ; Richard Strauss rédigea une série de Commentaires et adjonctions afin d’enrichir le traité berliozien des leçons wagnériennes. C’est l’ouvrage de Gevaërt, sans doute plus pédagogique, qui fut traduit par Tchaikovsky en russe à la demande de Rubinstein, mais les compositeurs « Groupe des Cinq » lurent celui de Berlioz en français et en tirèrent maintes leçons d’orchestration, qui alimentèrent également le traité de Rimski-Korsakov intitulé Les Principes d’instrumentation.
Emmanuel Reibel
13/02/2017
Table des matières (édition 1855)
1/ Instruments à archet
2/ Instruments à cordes pincées (la harpe, la guitare, la mandoline)
3/ Instruments à cordes à clavier (le piano)
4/ Instruments à vent à anche
5/ Instruments à vent sans anche
6/ Instruments à vent à clavier (l’orgue)
7/ Instruments de cuivre et à embouchure
8/ Instruments à embouchure et en bois (le serpent, le basson russe)
9/ Les Voix
10/ Instruments à percussion
11/ Instruments nouveaux (les saxophones, les saxhorns, les saxotrombas, les saxtubas, le concertina, l’orgue mélodium d’Alexandre, les pianos et les mélodiums d’Alexandre à son prolongé, l’octobasse)
12/ L’Orchestre
13/ Le Chef d’orchestre
Pour aller plus loin
Hugh Macdonald, Berlioz’s Orchestration Treatise. A Translation and Commentary, Cambridge University Press, 2002.