Technique de l'orchestre moderne faisant suite au Traité d'instrumentation et d'orchestration de H. Berlioz
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Charles-Marie Widor (1844-1937) publie son traité d’instrumentation à l’âge de 60 ans, un an avant de reprendre la classe de composition de Théodore Dubois au Conservatoire de Paris, un an également avant que Richard Strauss ne publie en Allemagne sa propre révision du Traité d’orchestration et d’instrumentation modernes de Berlioz. Widor lui aussi conçoit son ouvrage comme une suite au traité de Berlioz, dont il entend rectifier les « inexactitudes » et combler les « lacunes » nées de l’inévitable évolution organologique. Si l’introduction sacralise littéralement le modèle berliozien, le nouvel ouvrage n’est pas le simple « appendice » qu’il prétend être. Il témoigne de l’assimilation, par Widor, de plusieurs traités d’instrumentation, dont ceux de Kastner et de Gevaert (cités dans le texte) ; il reflète l’évolution des instruments et de leur usage à l’aube du XXe siècle, à la lumière de très nombreux exemples orchestraux actualisant le répertoire de référence pour tout apprenti compositeur.
De Berlioz à Widor, certains articles ont disparu, qu’il s’agisse d’instruments anciens (viole d’amour, serpent, basson russe, cor de basset, mandoline), des voix (volontairement omises), ou d’autres instruments plus étonnamment laissés de côté (guitare et surtout piano). L’instrumentarium s’enrichit en revanche du hautbois baryton, de la trompette basse ou du trombone contrebasse, ainsi que de plusieurs percussions (tambourin, castagnettes, timbres, célesta et xylophone). L’approche de Widor est essentiellement technique : il s’étend longuement, par exemple, sur la question des trilles et des batteries des instruments de la petite harmonie (dont il donne des listes complètes), sur la respiration et les articulations des cuivres, sur le mécanisme et la dynamique des timbales, ou encore sur les doubles, triples et quadruples cordes du quatuor (listes exhaustives d’accords de septième ou de neuvième avec leurs résolutions). De nombreux exemples musicaux émaillent le propos, témoignant de la très vaste culture symphonique de son auteur : sans oublier les anciens (de Bach à Berlioz en passant par Gluck, Beethoven ou Weber), Widor privilégie l’école française post-berliozienne (Bizet, Saint-Saëns, Lalo, Dubois, Massenet, mais aussi Busser, Lenepveu, Paladilhe), sans oublier de s’autociter au passage (2e Symphonie, Ouverture espagnole, Choral et Variations, Les Pêcheurs de Saint-Jean) ; mais les Allemands sont aussi à la fête (Wagner est omniprésent, Schumann et Brahms apparaissent çà et là, les Russes sont également pris pour modèles). Widor termine généralement chacune des sections de l’ouvrage en prescrivant un répertoire à étudier pour approfondir le sujet (ses recommandations incluent les musiciens de l’école scandinave ou les compositeurs américains).
De façon attendue de la part de celui qui tint le Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice pendant soixante-quatre ans, le chapitre sur l’orgue constitue un petit essai quasi autonome, qui s’en prend au « malheureux organiste qui a documenté [Berlioz] à contre-sens » (p. 178) ! Alors que son aîné avait pointé une antipathie entre « l’Empereur » et le « Pape » (entendez l’orchestre et l’orgue), Widor s’emploie à prouver le contraire, en montrant combien les salles de concert modernes ne peuvent plus faire l’économie d’un orgue. Le propos est à la fois historique et polémique : il s’en prend à l’imperfection des orgues pneumatiques et électriques, et égratigne les interprètes sentimentalisant le jeu de cet instrument. Widor cherche à réconcilier deux de ses modèles, Bach et Berlioz, « deux cerveaux antipodiques » qui selon lui « courent après le même idéal » (p. 178) ; il ne cesse, ce faisant, de louer les vertus musicales de son instrument, « le plus puissant moyen d’expression de ce qui est grand, immuable, éternel » (p. 188).
Widor referme son traité en incitant à l’étude de nombreux compositeurs contemporains et en livrant quatre conseils pratiques qu’il développe brièvement : « Écrivez votre orchestre de telle sorte que chaque groupe puisse s’entendre isolément » ; « Écrivez de telle sorte que chaque musicien comprenne son rôle dans l’orchestre » ; « Associez l’idée des contrastes sonores à celle des changements de tonalités » ; et « Maintenez votre instrument de premier plan dans le registre de la meilleure sonorité ». Six exemples orchestraux en pleine page illustrent enfin tour à tour l’alliance flûte / altos / harpe (quatrième acte du Sigurd de Reyer), la « sonorité grasse du quatuor soutenu par les cors et la harpe » (Hänsel und Gretel d’Humperdinck), le « dessin du quatuor produisant l’effet d’un trille continu » (6e Symphonie de Glazounow), la sonorité « brillante » (La Princesse d’auberge de Blockx), la sonorité « grasse et pleine » (Sainte Godelive d’Edgar Tinel), et un « effet de contraste violent et dramatique » (2e acte de Siberia de Giordano).
Dans son ouvrage sur Ravel, Roland-Manuel signale que le compositeur et orchestrateur avait toujours à portée de la main le Traité de Widor, "aide-mémoire où il trouvait la liste des trilles et batteries exécutables sur chaque instrument". Signe de son succès, l’ouvrage paru en 1904 connut quatre éditions jusqu’en 1914, ainsi qu’une cinquième édition revue et augmentée en 1925. Il fut réimprimé en France en 1979, et il connut très tôt des traductions allemande (1904) et anglaise (1906), qui furent elles-mêmes rééditées par la suite.
Emmanuel REIBEL
08/04/2020
Révisée le 04/02/2022
éditions numérisées |
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genre | Traité |
éditeur | Henry Lemoine et Cie |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1904 |
nombre de pages | 276 |
langue originale | français |
traductions | |
compositeur |