Voyage musical en Allemagne et en Italie

En 1844 ce que livre le compositeur n’est en fait qu’une sélection réordonnée et retouchée de ceux de ses articles de presse parus depuis 1830 qu’il veut sauver de l’oubli. Ainsi s’explique l’aspect mosaïque de ce recueil qui trace à sa guise le portrait d’un romantique sous Louis-Philippe. Berlioz n’y observe pas l’ordre chronologique d’une biographie, sans quoi le volume II aurait dû être premier, mais, selon son aptitude poétique et fantastique, il transmue son quotidien en faits littéraires.

Le Voyage musical procède à la manière de l’imagination kaléidoscopique de la Symphonie fantastique. N’en prolonge-t-il pas, à certains égards, le programme ? Ce livre est aussi à l’oeuvre littéraire de Berlioz ce que sont à son œuvre musical la Messe solennelle, ou des Huit scènes de Faust : un opus premier motivé par le double désir d’attirer l’attention de Paris et de proclamer une vérité esthétique.

Berlioz puise le  plus souvent dans la Revue et Gazette musicale de Paris et le Journal des débats, il reprend aussi le Correspondant (1830), l’Europe littéraire, le Rénovateur, l’Italie pittoresque… Le livre évite le risque de désordre qu’engendre la variété des genres – récits de voyage, études, nouvelles, mélanges –, par l’unité du style et la vivacité du ton. La technique narrative alors très en vogue fonde l’essentiel de l’ouvrage. Elle procède soit par des lettres ouvertes à l’adresse de correspondants réels ou fictifs du monde contemporain ou passé, soit par une suite de courts récits d’épisodes rocambolesques et pittoresques. Les « études » concernent des considérations sur les symphonies, sonates, trios de Beethoven, le Freischütz et les deux Alceste. Elles sont rédigées dans le goût d’Hoffmann. Les « mélanges » et « nouvelles » trouvent place à des moments sratégiques de l’ensemble – transition, introduction ou épilogue. Ce sont des textes de divers orientations : méditatifs – « De la musique en général » (I, p.239-266) –, romanesques  – « Le suicide par enthousiasme » (II, 309-340) –, ou d’une actualité presqu’opportuniste : « Tribulations d’un critique musical » (I, 407-420), voire critique, tel le triptyque charge sur la carrière du ténor : « Astronomie musicale » (II, p. 341-368). 

Ces voyages sont directement écrits pour le lectorat artiste de Paris, avec lequel ils dialoguent et pour lequel ils rétablissent la vérité des faits, notamment celle de la chute de Benvenuto Cellini. L’institution musicale française du Conservatoire autour du Prix de Rome, celle de l’Opéra, sont certes au cœur du sujet, mais plus encore la personnalité de Berlioz. Son statut de narrateur lui permet d’expliquer la place complexe qu’il revendique dans une société dont il ne peut se passer mais dont il fustige l’extrême médiocrité. Cette première publication, qui dit le combat de Berlioz, survient à un moment-clé de sa carrière où il cherche difficilement à s’imposer sur de nombreux fronts. Outre une forme d’autopromotion mise en scène avec beaucoup de verve et d’humour, ce ouvrage confirme l’esthétique de Berlioz.  

Alban RAMAUT

09/03/2018