Claude Ballif (1924-2004)
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L’œuvre écrite de Claude Ballif (1924-2004) est particulièrement importante. Elle comprend deux ouvrages théoriques : Introduction à la métatonalité (Paris, Richard-Masse, 1956), qui a fondé son activité compositionnelle à l’orée de sa carrière après la Seconde Guerre mondiale et Économie musicale : Souhaits entre symboles, (Paris, Méridien-Klincksieck, 1979), qui est une sorte d’anti-traité de composition. Viennent s’ajouter un Berlioz, dans la fameuse collection « Solfège » (Éditions du Seuil, 1968), un recueil d’articles réunis sous le titre Voyage de mon oreille (Union générale d’Editions, coll. 10-18, 1979) ainsi que deux livres d’entretiens : L’Habitant du labyrinthe, avec Alain Galliari (Pro Musica, 1996) et Claude Ballif, musicien de la révélation, avec Bruno Serrou (Michel de Maule, 2004).
Par ailleurs, Claude Ballif a publié plus de 90 articles : textes scientifiques (comme « L’Ars Nova et Guillaume de Machaut », écrit pour l’Encyclopédie des musiques sacrées), notices sur des compositeurs, des poètes ou des peintres (Berlioz, Couperin, Debussy, Liszt, Mallarmé, Seurat, Varèse, Wyschnegradsky, etc.), contributions répondant à des demandes particulières (conférences, entretiens, textes sur ses œuvres ou écrits autobiographiques) À l’exception du Berlioz et des entretiens avec Bruno Serrou, toujours disponibles, ces principaux textes ont été réunis dans deux volumes parus en 2015 chez Hermann.
Les écrits de Claude Ballif sont conservés à la Médiathèque musicale Mahler – Fondation Royaumont, à laquelle les ayants droit du compositeur ont confié ses archives. En plus de ces écrits, celles-ci comprennent les manuscrits et partitions de ses œuvres ainsi que de nombreux documents (notes, esquisses, correspondance, programmes de concerts, photographies, etc.)
Les écrits de Claude Ballif répondent à un double objectif théorique et pédagogique. Avec l’Introduction à la métatonalité (1956), l’écriture est avant tout théorique et accompagne son travail de compositeur. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, Ballif se positionne comme compositeur au sein d’une génération particulièrement riche (Boulez, Barraqué, Berio, Stockhausen, etc.). Il cherche alors à résoudre l’opposition qu’il juge artificielle entre tonalité et atonalité, en la dépassant par le concept de métatonalité, forgé à partir de sa pratique compositionnelle : « cette métatonalité m’a permis de dépasser les concepts surannés et tout conventionnels de modalité, tonalité et atonalité pour les ouvrir vers une seule conception, illustrée par une gamme unique métatonale [de onze sons] » (« L’habitant du labyrinthe », entretien avec Alain Galliari, Ecrits, vol. 1, p. 475, Hermann, 2015). Il ne s’agit pas de faire table rase du passé, mais d’essayer de dépasser les oppositions, de les rassembler en les surpassant : Ballif est de ce point de vue un « médiateur » (Daniel Charles).
Professeur à l’École normale de musique de Paris (1963-1964), au Conservatoire de Reims (1965-1971), puis au Conservatoire de Paris (1971-1989), et à la fin de sa vie, à Sevran (1990-2000) et à Caracas (2000), Ballif écrit également des textes de nature pédagogique. Il a ainsi rassemblé ses réflexions sur la composition dans son Économie musicale : Souhaits entre symboles dédiée à ses étudiants de l’Université McGill, à Montréal, où il a enseigné en 1978-1979.
Dans les années 1960-1970, Ballif est à l’honneur dans La Revue musicale. Dirigée par Albert Richard, qui avait publié son Introduction à la métatonalité et avec lequel Ballif entretint des liens d’amitié, La Revue musicale accueille en 1968 sa « Réponse à l’enquête de Boucourechliev : la musique sérielle d’aujourd’hui » et « Points-mouvements » ; et en 1984, pour ses 60 ans lors du Festival Estival de Paris à l’initiative de Bernard Bonaldi, les « Fragments retrouvés » et « Propos de Claude Ballif », recueillis par Bernard Bonaldi, Francis Bayer et Francis Pinguet. En 1972, Ballif dirigea aussi un numéro de la revue sur Nicolas Obouhow et Ivan Wyschnegradsky dans lequel est publié « Idéalisme et matérialité », sujet du long exorde précédant sa présentation de Scriabine, Obouhow et Wyschnegradsky (le texte sera repris dans Voyage de mon oreille).
Ballif a fait preuve de discrétion sur sa propre activité de compositeur comme sur ses œuvres. Mais à l’occasion de conférences, il a pu présenter « sa vision » de la musique et de son activité de compositeur, ainsi que son lien à la foi, comme le montre l’importance de ses œuvres religieuses. On peut aussi citer les entretiens avec Alain Galliari et Bruno Serrou ou les correspondances publiées, dans lesquelles il s’est également exprimé avec précision sur certaines de ses pièces : le Coup de dés avec Daniel Charles ; ses musiques d’orgue avec Yves-Marie Pasquet ; son Passe-temps op. 38 n° 2, pour piano, avec Dick Higgins (Écrits, vol. 2, Hermann).
L’écriture est pour Ballif un acte d’affermissement de son travail de compositeur : soit pour se définir et expliciter son œuvre, soit pour se positionner dans l’histoire de la musique par rapport à ses contemporains et à ses « phares », Machaut, Bach, Berlioz, Debussy, Scriabine, Varèse, Webern ou Wyschnegradsky. Claude Ballif possède un style propre, une façon bien à lui de se dire et de s’exprimer : son écriture est imagée, parfois elliptique, toujours vive et percutante. Il donne souvent de nombreux exemples empruntant à la littérature, la poésie, la peinture ou la philosophie – ce qui peut donner parfois le tournis à son lecteur.
Si, pour lui, « il est beaucoup plus facile d’écrire de la musique qu’un article » (Claude Ballif, un musicien de la révélation, entretien avec Bruno Serrou, Éd. Michel de Maule, p. 34), il avait une relation particulière au langage et aux mots, comme l’illustre l’importance de son œuvre vocale composée à partir des poèmes de Mallarmé (Le Coup de dés, Chansons bas), Apollinaire (Le Cortège d’Orphée – le Bestiaire), Trackl (Musik im Mirabell), Tzara (Minuit pour géants), Henri Michaux (Apparitions), Roger Giroux (Retrouver la parole) ou André Brochu (Poèmes lents). Cependant, au-delà du texte poétique, Ballif distingue bien littérature et musique : « Toutes choses égales, il y a le même monde extrême entre la musique et la littérature qu’entre le monde marin et celui de la terre. La terre appartient aux lettres, la musique à l’onde marine » (« Littérature et musique », Écrits, vol. 2, p. 387).
Il est difficile d’évaluer la réception des écrits de Ballif. L’Introduction à la métatonalité est parue en 1956 alors qu’il était en Allemagne. Son influence s’est sans doute faite sentir plus tard auprès de ses élèves. Marc-André Dalbavie a eu recours à certains aspects de la métatonalité dans sa pièce pour orchestre Color (2001). Mais sans doute ce compositeur indépendant séduit-il d’abord par sa liberté de ton, qui s’exprime, selon Alain Poirier, « dans un style caustique qui sera le sien tout au long de ses écrits et déclarations, mêlant la révolte et la passion, la griffe du chat et l’élégance de l’érudit », (« Préface », Écrits, Hermann, vol. 1, p. 5). La lecture de ses textes, parfois difficile, provoque cependant une profonde admiration devant sa réflexion musicale, toujours vive, mêlée à sa vaste culture, présentée sans pédanterie et avec humour.
Gabriel BALLIF
14/12/2020
Pour aller plus loin :
Site Claude Ballif : www.claudeballif.com
http://www.mediathequemahler.org/mmm/ressources_en_ligne/fonds_d_archives#ballif
Biget, Michelle et Castanet, Pierre-Albert (dir.), Claude Ballif, numéro 20-21 des Cahiers du CIREM, 1991.
Charles, Daniel, « Ballif le médiateur », Revue musicale, n° 263, 1968, p. 19 ; repris dans Charles, Daniel, Musiques nomades, Kimé, 1998.
Charles, Daniel « Ballif, le postmoderne », dans Charles, Daniel, La fiction de la postmodernité selon l’esprit de la musique, Paris, PUF, 2001.
Tosi, Michèle, L’Ouverture métatonale, Paris, Durand, 1992.
Tosi, Michèle, Claude Ballif, Cahors, PO Éditions, 1996.
prénom | Claude |
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nom | Ballif |
année de naissance | 1924 |
année de décès | 2004 |
identique à | https://data.bnf.fr/13891103/claude_ballif/ |