Elsa Barraine (1910-1999)
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Grand Prix de Rome en 1929, Elsa Barraine bénéficie d’une certaine renommée dans la France de l’entre-deux-guerres et de l’immédiat après-guerre. Communiste, elle s’engage dans la Résistance en cofondant et en animant le Front national des musiciens pendant l’Occupation. Elle commence à perdre en notoriété après son départ du Parti communiste français fin 1949, et s’éloigne progressivement de la composition à partir des années 1960, pour se consacrer à l’enseignement. La plupart des écrits publics d’Elsa Barraine consistent en des articles ayant trait à la musique, parus dans des journaux de gauche (L’Art musical populaire, L’Humanité) avant et après la Seconde Guerre mondiale.
Il existe une vingtaine d’articles recensés, et sans doute plus à découvrir. La compositrice a également eu à plusieurs reprises le rôle de cheffe de la rubrique musicale dans des journaux (L’Humanité, Ce soir), voire de rédactrice en chef dans un périodique musical (L’Art musical populaire). Entre 1937 et 1939, Elsa Barraine écrit régulièrement dans deux journaux de gauche. Dans L’Humanité, elle rédige de courtes critiques relatives à des parutions musicales aux Éditions sociales internationales, maison d’édition communiste où elle a peut-être été employée. Dans L’Art musical populaire, journal musical de gauche qui sert de bulletin à la Fédération musicale populaire (FMP), elle écrit principalement des articles de vulgarisation musicale. Destinés à un public intéressé par la musique, mais peu éduqué, ces articles ont aussi pour objectif de donner des idées de pièces à monter aux chorales populaires fédérées par la FMP. En 1939, Barraine semble tenir le rôle de rédactrice en chef de ce bulletin.
Pendant la guerre et l’Occupation, ces journaux cessent de paraître. Barraine publie toutefois deux articles en 1940 dans le journal de l’Orchestre national, où elle travaille. C’est là qu’elle publie en novembre 1940 sa tribune « A la musique ». Elle qui s’était dévouée à la musique prend douloureusement conscience de l’impuissance de son art et, désillusionnée, jure qu’elle ne pourra y revenir que « lorsque le mal sera jugulé ». De fait, elle cesse de composer jusqu’à la Libération, mettant son énergie dans le groupe de résistants qu’elle anime, ainsi que dans les petits boulots qu’elle enchaîne pour survivre. Elle collabore sans doute à la rédaction ou à l’édition du journal clandestin du Front national des musiciens, Musiciens d’aujourd’hui. Aucun article ne peut toutefois lui être attribué avec certitude.
Pendant l’Occupation, elle entretient une longue correspondance avec son ami Wolfgang Simoni, alias Louis Saguer. Ce compositeur allemand, juif, communiste et homosexuel, se cache alors en France, en zone sud. Ces échanges, non publiés mais conservés dans le fonds Barraine de la BnF, sont très instructifs sur la vie quotidienne de la compositrice durant la guerre.
Après la Libération, Elsa Barraine reprend la plume dans les journaux communistes, en même temps qu’elle se remet à composer. Figure de la Résistance, celle qui a cofondé le Front national des musiciens est nommée responsable des rubriques musicales de L’Humanité et de Ce soir entre 1944 et 1946. Elle tient une ligne dure quant à l’épuration du monde musical, et écrit plusieurs articles à ce sujet. La compositrice prend aussi position pour la musique progressiste dans la querelle de la doctrine Jdanov, dans une longue tribune intitulée « Musiciens réactionnaires et musiciens progressistes » publiée dans La Nouvelle Critique en mai 1949. Ces activités journalistiques cessent après son départ du Parti communiste, en décembre 1949. Elle entretient également une amitié avec l’écrivain Paul Eluard, dont elle met en musique cinq poèmes entre 1944 et 1977.
Barraine ne se remet à publier dans la presse qu’à partir des années 1980, avec quelques articles portant sur l’éducation musicale en URSS, ainsi que sur des échanges entre musiciens français et soviétiques. Elle rédige également une traduction demeurée inédite de l’ouvrage russe La pensée polyphonique chez Stravinsky de Vsevolod Zaderatsky.
Elsa Barraine entretient une relation complexe à l’écriture. Dans sa jeunesse, elle n’a reçu aucune instruction scolaire. Née dans une famille de musiciens, elle entre au Conservatoire à l’âge de neuf ans, et c’est un vieux voisin qui lui dispense des cours de culture générale et de grammaire. A 17 ans, elle entre dans la classe de Paul Dukas, qui l’initie à tout un contexte culturel qu’elle ignorait jusqu’alors. Le compositeur devient pour elle un mentor intellectuel, en plus d’incarner un modèle musical. L’enseignement de Dukas donne à Barraine une véritable soif de savoir, en même temps qu’un complexe relatif aux lacunes de son éducation. Pourtant, Elsa Barraine écrit beaucoup, du moins dans le cadre privé. Son abondante correspondance avec son ami Louis Saguer durant la Seconde Guerre mondiale en témoigne. Dans les années 1930, elle entretient aussi une correspondance son amie compositrice Claude Arrieu, ainsi qu’avec Dukas, dont elle s’est rapprochée après son départ du Conservatoire, jusqu’à devenir son amie. Mais la compositrice confie des difficultés à écrire les articles qu’elle publie régulièrement dans la presse. « Je passe un temps fou pour fagoter un article et c’est quand même mauvais », déplore-t-elle dans une lettre à Jean-Richard Bloch le 22 juillet 1946. On notera que les publications d’Elsa Barraine sont correctement écrites, sans pour autant se démarquer par leur qualité stylistique. Une légère tendance à l’oralité et aux familiarités peut parfois être décelée. Elle est beaucoup plus prégnante dans sa correspondance, où l’argot est omniprésent.
Mariette THOM
05/01/2022
Pour aller plus loin :
Bourrin Odile, Germain-David Pierrette, Massip Catherine et Ourgandjian Raffi, Elsa Barraine, 1910-1999: une compositrice au XXe siècle, Sampzon, Delatour, 2010.
Hamer Laura, Female Composers, Conductors, Performers : Musiciennes of Interwar France, 1919-1939, Abingdon, Oxon, New York, Routledge, 2018.
Le Bail Karine, La musique au pas : être musicien sous l’Occupation, Paris, CNRS éditions, 2016.
Reynaud Cécile, Hommage à Elsa Barraine (1910-1999), catalogue d’exposition 2011-2012, Paris, BNF, Département de la Musique, 2011.
Thom Mariette, Elsa Barraine (1910-1999), une compositrice engagée, mémoire de Master 2 en histoire, Sorbonne université, 2019.
Kollinger Franziska, « Elsa Barraines politische verflechtungen (1940/1944/1949) » in Archiv Für Musikwissenschaft, vol. 78, n°2 (2021), p. 122-135.
prénom | Elsa |
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nom | Barraine |
année de naissance | 1910 |
année de décès | 1999 |
identique à | https://data.bnf.fr/14020314/elsa_barraine/ |