Gilbert Amy (1936)
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Les articles de Gilbert Amy, peu nombreux et répartis sur l’ensemble de sa carrière (entre 1958 et 2012), seraient dispersés si Pierre Michel n’avait édité une anthologie rassemblant quelques-uns des principaux textes et entretiens du compositeur (Amy … un espace déployé, Millénaire III, 2002). Entre les hommages à Barraqué – celui strictement musical à Guézec dans Un désastre obscur apparaît comme autrement plus sensible –, à Boulez et à Messiaen et les notices consacrées à ses propres œuvres, les écrits d’Amy exposent des réflexions riches de conséquences au travers de quelques articles développés.
Si les écrits d’Amy ne présentent pas la même capacité d’abstraction que ceux de Boulez, ils s’inspirent de la façon dont ce dernier prend toujours soin d’inscrire sa réflexion dans l’histoire. Les articles d’Amy sont majoritairement ceux d’un pragmatique qui, même quand il part d’une problématique générale – le matériau, la forme ouverte, l’espace ou la forme –, aboutit à ses propres expériences et à ses propres œuvres. De fait, la majeure partie de ses écrits contribue à alimenter un « journal » du compositeur qui accompagne son œuvre et expose son action dans un contexte précis. Les précieux entretiens radiophoniques avec Clément Rosset (France Culture, 1996, repris dans l’anthologie de Pierre Michel, permettent de relier efficacement l’ensemble des prises de positions du compositeur).
Le parallèle, maintes fois convoqué, entre Amy et Boulez, son mentor, repose d’abord sur la diversification de ses activités professionnelles : le compositeur, le chef d’orchestre et l’homme d’institutions. Proche de Boulez dans ses premières œuvres jusque dans les années soixante, il lui succède à la tête du Domaine musical (1967-1974), puis élargit son expérience avec la fondation d’un grand orchestre en 1974 (Nouvel Orchestre Philharmonique), avant de prendre la direction du CNSMD de Lyon en abordant l’expérience inédite de la pédagogie (« La transgression et la règle », InHarmoniques n°6). Mais déjà la programmation de plus en plus personnalisée du Domaine musical prenait nettement ses distances avec celle de Boulez (« Quelques repères sur le Domaine musical et le Nouvel orchestre Philharmonique », http://www.academie-des-beaux-arts.fr), élargissant le répertoire aux minimalistes américains, à Kagel ou aux expériences d’improvisation qui marquent le contexte de 1968 et des années qui suivent. Si le compositeur s’en nourrit tout en restant fidèle à ses options esthétiques : la conception d’un orchestre à géométrie variable imaginée en 1974 renvoie à ses nombreuses œuvres reposant sur la spatialisation de l’orchestre à partir de la division entre plusieurs groupes (« Orchestre et espace sonore »). De Diaphonies (1962) à D’un espace déployé… (1973), cette dernière reprenant efficacement l’ancienne notion de ripieno et de concertino entre les deux parties orchestrales, Amy considère les notions d’espace, de mobilité et de hasard dès 1960 dans « Orchestre et espace sonore », article important et développé qui annonce les œuvres à venir. Prenant appui sur Gruppen de Stockhausen et Doubles de Boulez, il adopte un point de vue historique au travers de diverses conceptions orchestrale du xxe siècle – « Phénomène intéressant : ce n’est pas à travers les “virtuoses” de l’orchestre, comme Ravel et Stravinsky, que se fera la révolution » (p. 61) – en identifiant des positions fondatrices chez Debussy et Schoenberg : « À des degrés différents apparaissent, chez eux et pour la première fois, un aspect fonctionnel de la relation son-instrument (mélodie-instrument) et à travers lui, un traitement “spatialisé” de la masse orchestrale. » (p. 62).
Repartant du modèle boulézien pour faire émerger une position plus personnelle, Amy s’appuie sur la nécessité de rappeler esthétiquement l’apport de l’expérience vivifiante de Darmstadt – « un projet sonore fondé sur un matériau non plus collectivement mais individuellement préformé » (« L’étincelle marginale », p. 133) – dont le risque peut conduire à une diversification trop grande, due à une multiplicité de situations individuelles. De même, Amy rappelle son attachement à l’harmonie dans la musique française (« La régie de l’intervalle dans la musique française d’après Debussy », 20e siècle, images de la musique française, textes réunis par J.-P. Derrien, Sacem-Papiers, 1986). Ce dernier texte, à mettre en regard avec ceux de 1960 et de 1976, principalement consacré à D’un espace déployé… et Seven Sites (« Sur certains aspects du langage musical aujourd’hui »), est instructif dans le panorama proposé à partir des Nocturnes de Debussy (auxquels Amy a consacré une analyse minutieuse – inédite mais reprise indirectement dans cet article – dans une conférence de 1982, « Autour de la notion de thème, motif et intervalle ») jusqu’à la Deuxième Sonate de Boulez.
La préoccupation de l’harmonie renvoie enfin à celle de la réception de l’œuvre, en faveur du développement de nouvelles raisons d’écouter (« Orchestre et espace sonore », p. 72), prolongée cinq ans plus tard dans « Redéfinir l’écoute » (p. 145). La jointure entre harmonie et perception résulte du travail abondant d’Amy dans ses nombreuses œuvres spatialisées, nourrie par son activité de chef d’orchestre. Après les premières expériences préparant pour une large part la recherche dramaturgique entre texte et musique pour Images d’un monde visionnaire, film d’Éric Duvivier d’après Henri Michaux (« Musique pour Misérable miracle », 1964), et surtout à partir d’Une saison en enfer, Amy explore ces possibilités à la périphérie. Il franchit le pas avec la Missa Cum jubilo (« Dans la lignée des grandes messes symphoniques », 1991, p. 96) et dans son opéra Le Premier Cercle d’après Soljenitsyne – « Ce livre, je l’attendais sûrement de longue date après les tentatives avortées et sans lendemain » (« La tentation de l’opéra », 1999, p. 180).
Les thèmes récurrents des écrits d’Amy, depuis les approches essentiellement compositionnelles – l’exploration de l’espace, l’attachement à la tradition française de l’harmonie –, jusqu’aux préoccupations de plus en plus affichées en faveur du public et du répertoire de création, décrivent ce déplacement progressif de la conception vers la perception. Sans former pour autant un champ identifié et presque autonome comme chez Boulez, les écrits d’Amy offrent un cheminement parallèle à celui de son aîné – la composition, la direction d’orchestre, les institutions –, mais toujours personnel, celui d’un musicien qui se veut créateur avant tout et dont les articles se situent en marge de l’œuvre.
Alain POIRIER
24/10/2019
prénom | Gilbert |
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nom | Amy |
année de naissance | 1936 |
identique à | https://data.bnf.fr/13890741/gilbert_amy/ |
Publications (2)
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Anthologie / Correspondance Gilbert Amy (1936) - Gilbert Amy, un espace déployé