Luciano Berio (1925-2003)

Ce travail de réflexion a joué un rôle fondateur surtout dans la première partie de sa carrière, entre la fin des années 1950 et les années 1960, au moment où prend forme sa pensée musicale. C’est notamment l’époque où il fonde la revue Incontri Musicali (1956-60), liée aux concerts homonymes de musique contemporaine à Milan, dont les quatre numéros constituent aujourd’hui un précieux témoignage de ces années cruciales pour la musique. Berio montre un champ d’intérêt très vaste, qui s’étend de l’ethnomusicologie à la sémiologie en passant par le théâtre, l’esthétique, la musique électroacoustique, les nouvelles techniques de composition musicale et la poésie. Sa pensée est aussi nourrie par la fréquentation d’importantes figures : outre les musiciens (notamment Cage, Maderna, Pousseur et Boulez), il suffit de rappeler l’ethnomusicologue Roberto Leydi – co-fondateur avec Berio et Maderna du Studio de Phonologie de la RAI de Milan au milieu des années 1950 –, mais surtout Umberto Eco, dont il fut très proche lorsque celui-ci rédigea son essai sur L’Œuvre ouverte et, enfin, la collaboration avec des écrivains tels qu’Italo Calvino et Edoardo Sanguineti.

L’activité d’essayiste est le fruit d’une réflexion continuelle, et elle se poursuit tout naturellement jusqu’aux dernières années de sa vie en se nourrissant de débats publics et privés avec des intellectuels et des artistes de valeur : elle est donc variable dans la forme et dans les supports en allant des entretiens avec des musicologues aux articles dans des ouvrages collectifs (1) ; des articles dans les journaux à large diffusion (quotidiens et hebdomadaires) aux articles dans des revues littéraires, philosophiques et musicologiques, européennes et américaines (Cahiers Renaud-Barrault, Nuova Rivista Musicale Italiana, Opera News, Spirali, Diapason etc.) (2) ; des conférences dans des universités prestigieuses aux émissions pour la télévision (notamment la série de douze émissions pour la RAI en 1972, C’é musica e musica) (3). 

Berio n’a jamais publié de livre ou de long essai de son vivant : mis à part la publication du recueil d’entretiens avec Rossana Dalmonte (Intervista sulla musica, Laterza, Rome, 1981 ; traduit en français en 1983), on connait l’existence du projet inachevé d’un recueil d’essais en 1979, avec le musicologue Francesco Degrada (signalé par Angela Ida De Benedictis dans Scritti sulla musica). Depuis 2003 a été effectué un important travail d’identification, recueil et édition critique des écrits et – plus largement – des différentes traces documentées de la parole critique et théorique du compositeur. Talia Pecker Berio a publié dans deux éditions – une en langue anglaise et une en langue italienne – un corpus de conférences tenues par Berio en 1993-94 à la Harvard University (Remembering the Future, 2006 ; Un ricordo al futuro. Lezioni americane, 2006). Cette publication a été le premier volet d’un projet éditorial de trois ouvrages coordonnés toujours par Talia Pecker Berio : a suivi, en 2013, l’anthologie déjà citée Scritti sulla musica, un recueil annoté et commenté des écrits sous la direction d’Angela Ida De Benedictis et avec une préface de Giorgio Pestelli, puis, en 2017, la publication de Interviste e colloqui, dirigé par Vincenzina Caterina Ottomano, avec une préface de Paul Griffiths, toujours pour les éditions Einaudi de Turin. Les éditions Contrechamps ont republié en 2010 les entretiens avec Rossana Dalmonte, assortis des quelques essais du compositeur en langue française. Enfin, en 2013 a paru l’édition en deux DVD de C’è musica e musica, accompagnée d’un petit livre qui réunit la transcription des émissions et les articles introductifs d’Umberto Eco, Michele Dall’Ongaro et Ulrich Mosch (édition Feltrinelli, « Real Cinema », sous la direction de Angela Ida De Benedictis).

Giordano FERRARI
13/06/2018