Rodolphe Mathieu (1890-1962)
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L’ensemble des écrits de Rodolphe Mathieu comprend deux cahiers de réflexions personnelles, une version non terminée d’un guide pédagogique visant à identifier le potentiel musical chez les enfants, trois articles publiés en 1918-1919, et un volume intitulé Parlons…musique (1932) qui reprend des textes parus dans différents journaux entre 1928 et 1932 et auxquels l’auteur a ajouté quelques chapitres inédits.
Esprit original, libre-penseur et autodidacte, le compositeur québécois Rodolphe Mathieu est un personnage énigmatique du milieu musical de l’entre-deux-guerres. Précurseur de la modernité musicale, il a tenté de comprendre par lui-même et à travers des lectures de nature scientifique non seulement le processus de la création musicale mais aussi l’univers dans lequel nous vivons, depuis les origines de la vie, l’astronomie, la matière et les comportements humains. Refusant d’adhérer aux diktats du catholicisme de l’époque et ouvertement athée, il a cherché à développer sa propre pensée et à trouver des réponses personnelles aux questions fondamentales de la vie.
Considéré comme un homme solitaire vivant en retrait des activités sociales, il commence à écrire ses premières réflexions au fil de la plume, sans plan bien défini. Ces réflexions constituent le premier cahier manuscrit intitulé Problèmes-Aperception, un document de 1208 pages écrit entre 1915 et 1930 environ. « Il prépare un livre d’essai dont l’objet est "La conscience humaine", "La conscience infinie", "La naissance du genre humain sur la terre" et autres aphorismes sur la philosophie, la musique, la morale », écrit Léo-Pol Morin dans un article consacré à Mathieu en mai 1918 et publié dans la première revue moderne et multidisciplinaire du Québec, Le Nigog (« Rodolphe Mathieu et le Terroir », Le Nigog, mai 1918, revue rééditée chez Comeau & Nadeau éd., 1998, p. 158-162). Cette revue avait publié en février précédent, sous forme d’aphorismes, quelques idées de Mathieu sur sa conception de la composition où il remet en question la traditionnelle théorie de la forme musicale telle que véhiculée par les traités de l’époque au profit d’une conception individuelle et personnelle. Il écrit alors : « Les formes musicales doivent être relatives de nos besoins d’expression. Elles ne doivent jamais être déterminées d’avance en un plan défini et presque toujours identique, car l’œuvre ne serait plus vivante mais une construction immobile » (« Perceptions », Le Nigog, février 1918, revue rééditée chez Comeau & Nadeau éd., 1998, p. 49-50, reproduit dans Lefebvre 2000, p. 5-8).
Ce manuscrit comprend trois sections. Mathieu débute la première, « Conscience et Expression », à Montréal vers 1915 et la termine en janvier 1921 à Paris où il réside depuis avril 1920. Il poursuit la seconde, intitulée « Pensées et Problèmes » et consacrée à l’analyse du processus créateur, jusqu’en juillet 1922. La dernière section a probablement été écrite à son retour au Québec et porte sur les états de veille et de rêve, mais on sent ici les difficultés qu’éprouve l’auteur à maîtriser des concepts encore relativement récents sur ces états psychologiques. Alors qu’il séjournait à Paris, Mathieu avait en effet assisté aux discussions du « Groupe d’études philosophiques et scientifiques pour l’examen des idées nouvelles » fondé en 1922 par le psychanalyste René Allendy (1889-1942) et qui réunissait artistes, scientifiques et intellectuels. Ce premier manuscrit porte les traces de ces rencontres.
Le deuxième document, un tapuscrit de 596 pages, intitulé Le Dernier Testament ou Les Vérités révélées par les faits, est écrit entre 1947 et 1952. Sous le pseudonyme de Lange A. Tomik, Mathieu observe les différentes composantes politico-religieuses et pose un regard critique et parfois cynique sur son époque et sur la société conservatrice qui dirigeait alors les destinées de l’individu en lui refusant tout droit à l’originalité de la pensée. Le titre fait d’ailleurs ironiquement allusion aux sources incontestables du discours de l’Église catholique et il est déjà en lui-même une provocation qui aurait suscité une censure immédiate si de tels propos avaient été publiés.
Dans les années cinquante, Mathieu rédige un instrument pédagogique intitulé Tests d’aptitude musicale, un tapuscrit de 71 pages non terminé qui prend pour modèle les études d’Édouard Claparède qui avait présenté quelques conférences sur le sujet devant le « Groupe d’études philosophiques… » et avait publié en 1922 et en 1924 deux livres sur la question : L’Orientation professionnelle : ses problèmes, ses méthodes (Genève, BIT), et Comment diagnostiquer les aptitudes chez les écoliers (Paris, Flammarion). Mathieu soumet une version préliminaire à la Société royale du Canada en 1955 en vue d’obtenir une aide financière pour terminer ses recherches sur l’orientation professionnelle des jeunes musiciens. Cette aide lui sera refusée et l’auteur mettra ainsi un terme à cette étude.
Au-delà de ces documents inédits, et outre l’article du Nigog, Mathieu publie en 1919, avant son départ pour Paris où il séjournera de 1920 à 1925, deux articles dans le journal libéral Le Canada : « Une Question de programme : l’initiation artistique » le 4 avril et « Les Musiciens canadiens en tournée », le 2 mai. Dans les deux cas, il s’adresse directement aux musiciens, pianistes surtout, en leur demandant d’offrir des programmes plus substantiels plutôt que des ritournelles archi connues et de faire ainsi connaître auprès du public des œuvres inédites ou plus recherchées.
Mais ce n’est qu’à son retour d’Europe qu’il publie, entre 1928 et 1932, 14 articles dont certains à caractère polémique, particulièrement en ce qui a trait à l’utilisation du folklore comme source d’inspiration et à une proposition d’étatisation de la production musicale, un souhait qui ne sera réalisé qu’au début des années soixante par la mise en place d’un programme gouvernemental de commandes d’œuvres. 11 de ces textes auxquels Mathieu a ajouté 17 inédits font partie de l’anthologie publiée en 1932 sous le titre Parlons…musique (voir la notice consacrée à ce volume).
À l’encontre du discours nationaliste et conservateur de l’époque où un historien aussi influent que l’abbé Lionel Groulx pouvait écrire que « de s’écarter de la psychologie traditionnelle pour se jeter dans le singulier, l’individuel, serait-ce autre chose que de s’écarter de l’humanité véritable pour un psychologisme morbide où la personnalité humaine se dissout dans l’instinct et l’anarchie passionnelle ? » (Nos Responsabilités intellectuelles, Association Catholique de la Jeunesse, tract. n°6, 1928), Mathieu a revendiqué, tant dans ses textes que par sa musique, la priorité du sujet et l’importance de l’expression personnelle, nécessairement à la base de toute création artistique originale. En cela, il a été un pionnier de la modernité.
Marie-Thérèse LEFEBVRE
27/04/2020
Pour aller plus loin :
- Les cahiers originaux Problèmes-Aperception (1915-1930) et Le Dernier Testament ou Les Vérités révélées par les faits (1947-1952) appartiennent actuellement à Éric Le Reste, petit-fils de Rodolphe Mathieu. Nous avons établi une transcription informatique de ces documents. Des extraits auxquels nous avons ajouté l’article « Perceptions » ont été publiés dans : Rodolphe Mathieu, Choix de textes inédits annotés par Marie-Thérèse Lefebvre, Montréal, Guérin éditeur, 2000.
- Le tapuscrit Tests d’aptitude musicale est déposé dans le Fonds Famille Mathieu (MUS 165) à Bibliothèque et Archives Canada (BAC).
- Sur le « Groupe d’études philosophiques et scientifiques pour l’examen des idées nouvelles », voir : Marie-Thérèse Lefebvre, Rodolphe Mathieu. L’Émergence du statut professionnel de compositeur au Québec, Québec, Septentrion, 2004, p. 102-106.
prénom | Rodolphe |
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nom | Mathieu |
année de naissance | 1890 |
année de décès | 1962 |
identique à | http://data.bnf.fr/14807448/rodolphe_mathieu/ |