Gustave Charpentier (1860-1956)
Télécharger le PDF de la notice
Gustave Charpentier n’a pas reçu de formation littéraire au sens propre du terme, ses études se résumant uniquement à ses années de Conservatoire. Néanmoins, il a laissé un corpus d’écrits hétérogènes assez conséquent, comportant essentiellement des documents à vocation publique aujourd’hui encore en grande partie méconnus. L’écriture de Charpentier se déploie dans divers domaines : une importante correspondance, dont, à partir des années 1930, il gardait soigneusement tous les doubles tapuscrits (aujourd’hui conservés à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris) ; quelques articles de presse à sujet musical (présentation de ses œuvres – notamment Louise, Julien et Les Impressions d’Italie – et quelques articles sur celles de ses contemporains, in primis Bruneau et Wagner) ou sur l’atmosphère montmartroise d’antan (« Sept heures du soir, Nice » et « Les Pavés du faubourg », La Muse, 29 juin 1914, p. 1) ; des mémoires inédits ; des programmes musicaux, notamment pour son spectacle « républicain » en plein air Le Couronnement de la muse et des livrets d’opéras (Louise, Julien), dont quelques projets inachevés (Éros, Orphée, L’Amour au faubourg-Duthoit, Julie).
C’est d’abord comme lecteur passionné que Charpentier vint à la littérature et à l’écriture : diverses œuvres de Michelet et Hugo ainsi que des poèmes de Verlaine et Baudelaire se retrouvent sur son bureau. Avant son départ pour le Prix de Rome, en 1888, il côtoie des écrivains qui se retrouvaient dans quelques cafés montmartrois (le Café du Delta, mais aussi le Chat Noir au sommet de sa renommée) tels Maurice Le Blond (1877-1944), le futur gendre de Zola, Saint-Georges de Bouhélier (Stéphane-Georges Lepelletier de Bouhélier, 1876-1947) et Georges Montorgueil (Octave Lebesgue, 1857-1933). Il fréquente également des personnalités originales, basculant entre l’écriture littéraire et musicale, telles Jules Marie Méry (1867-1943), chansonnier et maire du 20e arrondissement, et Saint-Pol Roux (Pierre-Paul Roux, 1861-1940), qui a été longtemps injustement désigné comme étant le librettiste de Louise. Le style de Charpentier est succinct et proche de l’expression orale, néanmoins il recherche l’élégance des mots sans toutefois renoncer à son franc-parler et sans user d’un ton formel.
L’écriture chez Charpentier est le prolongement et l’aboutissement de son œuvre musicale : les écrits à vocation sociale et les écrits musicaux permettent de saisir les multiples facettes du compositeur. Les pages consacrées à l’éducation populaire, directement liées au Couronnement de la muse et à Louise, visent l’ouverture de la musique savante aux classes sociales les plus humbles. Issu d’une famille ouvrière – le père (Charles Charpentier) était d’abord boulanger aux Salines de Dieuze puis comptable à Roubaix auprès des filatures Lorthiois –, Charpentier affectionne particulièrement l’idée que la condition du peuple puisse s’améliorer à travers une éducation (littéraire, musicale, artistique…) qui lui permette de comprendre son rôle dans la politique républicaine. Vice-président honoraire de l’Université populaire du faubourg Saint-Antoine, Charpentier partage avec d’autres contemporains la nécessité d’une démocratisation de la culture. Après avoir fondé le Conservatoire populaire de Mimi Pinson en 1902, il intervient au sujet de l’art populaire de façon publique en 1908, bien que ses réflexions, encore à un état embryonnaire et annotées de façon privée, mûrissent déjà depuis une dizaine d’années. Lors des journées consacrées à la question de l’art dans le cadre de l’Association des libres penseurs de France, Charpentier présente un texte intitulé « L’Art populaire », dans lequel il montre toute l’ambiguïté de l’adjectif « populaire » et fournit un projet pédagogique pour l’apprentissage des arts qui permettra la transformation des ouvriers en « citoyens » (« L’Art populaire », Annales des Fêtes et Cérémonies civiles, Paris, s.é., 1910-1911, p. 433-438). Les programmes imprimés du Couronnement de la muse sont également conçus à cette fin : très soignés et illustrés, ils présentent de nouveaux textes introductifs pour chaque représentation de l’œuvre, selon les activités productives de chaque ville dans laquelle se déroule le spectacle. Ainsi la « Muse » devient « noire » dans le Nord-Pas-de-Calais, en hommage aux ouvriers du charbon, ou elle incarne une ouvrière textile à Saint-Étienne, rôle occupé par la plupart des femmes de la région.
En revanche, lorsque Charpentier prend la plume pour écrire sur la musique, il le fait de façon sporadique, quand il ressent le besoin d’extérioriser ses impressions, de les affirmer et de montrer le lien « esthétique » que certains sujets entretiennent avec sa propre musique ; c’est peut-être pour cette raison qu’il n’a jamais eu de rubrique régulière dans un quotidien ou une revue spécialisée, limitant ses interventions dans la presse à des articles ponctuels. Le compositeur s’adresse cette fois à ses collègues et à un public amateur, mais en tous les cas informé et connaisseur de la vie musicale en France, et à Paris tout particulièrement. C’est dans cette perspective qu’il faut lire son article « Êtes-vous wagnérien ? » (Le Journal de Roubaix, 1883 et rééd. 1889), une sorte de manifeste programmatique qui montre certes sa fidélité au maître de Bayreuth, mais surtout la volonté de dépasser le modèle wagnérien pour trouver une nouvelle voie dramatique française « après Wagner ». Le naturalisme musical d’Alfred Bruneau et Émile Zola fournit aux yeux du compositeur une réponse convaincante pour contraster l’« œuvre d’art total » allemande (« L’Attaque du moulin », Gil Blas, 1893 ; puis le compte rendu de L’Ouragan, « Les théâtres », Le Figaro, 1901). Charpentier affirme qu’une nouvelle ère de l’opéra français est maintenant commencée, tant pour le choix des sujets que pour le renouvellement du genre opératique, et Bruneau devient le nouveau « prophète » à suivre. Dans son activité de critique musical, Charpentier s’occupe avec parcimonie de ses « collègues », seulement La Carmélite de Reynaldo Hahn (1902) ou la millième représentation de Carmen (1904) attirent l’attention du compositeur. Il n’a par exemple laissé aucune impression publique sur Claude Debussy. Attentif à la vie musicale contemporaine, il participe néanmoins à une série d’interviews autour du nouveau théâtre de l’Opéra-Comique et de son futur directeur, Albert Carré (Le Figaro, 1898).
Suivant la vague des Souvenirs de Massenet (1912), et de À l’ombre d’un grand cœur de Bruneau (1931), Charpentier décide de réunir des documents hétérogènes (correspondance, articles de presse et quelques réflexions inédites) afin de publier ses Mémoires. Conçus d’abord en neuf volumes avec illustrations, puis réduits à 217 pages pour des exigences éditoriales, les Mémoires apparaissent aujourd’hui comme un ouvrage incomplet : seule Louise et Le Couronnement de la muse y figurent, aucune trace de Julien et peu de ses compositions de jeunesse (La Vie du poète ou les Poèmes chantés). Un récit qui, s’il aide à mieux comprendre la personnalité du compositeur, ne mentionne toutefois aucune autre figure à l’exception de celle de son maître, Massenet, relu à l’ombre de Wagner.
Après la publication de la correspondance de jeunesse avec sa famille (1984), un projet de publication des Mémoires inédites accompagnées des écrits musicaux et sociaux du compositeur est actuellement en cours par nos soins (Vrin, Musicologies, en préparation).
Michela NICCOLAI
23/10/2018
Pour aller plus loin
Andrieux, Françoise, Gustave Charpentier artiste social. Contribution à l’étude de l’éducation musicale populaire, Thèse de doctorat en Musicologie, Université de Paris Sorbonne, Paris IV, 1985.
Charpentier, Gustave, Lettres inédites à ses parents. La vie quotidienne d’un élève du Conservatoire 1879-1887, Françoise Andrieux éd., Paris, PUF, 1984.
Niccolai, Michela, La Dramaturgie de Gustave Charpentier, Turnhout, Brepols, 2011.
Gustave Charpentier et son temps, Niccolai, Michela et Branger, Jean-Christophe dir., Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2013.
prénom | Gustave |
---|---|
nom | Charpentier |
année de naissance | 1860 |
année de décès | 1956 |
identique à | http://data.bnf.fr/13892401/gustave_charpentier/ |