Déodat de Séverac (1872-1921)
Télécharger le PDF de la notice
Le corpus des écrits publics sur la musique de Déodat de Séverac (1872-1921), moins volumineux que ceux de nombre de ses contemporains (Claude Debussy, Paul Dukas, Gabriel Fauré, Charles Koechlin, Florent Schmitt, etc.), se compose principalement de quelques critiques musicales (cinq d’entre elles ont été retrouvées, mais il est possible qu’il en existe davantage), de réponses à des enquêtes journalistiques, ainsi que d’une douzaine de textes et articles abordant des sujets variés – les musiques méridionales, la « tradition française », les effets de la Grande guerre sur la création musicale, etc.
La plupart de ces écrits ont été publiés en 1993 par Pierre Guillot dans le volume Ecrits sur la musique aux éditions Mardaga, à l’exception d’un texte paru dans le Courrier musical du 1er juin 1909 rendant hommage à Isaac Albéniz, alors récemment disparu. Ce pan de la production rédactionnelle de Séverac apparaît toutefois relativement mince en regard de son abondante correspondance, dont une large part a également fait l’objet de l’excellent travail éditorial de Pierre Guillot dans un volume intitulé La musique et les lettres (Mardaga, 2002).
Les critiques musicales qui nous sont parvenues sont toutes écrites par le compositeur au début des années 1900. Nourri de logiques esthétiques acquises au sein de la classe de composition de Vincent d'Indy (prosélytisme, traditionalisme, rapport analytique aux œuvres, etc.) Séverac s’y donne essentiellement pour but de faire connaître et reconnaître certaines œuvres du panthéon de la Schola Cantorum, comme celles de Bach ou de Wagner. La fin des années 1900, en revanche, est marquée par un rejet de l’héritage « scholiste » et une indifférence à la pratique de la critique. Alors qu'il avait déjà publié en 1902 dans La Renaissance Latine deux articles consacrés à la situation de la chanson populaire languedocienne à Toulouse et dans les Pyrénées, c'est également à la fin des années 1900 et au début des années 1910 qu'il approfondit ses réflexions sur les musiques méridionales (les chansons, les goigs, la sardane, la cobla catalane) et affine son esthétique régionaliste. C’est ce dont témoignent les publications de sa communication au Congrès de chant populaire de Montpellier dans Le Mistral en 1906, d’un article sur les chansons du Languedoc et du Roussillon dans Musica en 1911 ou encore d’un éloge des musiques populaires catalanes dans La Revue Catalane en 1912.
« La centralisation et les petites chapelles musicales » est sans conteste le texte le plus important (et le plus connu) de Séverac. Issu de sa thèse de fin d'études à la Schola Cantorum, il est publié les 1er janvier, 15 janvier et 1er mars 1908 dans le Courrier musical. Ce fameux essai, dédicacé à son ami Jean Charles-Brun, dévoile la coloration politique de son esthétique régionaliste. Le compositeur conçoit en effet la centralisation comme le mal qui rongerait la création musicale française et dénonce le rôle qu’y joueraient l'État républicain et les salons parisiens. Tandis que le premier uniformiserait la pratique de la composition et écraserait les talents spécifiques des « terroirs » à travers son réseau unifié d'enseignement musical, le mépris des seconds découragerait les tempéraments régionaux de s'exprimer librement au sein de la capitale. Séverac propose en outre, à partir de sa position particulière de compositeur régionaliste isolé, une objectivation relativement lucide de la structure du champ musical savant des années 1900. Il donne ainsi à voir un espace traversé par une opposition principale entre l’arrière-garde (les compositeurs proches de l’Académie et des institutions étatiques) et l’avant-garde d’une part, et par une opposition secondaire entre l’avant-garde consacrée (les « d’Indyste », proches de la Schola Cantorum et de la Société Nationale) et l’avant-garde en voie de consécration (les « Debussystes », anciens élèves de la classe de composition de Gabriel Fauré au Conservatoire, membres de la bande des Apaches et futurs fondateurs de la Société Musicale Indépendante en 1910) d’autre part. Les deux pôles de l’avant-garde, en particulier, se voient reprocher d’invisibiliser la cause régionaliste par leurs querelles futiles.
Durant la Grande Guerre, Séverac se pose surtout en défenseur musical de la nation et milite à plusieurs reprises dans la presse pour l’interdiction d’exécution de la musique allemande sur le sol français – celle de Wagner au premier chef – de concert avec la Ligue Nationale pour la Défense de la Musique Française. Une fois démobilisé et jusqu'à sa mort en 1921, en revanche, Séverac cesse presque totalement de discourir publiquement sur la musique, estimant que « le rôle du compositeur est de composer, et non de faire... des analyses ou de la critique », ainsi qu’il le confie à Raoul Davray en 1919.
Alexandre ROBERT
Mise à jour 28/09/2017