Proses lyriques

genreFiction (Poésie)
languefrançais
compositeur
éditeurE. Fromont
lieu d'éditionParis
date1895
contenu

Les textes du recueil de mélodies Proses lyriques sont de Debussy lui-même :

De rêve...

La nuit a des douceurs de femmes !
Et les vieux arbres sous la lune d'or, songent !
A celle qui vient de passer la tête emperlée,
Maintenant navrée !
A jamais navrée !
Ils n'ont pas su lui faire signe...

Toutes ! Elles ont passé :
Les Frêles,
Les Folles,
Semant leur rire au gazon grêle,
Aux brises frôleuses
La caresse charmeuse
Des hanches fleurissantes !
Hélas ! de tout ceci, plus rien qu'un blanc frisson.

Les vieux arbres sous la lune d'or, pleurent
Leur belles feuilles d'or.
Nul ne leur dédiera plus la fièrté des casques d'or
Maintenant ternis !
A jamais ternis !
Les chevaliers sont morts sur le chemin du Graal !
La nuit a des douceurs de femmes !
Des mains semblent frôler les âmes,
Mains si folles, si frêles,
Au temps où les épées chantaient pour Elles !...
D'étranges soupirs s'élèvent sous les arbres.
Mon âme ! c'est du rêve ancien qui t'étreint !

De grève...

Sur la mer les crépuscules tombent,
Soie blanche effilée !
Les vagues comme des petites folles,
Jasent, petites filles sortant de l'école,
Parmi les froufrous de leur robe,
Soie verte irisée !

Les nuages, graves voyageurs,
Se concertent sur le prochain orage,
Et, c'est un fond vraiment trop grave
A cette anglaise aquarelle.
Les vagues, les petites vagues,
Ne savent plus où se mettre,
Car voici la méchante averse,
Froufrous de jupes envolées,
Soie verte affolée.

Mais la lune, compatissante à tous,
Vient apaiser ce gris conflit,
Et caresse lentement ses petites amies,
Qui s'offrent, comme lèvres aimantes
A ce tiède et blanc baiser.
Puis, plus rien !
Plus que des cloches attardées
Des flottantes églises,
Angélus des vagues,
Soie blanche apaisée !

De fleurs...

Dans l'ennui si désolément vert
De la serre de douleur,
Les fleurs enlacent mon cœur
de leurs tiges méchantes.
Ah ! quand reviendront autour de ma tête
Les chères mains si tendrement désenlaceuses ?

Les grands Iris violets
Violèrent méchamment tes yeux
En semblant les refléter,
Eux, qui furent l'eau du songe,
Où plongèrent mes rêves, si doucement
Enclos en leur couleur ;
Et les lys, blancs jets d'eau de pistils embaumés,
Ont perdu leur grâce blanche
Et ne sont plus que pauvres malades sans soleil !

Soleil ! ami des fleurs mauvaises,
Tueur de rêves ! Tueur d'illusions !
Ce pain béni des âmes misérables !
Venez ! Venez ! Les mains salvatrices !
Brisez les vitres de mensonge,
Brisez les vitres de maléfice,
Mon âme meurt de trop de soleil !

Mirages ! Plus ne refleurira la joie de mes yeux,
Et mes mains sont lasses de prier,
Mes yeux sont las de pleurer !
Eternellement ce bruit fou
Des pétales noirs de l'ennui,
Tombant goutte à goutte sur ma tête
Dans le vert de la serre de douleur !

De soir...

Dimanche sur les villes,
Dimanche dans les cœurs !
Dimanche chez les petites filles
Chantant d'une voix informée
Des rondes obstinées
Où de bonnes Tours
N'en ont plus que pour quelque jours !

Dimanche, les gares sont folles !
Tout le monde appareille
Pour des banlieux d'aventure
En se disant adieu
Avec des gestes éperdus !

Dimanche les trains vont vite,
Dévorés par d'insatiables tunnels ;
Et les bons signaux des routes
Échangent d'un œil unique
Des impressions toutes mécaniques.

Dimanche, dans le bleu de mes rêves,
Où mes pensées tristes
De feux d'artifices manqués
Ne veulent plus quitter
Le deuil de vieux Dimanches trépassés.

Et la nuit, à pas de velours,
Vient endormir le beau ciel fatigué,
Et c'est Dimanche dans les avenues d'étoiles ;
La Vierge or sur argent
Laisse tomber les fleurs de sommeil !

Vite, les petits anges,
Dépassez les hirondelles
Afin de vous coucher
Forts d'absolution !
Prenez pitié des villes,
Prenez pitié des cœurs,
Vous, la Vierge or sur argent !