Avertissement [aux Préludes op. 31]

genrePréface
languefrançais
compositeur
titre

25 Préludes dans tous les tons majeurs et mineurs pour piano ou orgue op. 31

éditeurBrandus & Cie
lieu d'éditionParis
date1847
contenu

AVERTISSEMENT

Comme il est vraisemblable que ces Préludes seront plus souvent joués au piano qu’à l’orgue, j’ai dû les écrire de préférence sur la tablature et suivant quelques uns des moyens du piano, eu égard pourtant à la distance qui sépare les deux instruments, et au lien qui peut les rattacher quelquefois, nonobstant la différence bien tranchée de leurs caractères. Ce lien ressort évidemment de la trame musicale, et toute œuvre de piano est d’autant plus susceptible de reproduction totale ou partielle à l’orgue, que sa valeur réelle relève moins des effets exclusivement propres à l’instrument.

Laissant ici de côté les considérations qui se rattachent au génie particulier de l’orgue ou du piano, à l’erreur si commune qui porte à assimiler ces deux instruments (sans doute à cause de la ressemblance des claviers), aux abus qui, de tout temps, on dû naître de cette erreur, et aux abus plus grands encore qui prennent leur source dans les nombreux perfectionnement mécaniques des orgues modernes, ‑ toutes questions qui, réunies à plusieurs autres également importantes, nécessiteraient des développements assez étendus, et doivent faire l’objet d’un travail spécial, ‑ je me bornerai, dans l’intérêt du présent ouvrage, à indiquer quelques uns des procédés à l’aide desquels certains passages, d’une exécution presque impossible à l’orgue, seront rendus faciles et appropriés à la nature de ce prince des instruments.

Il y aura nécessité d’abord de ralentir les mouvements trop rapides. Par exemple, le no 10, marqué très vite, doit être pris de façon à ce que toutes les notes soient bien entendues, suivant que l’orgue met plus ou moins de temps à répondre, ce qui varie selon les instruments, et, sur un même instrument, selon les jeux (1). Le no 24, plus vif encore, offrirait, sous ce rapport, moins de difficultés, car les notes hautes sortent toujours plus aisément que les notes graves ou que celles du médium. Il y a aujourd’hui tels claviers d’orgue sur lesquels on pourrait exécuter ce numéro tout aussi vite que sur un piano, mais il n’en serait pas moins hors de style, rendu dans un semblable mouvement. Dans les endroits marqués fort, et où l’on emploie des jeux nombreux et bruyants, il deviendra inutile de faire les octaves indiquées pour le piano (par exemple au no 20) ; il faudra éviter de plus les accords trop chargés, surtout à la main gauche, et dans le bas du clavier, à moins que ce ne soit pour un effet spécial, comme au no 25, je suppose. Ce numéro, du reste, ainsi que les nos 3, 4, 9, 16, 21, et même 22, peuvent être transportés du piano à l’orgue, sans subir aucune modification. J’ajouterais bien quelques numéros aux précédents, si je ne voulais faire observer qu’ils gagneront encore à la suppression de quelques répétitions de notes semblables : tels sont les nos 1, 13, 15, 19. C’est surtout lorsqu’une même note fait partie de l’harmonie que l’on quitte et de celle que l’on prend, ce qu’on nomme note commune, qu’il est bien de ne pas la répéter. L’orgue ne comporte que le genre soutenu, le style lié, la forme serrée, homogène, et le staccato lui est généralement interdit. C’est pourquoi les accompagnements disjoints, qui peuvent être justifiés au piano, lui sont absolument antipathiques, et, bien que fort en usage aujourd’hui, leur effet n’en demeure pas moins faux et emprunté. Il en est de même des batteries à la main gauche, surtout dans un mouvement un peu précipité. On fera donc bien de changer ces formules partout où on les rencontrera, de leur substituer des notes fondamentales, plus ou moins soutenues, sur le clavier au pied, et des harmonies plus ou moins figurées à la main gauche, en guise de parties intermédiaires : le tout, bien entendu, sur les accords indiqués. Les nos 12, 14, 23, exigeront un semblable travail.

Je me ferais scrupule de poursuivre cette énumération de procédés et de moyens, tous plus connus les uns que les autres, et je paraîtrais suspecter par trop l’intelligence et le savoir du plus grand nombre des artistes et des amateurs, si je n’ajoutais que j’ai écrit ces quelques lignes beaucoup moins en vue d’enseigner quelque chose de nouveau, que pour éviter certain reproche qu’une lecture superficielle de mon ouvrage aurait pu m’attirer : je veux dire celui d’avoir confondu les deux instruments dans ma pensée, d’avoir prétendu faire toucher le piano sur l’orgue, ou bien encore d’avoir considéré ce que l’on peut se permettre sur quelques orgues modernes, comme devant entraîner la fusion des deux styles. Ce n’est point que je n’estime fort tous les perfectionnements et les progrès de la facture actuelle des orgues ; je prétends seulement faire toutes mes réserves à l’égard d’une application inconsidérée, car il ne serait point raisonnable ni juste de condamner, sous prétexte d’abus, ce dont il est possible de tirer un bon effet, en s’en servant avec modération et discernement.

Il ne me reste plus qu’à dire que presque tous ces petits morceaux pourront servir aux différents Offices, soit sous la forme de versets ou d’antiennes, soit sous celle de préludes, comme le titre le porte, qu’ils soient fractionnés ou conservés en entier.

C.-V. Alkan

17 avril 1847

1)  J’ai dit précédemment que j’avais écrit ces morceaux d’après le ravalement du piano, mais tout le monde sait qu’une même étendue, et une plus grande encore, s’obtiennent à l’orgue par différentes combinaisons de claviers et de registres. Les crescendi et diminuendi peuvent être obtenus aussi par plusieurs de ces combinaisons et mélanges, alors même que les orgues ne possèdent point de clavier expressif : toutes choses subordonnées, du reste, à l’importance et aux ressources de chaque instrument, et dont il est impossible autant qu’inutile de donner ici des règles.