L'invention de la musique
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L’invention de la musique est la transcription de la leçon inaugurale prononcée par Philippe Manoury le 26 février 2017 à la Chaire annuelle de Création artistique du Collège de France.
Le compositeur commence sa conférence en remerciant le Collège de France d’accueillir sa discipline – la musique, selon lui de plus en plus confinée au divertissement, et qu’il s’agit de considérer comme un art, voire comme une science. C’est bien à une réflexion sur la musique comme « une forme de pensée sur le son, spéculative et sensible » (p. 1) que Manoury convie ses auditeurs et lecteurs, en présentant son travail de compositeur et en le situant dans le cadre plus large de la création contemporaine actuelle. La musique « est un monde en soi » (p. 2) que l’on ne peut traduire en langage verbal. Prenant le contrepied de la fameuse citation de Stravinsky, Manoury pose que la musique peut exprimer le monde réel mais que les affects qu’elle provoque relèvent non pas de ce qu’elle évoque, mais bien de ses formes propres. Le sens musical tel que le compositeur le définit est une « contexture particulière qui met en éveil tout notre être sensitif et intellectuel » (p. 3). Sans oublier qu’une partie importante de son œuvre ne comporte pas d’électronique, Manoury pose que composer revient à « insuffler un sens au sonore » (p. 5).
Comment appréhender le sonore ? Manoury identifie quatre manières de produire le son : trois sont acoustiques (souffle, percussion, frottement) et la dernière s’appuie sur l’électricité. A ces causes sonores, il faut ajouter dans la description leur constitution physique en tant que signaux, que l’on peut classer en trois groupes : les sons harmoniques, les sons inharmoniques et les sons bruités, les compositeurs circulant entre ces catégories. La connaissance physique de l’organisation des sons a pu constituer le fondement des approches compositionnelles de créateurs comme Jean-Philippe Rameau ou au XXe siècle la mouvance spectrale ; la période actuelle approfondit les recherches de ce côté-là.
Comment manipuler la complexité sonore, décrite par un très grand nombre de paramètres, au sein d’une écriture musicale ? C’est à ce point que Manoury expose sur plusieurs pages son approche du triptyque son / écriture /oralité. La représentation graphique de la musique dans son écriture symbolique s’éloigne de la réalité physique des sons mais a permis l’émergence des vastes constructions formelles apparues au cours des âges. Est-il possible d’imaginer une écriture symbolique de la musique électronique ? Le compositeur introduit à ce niveau l’oralité, qui pour lui est indissociable de l’écriture : dans les œuvres de musique écrite, la notation est incapable de représenter la totalité des phénomènes sonores (par exemple l’impossibilité de définir les nuances), ce qui ouvre la voie à l’oralité. Dans la musique électronique (exemple donné de En Echo pour soprano et électronique en temps réel, 1992), Manoury a fait de cette indétermination de la réalisation musicale par rapport à la partition écrite un procédé de composition qu’il a nommé « partitions virtuelles » : l’analyse en temps réel de caractéristiques de la voix de la chanteuse vient moduler la synthèse électronique. Par rapport au déterminisme de l’écriture, l’oralité introduit une dimension indéterministe. Manoury affectionne les mécanismes compositionnels conjuguant les deux, comme le montre par exemple son œuvre Le Temps, mode d’emploi (2014) pour deux pianos et électronique en temps réel, dans laquelle la partition écrite des pianistes est interrompue de manière aléatoire par des accords générés par l’ordinateur. Une telle forme musicale, et plus largement celles proposées par la création contemporaine, peut paraître trop complexe. Mais n’est-ce pas simplement leur nouveauté qui réduit notre faculté d’anticiper le discours, par rapport aux œuvres du passé, dont la forme n’était pas forcément plus simple, mais que nous connaissons par cœur ?
Manoury conclut sa conférence sur le traitement de l’espace, qui lui semble un point fondamental aujourd’hui. La question ne se réduit pas aux possibilités de la technologie. L’espace est aussi le propre du lieu où le son est émis, et la distance comme la configuration ajoutent des ambiguïtés musicalement intéressantes. Le compositeur travaille ainsi à des œuvres pour un orchestre spatialisé autour du public, comme sa Trilogie Köln. Ces approches rejoignent l’appel à l’invention qu’il lance aux créateurs de musique, lorsqu’il cite Stravinsky affirmant que « nous avons un devoir envers la musique, c’est de l’inventer ».
Pour aller plus loin
Cycle de cours et séminaires « Musiques, sons et signes » de Philippe Manoury au Collège de France (2016-2017)
[https://www.college-de-france.fr/site/philippe-manoury/course-2016-2017.htm
Concert d’œuvres de Philippe Manoury « Temps et Musique » donné le 16 juin 2017 au Collège de France
https://www.college-de-france.fr/site/philippe-manoury/Concert_Temps_et_Musique.htm]
Alain BONARDI
30/08/2023
genre | Conférence |
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éditeur | Collège de France | Fayard |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 2017 |
nombre de pages | 64 |
langue originale | français |
compositeur |