Projet concernant de nouveaux signes pour la musique
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Le Projet concernant de nouveaux signes pour la musique fait partie des ouvrages consacrés par Jean-Jacques Rousseau au « solfège par transposition ». Pour y parvenir, l’auteur propose une notation musicale d’appoint faisant usage des chiffres pour représenter les degrés de la gamme. Élaboré pendant le séjour à Chambéry de 1732-1737 où Rousseau s’improvise maître à chanter après s’être adonné à l’étude du laborieux Traité de l'harmonie de Jean-Philippe Rameau (1722), le Projet a été présenté devant l’Académie des sciences de Paris le 12 août 1742. Rousseau conçoit son Projet en observant les modes d’apprentissage de ses élèves, le rythme de leurs progrès, la nature de leurs difficultés. Il se convainc combien le solfège conventionnel occulte les idées musicales essentielles – la conscience des degrés mélodiques, du parcours harmonique, de l’itinéraire des modulations – tant l’agilité de lecture, expression d’une « pétulance française » (Les Confessions, Livre V), est mise de l’avant. Quant au temps nécessaire à l’acquisition de cette agilité, il est inutilement long. En somme, apprendre la musique selon l’usage établi revient à se donner beaucoup de mal dans l’espoir de réussir des exercices apparentés à de vaniteuses démonstrations de savoir-faire sans lien réel avec les significations profondes de l’art.
Par sa réflexion Rousseau en vient à esquisser une éthique de l’art musical à laquelle suffit une représentation schématique des sept degrés de la gamme au moyen d’une simple rangée de sept chiffres. Par leur emploi, le pédagogue souhaite éviter à ses élèves un itinéraire artificiel et confus, qui médiatiserait inutilement la musique. En outre, la séquence chiffrée se révèle être une figure familière, naturellement représentative de l’ordre des sons et de leurs fonctions mélodiques. Mais comme le chiffre énoncé est dépourvu de la vocalité signifiante des syllabes de la gamme, que leur « cantabilité » lui fait défaut, Rousseau propose de prendre « ut pour [le] son fondamental auquel tous les autres doivent se rapporter, et l’exprimant par le chiffre 1, nous aurons à sa suite l’expression des sept sons naturels, ut, ré, mi, fa, sol, la, si, par les sept chiffres, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 ; de façon que tant que le chant roule dans l’étendue de ces sept sons, il suffit de les noter chacun par son chiffre correspondant pour les exprimer tous sans équivoque. » D’autres aménagements accompagnent encore ce geste inaugural. Ils ont pour but la disposition des registres et des octaves, l’établissement des tonalités, la désignation des altérations accidentelles, la représentation de la mesure et des valeurs rythmiques.
Que penser de la réforme de notation édifiée par Rousseau ? L’évaluation la plus réaliste de la notation chiffrée vient de Jean-Philippe Rameau à qui l’auteur eut le loisir de présenter son Projet en personne :
« Vos signes, me dit-il, sont très bons en ce qu’ils déterminent simplement et clairement les valeurs, en ce qu’ils représentent nettement les intervalles et montrent toujours le simple dans le redoublé, toutes choses que ne fait pas la note ordinaire ; mais ils sont mauvais en ce qu’ils exigent une opération de l’esprit qui ne peut toujours suivre la rapidité de l’exécution. La position de nos notes, continua-t-il, se peint à l’œil sans le concours de cette opération. Si deux notes, l’une très haute, l’autre très basse, sont jointes par une tirade de notes intermédiaires, je vois du premier coup d’œil le progrès de l’une à l’autre par degrés conjoints ; mais pour m’assurer chez vous de cette tirade, il faut nécessairement que j’épelle tous vos chiffres l’un après l’autre : le coup d’œil ne peut suppléer à rien. » (Les Confessions, Livre VII)
Reformulant plus tard sa théorie musicale dans le Dictionnaire de musique et dans l’Émile (cf. « La leçon de musique d’Émile », Rousseau réalise que la notation chiffrée n’en représente qu’un aspect didactique, analytique et circonstancié. Le véritable fondement en est l’articulation de la solmisation mobile (do, ré, mi…) avec les locus fixes de tonalités exprimés par les lettres A-B-C-D-E-F-G. Ce solfège à la manière anglosaxonne demeure tout à fait applicable sur la portée sans le concours des chiffres.
La notation chiffrée et Rousseau et son déchiffrage articulé à la solmisation mobile a été adopté comme principe d’écriture de la musique monodique en Chine et dans plusieurs autres pays d’Asie où s’étend l’influence chinoise.
Claude DAUPHIN
10/02/2018
éditions numérisées | |
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genre | Essai |
éditeur | s. n. |
lieu d'édition | Genève |
années d'édition | 1781 |
nombre de pages | 437 |
langue originale | français |
compositeur |