Virgil Thomson
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En 1961, Virgil Thomson (1896-1989), auréolé de sa célébrité en tant que critique musical après ses quatorze ans au New York Herald Tribune, signait avec l’éditeur new-yorkais A.A. Knopf un contrat en vue de la publication de ses mémoires, avec une date initiale de 1964 pour la remise du manuscrit. Retardé par des projets musicaux (notamment la composition de l’opéra Lord Byron), le livre paraissait en octobre 1966 à New York et l’année suivante à Londres. Chaleureusement reçu par la critique, il connaissait également un vif succès commercial, dont atteste la sortie d’une nouvelle édition américaine en 1985 chez Dutton.
Originaire de Kansas City, Missouri, Thomson commence par évoquer sa famille et ses ancêtres (notamment son grand-père paternel, mort sous l’uniforme confédéré) et l’éducation musicale qu’il a reçue dans sa ville natale jusqu’à son engagement dans les troupes américaines en 1917 (sans toutefois avoir le temps d’être envoyé sur le front) et son entrée à Harvard, où une tournée du chœur d’étudiants (Glee Club), qu’il dirige, lui donne l’occasion de découvrir l’Europe, et notamment Paris, en 1921. Thomson consacre un chapitre à son année d’étude avec Nadia Boulanger au Conservatoire américain de Fontainebleau, tout nouvellement créé, et à ses premiers contacts avec l’avant-garde intellectuelle et artistique française, initialement par l’entremise de l’américaniste Bernard Faÿ. Il évoque également son amitié avec le frère peintre de ce dernier, Emmanuel, et sa mort soudaine à New York en octobre 1923.
Les années parisiennes de Thomson, de 1924 à 1940, constituent le cœur du livre et lui assurent une place capitale au côté d’autres témoignages d’Américains expatriés du Paris de l’entre-deux-guerres, Thomson ayant côtoyé la plupart de ses grandes figures : le compositeur américain George Antheil, Ezra Pound, la romancière anglaise Mary Butts, Pablo Picasso, Max Jacob, Jean Cocteau, les Six, James Joyce – avec qui il reconnaît s’être abstenu de collaborer pour ne pas compromettre ses relations parfois délicates avec Gertrude Stein – entre maints autres. À Stein elle-même et à ses écrits, Thomson consacre de nombreuses pages, notamment à propos de la genèse de leur opéra Four Saints in Three Acts et des circonstances de sa création à Hartford, Connecticut, en 1935 (sur cet événement majeur de l’histoire du modernisme américain, on consultera : Steven Watson, Prepare for Saints : Gertrude Stein, Virgil Thomson, and the Mainstreaming of American Modernism, New York, Random House, 1998). L’entourage de Stein occupe également une position importante dans l’ouvrage : sa compagne Alice Toklas, qui semble avoir d’abord vu Thomson avec une certaine méfiance ; le poète Georges Hugnet, avec qui Stein (non suivie par Thomson) finit par se brouiller dans des circonstances qu’il rapporte en détail ; les peintres du groupe dit « néoromantique » (Christian Bérard, Pawel Techlitchew, les frères Eugène et Léonid Berman, Kristians Tonny) notamment. Parmi les musiciens dont il est proche, il faut citer avant tout Henri Sauguet et Aaron Copland, formé comme lui par Boulanger. Réinstallé temporairement en Amérique au moment de la création de son opéra, Thomson alors fait ses débuts comme compositeur de musique de film, expérience qu’il décrit avec humour. Il travaille aussi pour le théâtre, collaborant notamment avec Orson Welles, dont la figure haute en couleurs est évoquée avec pittoresque.
Pour les lecteurs de 1966, les années passées par Thomson comme critique musical au New York Herald de 1940 à 1954 étaient évidemment un temps fort du livre, qui lui donnait l’occasion de revenir sur cette expérience et d’en tirer les leçons. D’autres chapitres marquants du livre sont ceux où il décrit la France qu’il retrouve en 1945 et le voyage qu’il fait l’année suivante en Allemagne et en Autriche occupées en compagnie de son ami Nicolas Nabokov. Si l’après 1945 n’occupe pas une place quantitativement aussi importante dans le livre, cette dernière partie contient néanmoins des détails précieux sur la carrière du compositeur (notamment son second opéra sur un livret de Stein, The Mother of Us All, créé en 1947) et des notations intéressantes et parfois savoureuses sur les musiciens qu’il côtoie alors, notamment Arnold Schoenberg, Lou Harrison et John Cage.
Musicien littéraire par excellence, maîtrisant brillamment l’art du portrait (qu’il a cultivé également dans ses compositions), Thomson a écrit une autobiographie de premier ordre dont la valeur reste intacte. Il convient de préciser qu’on n’y trouvera pas la moindre allusion à son homosexualité, qu’il n’a jamais souhaité révéler publiquement, surtout après le traumatisme de son arrestation en 1942 lors d’un raid du FBI dans un bar gay de Brooklyn. Ainsi, le lecteur non averti ne saura pas que le peintre Maurice Grosser (1903-1986), dont il est si souvent question dans ces pages, a partagé son existence pendant quelque soixante ans.
Vincent GIROUD
8/11/2018
genre | Autobiographie (Mémoires) |
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éditeur | A. A. Knopf |
lieu d'édition | New York |
années d'édition | 1966 |
nombre de pages | x, 424, xiv |
langue originale | anglais |
réédition d'ouvrage | |
compositeur |