Paz, Juan Carlos : Alturas, tensiones, ataques, intensidades (Memorias I, II, III) (1972-1994)
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Alturas, tensiones, ataques, intensidades (Memorias I) est paru à Buenos Aires aux Ediciones de la Flor en 1972, quelques semaines avant la mort de Juan Carlos Paz, dont le portrait orne la couverture. Selon un témoignage, encore sur son lit de mort, Paz corrigeait le livre imprimé comme s’il s’agissait d’épreuves, ou comme si le texte, au-delà de ses versions concrètes, manuscrites ou imprimées, était amendable à l’infini. Cela suggère qu’écrire ces Memorias fut pour lui moins un objectif qu’une activité, vouée par principe à l’inachèvement, et nourrie d’avant-dernières pensées parfois notées au hasard des cafés et des rencontres. Hauteurs, tensions, attaques, intensités : ces termes issus de la musique contemporaine disent à la fois l’ancrage du projet dans une réflexion de musicien et, grâce à leur potentiel métaphorique, le désir de prendre du champ pour penser le monde à l’aide de la musique. De prendre aussi du temps, comme l’illustre la projection infinie de l’entreprise comme perfectionnement dans l’absurde, sous l’égide de Jarry et la pataphysique : « 39 mars 9730. Aujourd’hui je m’attelle à réviser ce Mémorial, Journal, Chronique ou comme on voudra, où je trouve un apparent excès de contradictions. Il faut en inventer beaucoup d’autres » (Memorias II, p. 264).
Pourtant, Paz avait bien dû s’arrêter de corriger afin d’être publié – tout au moins pour le premier volume, car les deux autres allaient paraître de manière posthume, en 1987 et en 1994, une fois passée la dictature militaire de 1976-1983 qui avait jeté en prison, puis contraint à l’exil, son éditeur Daniel Divinsky. L’ensemble fait 941 pages qui forment comme un immense collier, ou un immense collage, de petits textes disparates, dont la taille peut aller de l’aphorisme au commentaire de quatre ou cinq pages. La majorité tient toutefois en deux ou trois paragraphes, un format peut-être hérité du journalisme, qui avait fourni à Paz sa première expérience d’écriture. Pour l’essentiel, elles relèvent plutôt de l’essai, en tant que commentaire non narratif d’événements, d’œuvres ou de personnalités – mais ce sont des essais réunis sous une forme éclatée, ou spiralée. Poussière d’essais, en quelque sorte. En outre, des souvenirs personnels, des anecdotes et des récits de voyage, qui évoquent ou remplacent l’autobiographie qu’il n’aura pas écrite, viennent toujours déchirer sans crier gare le tissu d’un pur discours sur le réel. Dans le domaine musical, il n’y a guère que les Mémoires d’un amnésique d’Érik Satie qui aient quelque parenté avec les Memorias du compositeur argentin, moins à cause des contenus que de leur commune éthique de l’excentricité.
Les Memorias baignent dans un présent perpétuel, où ce qui se passe aujourd’hui cohabite avec les réminiscences les plus anciennes, où les horreurs de la guerre du Vietnam résonnent par contiguïté avec les vertus de la solitude ou les singularités du contrepoint chez Bach. En revanche, souvent, des énumérations ou des séquences de noms ou de titres, des listes plus ou moins disparates, des localisations alternatives ou utopiques, viennent former comme une topographie sui generis de la culture universelle. Chaque volume est divisé en « livres », mais bien malin qui saurait dire pourquoi l’on passe de l’un à l’autre. Pas de début et pas de fin, ou alors ma fin est mon commencement. Or n’est-ce pas exactement de cette manière que, nous dit depuis toujours la psychanalyse, fonctionne l’inconscient ? Il demeure que Paz, dans les Memorias comme dans le reste de ses écrits, met toujours l’histoire de la musique au centre de sa réflexion. Sans être historien à proprement parler, faute par exemple de s’encombrer de sources documentaires, il pense invariablement à partir du grand récit moderniste où les œuvres individuelles viennent s’insérer comme autant de jalons d’un processus qui les dépasse. En disciple fidèle d’Arnold Schönberg, en lecteur attentif de René Leibowitz, Paz a fait sien le schéma historiciste de l’École de Vienne sur l’émancipation de la dissonance, y compris dans ses effets collatéraux, tels que la détestation d’Igor Stravinsky et de Paul Hindemith, ou la méfiance à l’égard de Béla Bartók. Et ce récit est celui de la musique savante occidentale dans son ensemble, où il place ses propres compositions, et qu’il assume sans apparemment se soucier du statut périphérique de la ville où il écrit – tout à fait en syntonie, de ce point de vue, avec la vision universaliste de la littérature défendue par son illustre contemporain et compatriote, Jorge Luis Borges.
Esteban BUCH
07/10/2018
Pour aller plus loin
Esteban Buch, « Les Memorias de Juan Carlos Paz, ou comment écrire une galaxie », Écrits de compositeurs : Une autorité en questions, dir. par Michel Duchesneau, Valérie Dufour et Marie-Hélène Benoit-Otis, Paris, Vrin, 2013, p. 185-204.
genre | Autobiographie (Mémoires) |
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éditeur | Ediciones de la Flor |
lieu d'édition | Buenos Aires, Argentine |
années d'édition | 1972 - 1994 |
nombre de pages | 945 pages |
langue originale | espagnol; castillan |
compositeur | |
identique à | https://catalogo.bn.gov.ar/F/D7QYQFJIEPPSV669PLA9R11XFC5QJRSI17RH4PCH364BNGYVBK-21143?func=full-set-set&set_number=063020&set_entry=000008&format=999 |
Volume 1
titre | Alturas, tensiones, ataques, intensidades (Memorias I) |
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éditeur | Ediciones de la Flor |
lieu d'édition | Buenos Aires |
année d'édition | 1972 |
pages |
Volume 2
titre | Alturas, tensiones, ataques, intensidades (Memorias II) |
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éditeur | Ediciones de la Flor |
lieu d'édition | Buenos Aires |
année d'édition | 1987 |
pages |
Volume 3
titre | Alturas, tensiones, ataques, intensidades (Memorias III) |
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éditeur | Ediciones de la Flor |
lieu d'édition | Buenos Aires |
année d'édition | 1994 |
pages |