Cours de composition musicale
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Ouvrage à la fois incontournable et problématique, le Cours de composition musicale domine l’ensemble de la production littéraire de Vincent d’Indy.
De 1897 à sa mort en 1931, d’Indy a été professeur de composition à la Schola Cantorum de Paris, dont il fut l’un des cofondateurs. Son enseignement, conjuguant esthétique et philosophie, histoire et analyse, étude des genres et des formes, adopte un plan logique et chronologique en cinq « années » qui, dans les faits, pouvait s’étendre sur dix ans voire davantage. Dès 1899, il entreprend de rédiger ce « cours » en vue de sa publication avec l’aide de l’un de ses élèves, Auguste Sérieyx, qui assure de 1900 à 1914 l’enseignement de première année (hommes). Les cinq années sont réparties en trois livres et quatre volumes (le deuxième livre étant scindé en deux), totalisant près de 1500 pages de texte et d’exemples musicaux, dont la parution s’échelonne sur un demi-siècle, de 1902 à 1950. Après la mort de d’Indy, Sérieyx assure seul la publication de la seconde partie du deuxième livre, et Guy de Lioncourt, successeur du maître à sa classe, se charge, après la Seconde Guerre mondiale, de rédiger le troisième livre.
Ces aléas éditoriaux ne garantissent pas à l’ouvrage une parfaite conformité avec l’enseignement oral de d’Indy. Les quelques amendements apportés aux deux premiers volumes à l’occasion de nouveaux tirages ne suffisent pas davantage à renseigner sur son évolution. D’Indy estimait même qu’« en cas de réédition du premier livre, il y aurait plus d’un passage à remanier » (Guy de Lioncourt, Un témoignage sur la musique et sur la vie au XXe siècle, Paris, L’Arche de Noé, 1956, p. 172‑173). Sur la forme, il regrette la sécheresse d’Auguste Sérieyx et son « atténuation un peu bien édulcorée de [s]es accès d’enthousiasme » : « Ils me semblaient […] nécessaires, car (outre qu’ils sont sincères) ils peuvent exciter le sens admiratif des élèves et leur faire du bien, quelquefois pour toute leur vie… Je me souviens de l’effet immense que j’ai ressenti, jeune, à la lecture des points d’exclamation de Berlioz dans son Traité d’orchestration : Les “quel poëte !” les “o Weber !!” et autres élans du cœur transportés sur les feuilles d’imprimerie, ont plus fait pour me guider dans la carrière que tous les préceptes didactiques du traité, et je regrette que vous ayez atténué ces termes que j’écrivais à bon escient. » (lettre de d’Indy à Sérieyx, Paris, 8 octobre 1909, Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, FAS 256.) Sur le fond, il laisse à son collaborateur une certaine latitude, voire la « paternité » et même la « responsabilité, de certaines démonstrations et de certaines idées » (CCM I, p. 7). Le critique Henri Quittard note également, à la parution du deuxième volume que, sans altérer la pensée de d’Indy, Sérieyx a probablement été « obligé à la condenser et à la fixer sous une forme nécessairement réduite », et aura ainsi « inconsciemment élagué bien des nuances qui contribuaient à sa physionomie véritable. » (La Revue musicale, 1er avril 1910, p. 188.) Bien qu’il ne doive pas être utilisé sans précautions, le Cours de composition reste toutefois un ouvrage essentiel à la connaissance de la pensée d’indyste.
Si d’Indy fait volontiers référence à l’enseignement de son maître César Franck, son cours n’en est pas moins éminemment personnel. A l’approche de la cinquantaine, le pédagogue puise dans sa longue expérience et sa vaste culture pour façonner une somme ambitieuse dans laquelle il expose sa conception de l’art musical : ses origines religieuses, son but expressif et éducatif, ses lois architecturales et son évolution progressive. La forme du Cours de composition est gouvernée par sa vision cyclique de l’histoire de l’art. En témoignent notamment la théorie du microcosme (CCM I, p. 5) et son « arbre généalogique » des formes (CCM II 1, p. 13). Divisant l’histoire de la musique occidentale en trois « époques » : rythmo-monodique (IIIe-XIIIe siècle), polyphonique (XIIIe-XVIIe siècle) et métrique (du XVIIe siècle « jusqu’à nos jours »), d’Indy opère également une dichotomie fondamentale entre la musique symphonique (« art du geste »), régie par les lois de l’architecture et de la symétrie, et la musique dramatique (« art de la parole »), soumise à l’action et à l’expression scéniques. Ce double découpage par époques et par genres détermine la structure de l’ouvrage. Le premier livre est consacré à l’étude des fondements de la musique (rythme, mélodie, notation, harmonie, tonalité, expression) et des deux premières époques (chant monodique et polyphonique), le deuxième livre à la musique symphonique et le troisième à la musique dramatique.
N’abordant pratiquement pas les questions de technique d’écriture, contrairement à Jérôme Joseph Momigny dans son Cours complet d'harmonie et de composition (1803-1806) ou à Antoine Reicha dans son Cours de composition musicale ou traité complet et raisonné d'harmonie pratique (1818), d’Indy privilégie l’étude des formes à partir de l’analyse d’œuvres du répertoire. Il s’inscrit ce faisant dans une tendance qui s’est accentuée tout au long du XIXe siècle, du Traité de haute composition de Reicha (2e vol., 1826) jusqu’au Traité de composition musicale d’Emile Durand (1899) en passant par la School of Practical Composition (1849) de Czerny. Il se distingue toutefois de ses pairs et prédécesseurs par le degré de détail de ses analyses et l’ampleur du répertoire étudié, qui va du chant grégorien à Debussy. Son ouvrage est incontestablement de son temps par sa volonté de prendre en compte l’ensemble de l’histoire de la musique occidentale, par l’influence sensible des théories évolutionnistes dans son étude des formes et des genres, par son insistance sur la conception unitaire des œuvres et sur le rôle de la tonalité et de la modulation, et par le caractère novateur de ses analyses, qui empruntent notamment aux travaux d’Hugo Riemann (phraséologie, fonctions tonales), l’un des plus importants théoriciens allemands de l’époque. Quoique ancrée dans la philosophie médiévale et largement fondée sur sa propre expérience, la pensée musicale de d’Indy emprunte aussi à divers auteurs des XVIIIe et XIXe siècles (Mattheson, Rameau, Hegel, Lamennais, Wilhelm von Lenz, Charles Lévêque, Wagner, Tolstoï, Ruskin, etc.).
La façon dont d’Indy aborde le répertoire est naturellement très subjective. Les compositeurs privilégiés sont ceux qui correspondent à sa vision progressive de l’art, et à ses exigences en matière d’expression et de construction : Palestrina, Monteverdi, Bach, Rameau, Gluck, et plus encore Beethoven, Wagner et Franck. Sans nier leur génie ou leur talent, il accorde une moindre place à des musiciens comme Haendel, Haydn, Mozart, Chopin, Schubert ou Liszt. Il n’hésite pas à analyser des œuvres modernes (Dukas, Fauré, Debussy, Richard Strauss, etc.) ainsi que bon nombre des siennes. Quant aux genres, les plus longs développements sont consacrés à la musique pure (sonate, variation, symphonie, quatuor à cordes), à l’opéra et au drame lyrique, tandis que la fantaisie, le poème symphonique, les pièces de genre et le lied sont étudiés de façon beaucoup plus superficielle. Il ne cache pas d'autre part son peu d’estime pour le concerto et la musique de ballet. Enfin, dans une perspective pédagogique, il n’hésite pas à souligner dans chaque partition analysée ce qu’il considère comme des qualités et des défauts.
Par nature, le Cours de composition musicale s’adresse avant tout à des apprentis musiciens, aussi bien interprètes que compositeurs. Pour d’Indy en effet, nul ne doit ignorer l’histoire de son art : les créateurs ne peuvent contribuer au nécessaire progrès de celui-ci s’ils ne suivent la route indiquée par leurs prédécesseurs, de même que les interprètes ne peuvent traduire fidèlement les œuvres du répertoire qu’en ayant pénétré leur forme et étudié le style de leurs auteurs. En cela, sa conception de l’enseignement se distingue résolument de celle du Conservatoire d’alors où prime l’apprentissage technique. En ce sens, les premiers volumes du Cours ont valeur de manifeste et ont été ressentis comme tel, suscitant quelques années plus tard une réponse de Camille Saint-Saëns dans sa brochure Les Idées de M. Vincent d'Indy. Le chapitre sur l'harmonie, dans lequel d'Indy émet l'idée paradoxale que "les accords n'existent pas" (CCM I, p. 91), fait aussi couler beaucoup d'encre, alimentant la querelle entre les élèves de la Schola et ceux du Conservatoire, "horizontalistes" partisans du contrepoint contre "verticalistes" défenseurs de l'harmonie. Charles Koechlin y fait même allusion dans l'"Avant-propos" de son Traité de l'harmonie (1927). A l’inverse, le retard avec lequel sont parus les deux derniers volumes a considérablement affaibli leur portée et nui à leur réception. Si, dans son ensemble, l’ouvrage peut paraître arbitraire quant à certains aspects de son plan, erroné ou dépassé du point de vue musicologique, daté dans ses classements et ses allusions politiques ou idéologiques (antisémitisme), il reste un témoignage précieux sur le temps qui l’a vu naître, et sur la formation et l’esthétique de son auteur. Si les analyses d’œuvres peuvent être discutées, elles ont gardé tout leur intérêt du fait qu’elles émanent d’un créateur incontestablement expert en matière de processus compositionnel. C’est sans doute la raison pour laquelle, s’il n’a pas tardé à apparaître comme réactionnaire au regard des bouleversements du langage musical au XXe siècle, le Cours de composition a exercé une influence si profonde sur la formation de générations de musiciens. Sans parler des élèves venus des quatre coins du monde qui ont suivi l’enseignement de d’Indy à la Schola, il a été étudié par des créateurs aussi singuliers que Heitor Villa-Lobos, Michael Tippett, Henri Dutilleux, et a même fait l’objet d’une traduction en japonais (plus récemment, le premier livre a été traduit en anglais). Olivier Messiaen s’en est lui-même inspiré pour son propre enseignement au Conservatoire de Paris.
Gilles Saint Arroman
26/09/2019
Pour aller plus loin
Rémy Campos, « Le Cours de composition de Vincent d’Indy », Théories de la composition musicale au xxe siècle, sous la direction de Nicolas Donin et Laurent Feneyrou, Lyon, Symétrie, 2013, vol. 1, p. 67-92.
Alice Gabeaud, Auprès du Maître Vincent d’Indy. Souvenirs des cours de composition, Paris, Editions de la Schola Cantorum, 1933.
Herbert Schneider, « Voraussetzungen und Bedingungen des Komponierens. Zum Cours de composition von Vincent d’Indy », dans Französische und deutsche Musik im 20. Jahrhundert, Herausgegeben von Giselher Schubert, Frankfurter Studien VII, Mainz, Schott, 2001, p. 47-64.
Table des matières (abrégé)
Premier livre
Avant-propos
Introduction
Chapitre I : Le rythme
Chapitre II : La mélodie / L’accent
Chapitre III : La notation
Chapitre IV : La cantilène monodique
Chapitre V : La chanson populaire
Chapitre VI : L’harmonie / L’accord
Chapitre VII : La tonalité
Chapitre VIII : L’expression
Chapitre IX : Histoire des théories harmoniques
Chapitre X : Le motet
Chapitre XI : La chanson et le madrigal
Chapitre XII L’évolution progressive de l’art
Appendice : Indication du travail pratique de l’élève
Table des musiciens et théoriciens appartenant aux deux premières époques de l’histoire musicale
Deuxième livre, première partie
Introduction
Chapitre I : La fugue
Chapitre II : La suite
Chapitre III : La sonate pré-beethovénienne
Chapitre IV : La sonate de Beethoven
Chapitre V : La sonate cyclique
Chapitre VI : La variation
Appendice : Indication du travail pratique de l’élève
Table des compositeurs de musique symphonique appartenant à la Troisième Epoque de l’Histoire Musicale et cités dans le présent volume
Deuxième livre, seconde partie
Introduction
Chapitre I : Le concert et le concerto à solistes
Chapitre II : La symphonie proprement dite
Chapitre III : La musique de chambre accompagnée
Chapitre IV : Le quatuor à cordes seules
Chapitre V : L’ouverture symphonique
Chapitre VI : Le poème symphonique et la fantaisie
Table des compositeurs de musique symphonique appartenant à la Troisième Epoque de l’Histoire Musicale et cités dans le présent volume
Troisième livre
Avant-propos
Introduction : Les formes dramatiques
Chapitre I : La musique dramatique
Chapitre II : L’oratorio et la cantate
Chapitre III : La musique de scène
Chapitre IV : Le Lied
Appendice : Notions générales sur la Prosodie dans la musique vocale
Table biographique générale du Cours de composition
éditions numérisées | |
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genre | Traité |
années d'édition | 1902 - 1950 |
langue originale | français |
traductions | |
compositeur |
Volume 1
éditions numérisées | Cours de composition musicale - volume 1 - Paris - Durand et Cie [1912] - https://archive.org, Cours de composition musicale - volume 1 - Paris - Durand et Cie [1912] - http://imslp.nl |
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titre | Première Partie |
éditeur | A. Durand et fils |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1902 |
pages | 222 |
Volume 2
éditions numérisées | Cours de composition musicale - volume 2 - Paris - A. Durand et fils [1909] - https://archive.org, Cours de composition musicale - volume 2 - Paris - A. Durand et fils [1909] - http://imslp.org |
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titre | 2e livre, première partie |
éditeur | A. Durand et fils |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1909 |
pages | 500 |
Volume 3
éditions numérisées | Cours de composition musicale - volume 3 - Paris - Durand et Cie [1933] - https://archive.org, Cours de composition musicale - volume 3 - Paris - Durand et Cie [1933] - http://petruccilibrary.ca |
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titre | 2e livre, seconde partie |
éditeur | Durand et Cie |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1933 |
pages | 340 |
Volume 4
titre | 3e livre |
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éditeur | Durand et Cie |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1950 |
pages | 372 |