Derniers souvenirs d'un musicien
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Seconde publication posthume chez l’éditeur Lévy, ce volume est une compilation d’onze articles du compositeur chroniqueur. A l’instar du précédent volume (Souvenirs d’un musicien, 1857), ces articles puisent dans divers périodiques auxquels Adam a collaboré, de 1835 à 1849 (La France musicale, la Revue et Gazette musicale de Paris, Le Constitutionnel). Ils sont rassemblés par l’éditeur, sans doute à l’instigation de Chérie Couraud-Adam (veuve de l’auteur), sans appareil critique ni localisation de leur source.
Le critère de sélection, à nouveau biographique, s’oriente principalement vers les compositeurs lyriques actifs des Lumières jusqu’à la Restauration : J.-P. Rameau, P.-A. Monsigny, C. W. Gluck, F. Gossec, puis H.-M. Berton, F.-A. Boieldieu et L. Cherubini. La particularité du feuilletoniste consiste à amalgamer des éléments biographiques circonstanciés avec une connaissance approfondie des œuvres. L’observation du langage musical est d’une acuité d’analyse surprenante – pour exemple le récitatif, la coupe des airs, danses et symphonies de trois œuvres scéniques de Rameau (p. 52-67), compositeur alors délaissé. Toute évocation est romancée, voire théâtralisée telle la genèse puis « Répétition d’Iphigénie en Tauride » de Gluck (p. 86-92), en présence du jeune Méhul. Ici, le témoignage de Louis Adam (père d’Adolphe), claveciniste proche de Gluck à l’Académie royale de Musique, a pu nourrir ce récit, tôt publié dans la Revue et Gazette musicale de Paris (1835).
Parmi cette pléiade française, Monsigny et Berton ont fait l’objet d’arrangements signés d’Adam, pour la reprise de leurs œuvres à l’Opéra-Comique ou bien à l’Opéra-National (1847). Promouvoir « Monsigny », puis « Berton » par la plume est susceptible de renforcer l’empreinte de ce répertoire transmis ou exhumé par leur restaurateur. Par exemple, Le Déserteur est l’occasion d’afficher la profession de foi d’Adam, à savoir « l’idée juste de la musique de théâtre […] ne doit pas être jugée, appréciée seulement sur sa valeur intrinsèque, mais surtout comme l’expression poétique d’une action qu’elle est appelée à vivifier par son mouvement, et à réchauffer de ses rayons. » (p. 140). En croisant ces articles, le lecteur voit surgir des filiations qui enjambent styles et siècles : de Rameau à Méhul via Gluck, de Monsigny à Auber via Cherubini et Boieldieu, etc. Sans que cela soit signifié, Adam en serait le descendant direct, de par la connaissance de ses aînés.
Franchissant l’espace français, un détour vers « La jeunesse d’Haydn » à Vienne s’attarde sur l’adolescent opiniâtre, rescapé de sordides chapelles où les enfants de chœur seraient exploités avant leur mue. L’influence du roman-feuilleton serait-elle palpable dans cette saynète sociale ? Adam fut un compagnon de jeu d’Eugène Sue durant leur propre jeunesse, et la veine féconde des Mystères de Paris (1842) investit alors tout genre journalistico-littéraire (Les Petits mystère de l’Opéra d’A. Second).
La sélection des contemporains, curieusement drastique, ne reflète pas l’intérêt qu’Adam porte à son temps, mais justifie le titre jusqu’alors abusif de Souvenirs. Ici, seuls ses confrères italiens – G. Rossini, « le génie musical le plus complet qui ait jamais existé » (p. 256) et G. Donizetti – et Boieldieu ont droit de cité. A la faveur de l’étude sur « La Dame blanche de Boieldieu », Adam, ex élève du Conservatoire, dévoile l’anecdote piquante à propos de son Ouverture. Son écriture dans l’urgence d’une nuit serait à mettre au crédit des jeunes disciples du maître, soit Théodore Labarre et lui-même. Les coulisses des théâtres, le « classicisme outré » du Conservatoire dans les années 1820, le système de production incitant les compositeurs à une fécondité hâtive (La Favorite de Donizetti) forment les arcanes de la vie artistique. Le rôle social de la musique atteint son apogée dans le « Concert donné par A. Marrast à l’hôtel de la présidence (1849) », au cours duquel lauréats du Conservatoire et orphéons d’ouvriers fraternisent face aux citoyens de la IIe République. En filigrane de ces articles, une vision sociologique du monde musical se construit, vision dont Adam semble le promoteur dans la presse française, si l’on se réfère à la date de première publication.
La réédition du volume, chez le même éditeur en 1871, atteste la popularité de tous ces récits. La stratégie assumée d’instruire tout en divertissant cible les attentes de plusieurs générations de lecteurs.
Sabine TEULON LARDIC
10/10/2018
Table des matières
. La jeunesse d’Haydn [Le Constitutionnel, 6 octobre 1848, n° 280, p. 1-2 ; 9 octobre 1848, n° 283, p. 1-2.]
. Rameau [« Études musicales : Rameau », La Revue contemporaine, 15 octobre 1852, tome 4, p. 135-153.]
. Gluck et Méhul.- La répétition d’Iphigénie en Tauride [Revue et Gazette musicale de Paris, 24 mai 1835, ii/21, p. 173-180.]
. Monsigny [« Études sur quelques musiciens français du xviiie siècle. Monsigny », La France musicale, 9 avril 1843, vi/ 15, p. 121-123.]
. Gossec [Le Constitutionnel, 15 février 1849, n° 46, p. 1-2 ; 16 février 1849, n° 47, p. 1-2 ; 17 février 1849, n° 48, p. 1-2.]
. Berton [« Berton. Montano et Stéphanie », Le Constitutionnel, 8 juin 1849, n° 159, p. 1-2 ; 9 juin 1849, n° 160, p. 1-2 ; 10 juin 1849, n° 161, p. 1-2.]
. Cherubini [La France musicale, 20 mars 1842, v/ 12, p. 109-111.]
. Rossini.- Le Stabat Mater [La France musicale, 7 et 28 novembre 1841, iv/ 45 et 48, p. 385-387 et 417-419.]
. La Dame blanche de Boïeldieu [Le Constitutionnel, 8 juillet 1848, n° 190, p. 1-2.]
. Donizetti [Le Constitutionnel, 2 mai 1848, n° 123, p. 1-2.]
. Concert donné par A. Marrast à l’hôtel de la présidence (1849)
Nota bene : l’identification de la première publication de chaque article, mentionnée entre [], est due aux récents travaux de Matthieu Cailliez (voir la bibliographie).
Pour aller plus loin
- Matthieu Cailliez, « Adolphe Adam, porte-parole de ‟l’école française” de l’opéra-comique. Inventaire et étude synthétique de ses critiques musicales (1834-1856) », dans EVERIST, Mark (ed.), Music Criticism Network Studies, n° 1 :Perspectives on the French Musical Press in the Long Nineteenth Century, Lucques, Centro Studi Opera Omnia Luigi Boccherini, 2018.
- Emmanuel Reibel, « Entre histoire anecdotique et littérature : le genre des “petits mystères” de l’Opéra », dans FERON, Séverine, TAIEB, Patrick (dir.), Écrire l'histoire du théâtre. L'historiographie des institutions lyriques françaises (1780-1914), Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 27 novembre 2017, n° 8, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
- Sabine Teulon Lardic, « Du lieu à la programmation : une remémoration concertée de l’ancien opéra-comique sur les scènes parisiennes (1840-1887) », dans TERRIER, Agnès, DRATWICKI, Alexandre (dir.), L’Invention des genres lyriques français et leur redécouverte au 19e siècle, Lyon, Symétrie / Palazetto Bru Zane, 2010, p. 347-385.
éditions numérisées | |
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genre | Autobiographie (Mémoires) |
éditeur | M. Lévy frères |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1859 |
nombre de pages | 319 |
langue originale | français |
compositeur |