Une analyse : la Cinquième Symphonie de Beethoven
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L’analyse de la Cinquième Symphonie de Beethoven s’inscrit dans le cadre des recherches menées par Barraqué au CNRS sur les formes ouvertes. Publiée pour la première fois dans Écrits, cette étude doit donc être rapprochée de son analyse de La Mer de Debussy et des Variations op. 27 pour piano de Webern. Selon Barraqué, les trois œuvres se caractérisent par une « approche d’une organisation autogène de la composition » (p. 403). L’analyse de la Cinquième Symphonie a été reconstituée par Laurent Feneyrou « à travers la partition annotée (Ricordi), un manuscrit inséré dans la partition, un tapuscrit de 247 feuillets, les rapports au CNRS et les notes de cours de Rose-Marie Janzen » (p. 403). Elle se compose d’une introduction et de quatre parties, consacrées à chacun des mouvements de la Symphonie (Allegro con brio, Andante con moto, Allegro, Finale : Allegro).
Dans l’introduction, Barraqué évoque essentiellement sa démarche analytique. Il affirme avoir utilisé son expérience de compositeur contemporain pour comprendre des œuvres du passé. Cela l’a poussé à rejeter deux approches classiques : l’analyse « par prélèvement », consistant à morceler une composition pour mieux la comprendre, et l’analyse fondée sur des archétypes (comme celui de forme sonate), qui néglige selon lui la singularité de l’œuvre et qui finit par « devenir une entrave au développement de la conscience musicale » (p. 405). L’approche de Barraqué est quant à elle sensible au devenir de l’œuvre dans sa totalité et ouverte à la pluralité des interprétations. Comme le compositeur l’affirme, son travail « ne relève pas de la musicologie, mais d’une activité d’“interprétation”, aussi proche que possible de la création » (p. 408). C’est pourquoi Barraqué utilise parfois des termes imagés (« éparpillement, éclatement, baisse de pression, élimination, coagulation », p. 408), tout en privilégiant le plus souvent le vocabulaire musical classique. Signalons à ce propos que le vocabulaire concernant l’étude du rythme est emprunté au Cours de composition musicale de Vincent d’Indy.
Selon Barraqué, la Cinquième Symphonie, ainsi que d’autres compositions de Beethoven, repose tout entière sur une seule idée musicale. Pour défendre sa thèse, il cite deux extraits de la correspondance de Beethoven avec Bettina Brentano, dans laquelle ce dernier affirme que « L’idée est une étincelle volée à l’infini » et que celle-ci « est toute la symphonie » (p. 414 et 415). Barraqué ajoute que l’idée musicale se concrétise dans « un élément premier irréductible et indivisible, la cellule » (p. 412). La cellule contient de manière embryonnaire des éléments structurels qui se déploient progressivement au cours de l’œuvre. Ainsi la Cinquième Symphonie est-elle fondée « sur l’accord de tonique en position de sixte ou en position de quarte et sixte, à l’exception du finale qui repose sur l’état fondamental » (p. 410). L’unité de l’œuvre se manifeste non seulement sur le plan mélodique et harmonique, mais aussi au niveau du rythme. Par exemple, la célèbre cellule rythmique qui ouvre le premier mouvement de cette symphonie réapparaît, augmentée, à partir de la mesure 19 du troisième mouvement. De plus, les contrastes thématiques à l’intérieur d’un mouvement tendent à s’estomper, voire à se dissoudre. Concernant l’Allegro con brio, Barraqué affirme que « le second thème est rattrapé par le premier, et le mouvement est construit sur une seule idée » (p. 453). Ce phénomène se reproduit dans le quatrième mouvement, car « le premier thème est une anthologie des autres éléments du mouvement » (p. 539). Pour toutes ces raisons, Barraqué en conclut que « Cette symphonie est l’œuvre de l’unité ou de l’obsession » (p. 454).
Avec une grande hauteur de vue, Barraqué compare la Cinquième Symphonie à d’autres compositions beethoveniennes ou à d’autres œuvres musicales, figuratives ou littéraires. Il souligne en effet ses ressemblances avec la Symphonie « Heroïque » (p. 410-411), il rapproche son caractère obsessionnel du Sacre du printemps de Stravinsky (p. 416), il relève ses analogies avec la série schoenbergienne (p. 459-461) et il met en parallèle son organisation formelle avec celle de La Mer et de Jeux de Debussy (p. 518). Concernant les dernières mesures du quatrième mouvement, il suggère que leur atmosphère est comparable à celle de La Nuit étoilée de Van Gogh (p. 572). Elles lui rappellent également les derniers mots d’Hamlet de Shakspeare (« The rest is silence »), sur lesquels se clôt son analyse. Toutes ces références permettent de mettre en relief les spécificités du langage musical de la Cinquième Symphonie, dont Barraqué fournit un ample éventail (phénomènes de recouvrement, de dépassement et de transfuge ; procédés d’amplification et d’élimination ; effets d’étouffement orchestral et de limonage).
Comme d’autres écrits et œuvres barraquéennes, l’analyse de la Cinquième Symphonie porte le sceau de l’inachèvement. « Nous voici dans l’impossibilité de terminer dignement notre analyse » (p. 576), affirme-t-il. Il n’en demeure pas moins que son étude est désormais une référence incontournable pour tous ceux qui souhaitent comprendre plus finement l’une des œuvres les plus marquantes de l’histoire de la musique.
Pietro MILLI
17/10/2019
Pour aller plus loin :
Barraqué a consacré à Beethoven et à son œuvre d’autres articles, réunis dans Écrits (p. 159-168, 391-400 et 581-582). Nous renvoyons le lecteur notamment à son « Étude sur le romantisme musical » (p. 159-168), sous-titré « Le traumatisme beethovenien ». Selon Laurent Feneyrou, « il n’est pas exclu que ce texte inédit de douze feuillets tapuscrits constitue la conclusion de l’analyse de la Cinquième Symphonie de Beethoven » (p. 160).
genre | Analyse |
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langue | français |
description matérielle et bibliographique | Ensemble de documents concernant l'analyse de la Cinquième Symphonie de Beethoven : la partition annotée (Ricordi), un manuscrit inséré dans la partition, un tapuscrit de 247 feuillets, les rapports au CNRS et les notes de cours de Rose-Marie Janzen. |
compositeur | |
éditions scientifiques | Écrits |