L'Île de Barataria
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Dédié « à Maurice Barrès, in Memoriam » – qui avait notamment écrit des impressions de voyage en Espagne (Du sang, de la volupté, de la mort, 1894, et Greco ou le Secret de Tolède, 1911) –, l’unique roman du compositeur, musicographe et hispaniste Henri Collet (1885-1951), L’Île de Barataria (Paris, Albin Michel, 1929), fait directement allusion au Don Quichotte de Cervantes (1547-1616), et plus particulièrement au chapitre XLV de la deuxième partie (1614) intitulé « De cómo el gran Sancho Panza tomó posesión de su insula y del modo que comenzó a gobernar » [Comment le grand Sancho Panza prit possession de son île et de quelle manière il commença à gouverner].
Le premier chapitre du roman colletien commence à la manière d’une auto-fiction : il met en scène un jeune étudiant français en doctorat (lui-même), de manière très réaliste, face à ses activités de chercheur dans les archives de la bibliothèque de l’Escurial, non loin de Madrid, en compagnie du père musicologue Fray Luis Villalba Muñoz (1872-1921). C’est avec lui – ce dernier se passionnant alors pour les instruments de musique cités dans Don Quichotte – que le protagoniste s’intéresse de plus près au roman de Cervantes. En se penchant sur l’Album Cervantin Aragonais [Album cervantino aragonés de los trabajos literarios y artísticos con que se ha celebrado en Zaragoza y Pedrola el III centenario de la edición principe del Quijote] publié à Madrid par la duchesse de Villahermosa et portant la date de 1905, et en lisant l’une des communications des meilleurs érudits aragonais, Collet prend soudain conscience de l’éventualité de l’existence véritable de Don Quichotte : « Et maintenant je ne sais plus où finit la vérité, où commence l’erreur » (p. 24) avoue alors le narrateur. Aussitôt, le roman bascule dans une enquête policière où Collet est invité à se transformer en véritable détective lancé sur les traces de Don Quichotte, Sancho Panza et Aldonza, dans un univers mêlant habilement réalité et fiction, vérité historique et fantasmagorie. On suit le personnage sur les routes d’Espagne parcourues par l’Ingénieux Hidalgo : Argamasilla de Alba – présumé village de Don Quichotte –, Saragosse et Pedrola – villes aragonaises que Cervantes plaça sur l’île fictionnelle de Barataria qui donne son nom au roman de Collet –, Toboso – village de la descendante de Dulcinée –, le monastère de San Juan de la Peña – que « Richard Wagner évoque si fidèlement dans le Monsalvat de son Parsifal » (p. 161) et dont la grotte ancienne aurait servi de repaire aux nécromants –, etc.
L’ensemble des aventures et des péripéties est nourri de très nombreuses références érudites sur la littérature espagnole (citations de chapitres très précis du Don Quichotte de Cervantes, de La Route de Don Quichotte et Castilla d’Azorín [José Martínez Ruiz], de la comédie Le Fils des Lions de Lope de Vega, références bibliographiques sur les grands mystiques espagnols, les Visions d’Espagne de Manuel Ugarte, Voyage aux Pyrénées du géographe Rafael Torres Campos) et française (Là-bas et L’Oblat de Huysmans), la musique (Victoria, Guerrero, Morales, Comes… et Wagner !), mais aussi de nombreuses et très gourmandes allusions à la gastronomie des tertulias [auberges] de la péninsule ibérique.
Après la table des matières et l’« Avertissement » (p. 1), l’ouvrage se structure en sept chapitres, chacun d’eux portant un titre précis : « Un dîner à l’Escurial » (chap. 1, p. 3), « Au pays de Don Quichotte » (chap. 2, p. 28), « À Barataria » (chap. 3, p. 58), « Vers la Caverne de Montesinos » (chap. 4, p. 95), « Au palais de Merlin » (chap. 5, p. 125), « À Monsalvat » (chap. 6, p. 159), « Don Quichotte et Dulcinée » (chap. 7, p. 215).
Le mercredi 8 mai 1929, en séance plénière, la commission de la bourse nationale de voyage littéraire du Ministère de l’instruction publique et des beaux-arts, commission présidée par Auguste Dorchain, procède à l’élection du lauréat du prix national de prose de 1929. Treize membres étaient alors présents : Auguste Dorchain, Charles Couyha, André Dumas, Maurice Donnay, Léon Hennique, Pol Neveux, Henri de Régnier, Gustave Rivet, André Rivoire, Victor-Émile Michelet, Gabriel Faure (l’écrivain, ami de Malraux), Alcanter de Brahm et André Foulon de Vaulx. En concurrence avec trois autres candidats – Suzanne Martinon, Pierre Fervacque et Alice Poulleau –, Collet réunit la majorité des suffrages au quatrième tour et se voit ainsi proclamé lauréat de la bourse nationale pour son roman L’Île de Barataria. Les revues spécialisées (le Bulletin de la Société d’Études des Professeurs de Langues Méridionales, la Revue de l’Amérique latine ou encore Le Quotidien) se feront l’écho de ce succès du compositeur-romancier.
Stéphan ETCHARRY
27/11/2017
Pour aller plus loin :
• Bulletin de la Société d’Études des Professeurs de Langues Méridionales, 25e année, no 66, octobre-décembre 1929, p. 16.
• Cervantes, Miguel de, Don Quijote de la Mancha, edición del IV Centenario, Madrid, Real Academia Española, Asociación de Academias de la lengua española, 2004.
• Collet, Henri, « Rapport à Monsieur le Ministre du Boursier National de Voyage Littéraire de 1929 », Rapport manuscrit, exemplaire en copie-carbone, Paris, Archives privées Clostre-Collet, non daté [1930 ?], 12 p. en recto simple.
• Etcharry, Stéphan, « Cervantes y el Quijote en la obra pedagógica, literaria y musical de Henri Collet », dans Lolo, Begoña (dir.), Cervantes y el Quijote en la música. Estudios sobre la recepción de un mito, Madrid, Universidad Autónoma de Madrid, Ministerio de Educación y Ciencia, Centro de Estudios Cervantinos, 2007, p. 473-489.
• Etcharry, Stéphan, Henri Collet (1885-1951), compositeur : un itinéraire singulier dans l’hispanisme musical français (dir. Louis Jambou), Université Paris-Sorbonne, 2004, p. 297-303 (exemplaire microfiché, Atelier National de Reproduction des Thèses, Université de Lille III, code : 1054.42528/04).
• Gallois, Jean, Henri Collet ou l’Espagne impérieuse, Drize, Papillon, coll. « Mélophiles », no 9, 2001.
• Journal Officiel de la République française, 61e année, no 112, mardi 14 mai 1929, p. 5448.
• Le Quotidien, 7e année, no 2492, Paris, mardi 10 décembre 1929, p. 4.
• Revue de l’Amérique latine, 9e année, tome XIX, no 98, Paris, 1er février 1930, p. 182.
genre | Fiction (Roman) |
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éditeur | Albin Michel |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1929 |
nombre de pages | 242 |
langue originale | français |
compositeur |