De la vérité. Ce que nous fumes, ce que nous sommes, ce que nous devrions être
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Quatre ans après la seconde publication augmentée de ses Mémoires, ou Essais sur la musique (1797) qui attirent l’attention de la société lettrée et savante, André Grétry (1741-1813), dont les opéras-comiques ont rythmé la vie musicale de la fin de l’Ancien Régime et de la Révolution, se montre préoccupé par des thématiques qui ne concernent plus directement la musique et la composition. Ces dernières, il le confesse, l’intéressent « moins qu’autrefois » (t. 1, p. X). Le titre de l’ouvrage qu’il publie alors ne saurait être plus explicite quant à l’élargissement de son ambition spéculative : De la vérité. Ce que nous fumes, ce que nous sommes, et ce que nous devrions être (1801) se veut un livre de maturité, philosophique et profond. « Il est temps de préparer ma retraite », écrit-il, « et la philosophie, la raison, qui sont une même chose, deviennent mon partage » (p. XV). Estimant que ses Mémoires n’ont jamais traité d’autre chose que des vérités psychologiques, Grétry veut désormais consacrer à la question morale trois nouveaux tomes épais, débarrassés cette fois de la crainte d’ennuyer un public de musiciens, et directement adressés à l’Institut national des sciences et des arts, dont il compte parmi les membres.
Si le compositeur belge reconnaît avoir mûri et vécu, il porte encore davantage son attention sur la fulgurante évolution politique de la société française dans la décennie révolutionnaire. Les trois parties qui composent le titre rendent compte d’un projet de nature historique (« Ce que nous fumes » est une brève histoire de France et « des temps de Barbarie et de Féodalité »), auquel il mêle son propre témoignage des événements récents (« Ce que nous sommes » n’est autre qu’un abrégé des événements révolutionnaires, correspondant initialement à une lettre adressée à son ami l’abbé Rozier, mort en 1793), mais aussi et surtout des analyses relevant selon lui de l’écriture moraliste (« Ce que nous devrions être »). Cette troisième section, occupant plus de la moitié du premier tome et l’entièreté des deux autres, consiste en une somme d’analyses au cours desquelles il traque obsessivement les manifestations de la vérité et de la mauvaise foi dans les comportements de ses contemporains, dans les structures économiques de la société et dans les diverses institutions. « Dans ce siècle, on raisonne beaucoup sur la perfectibilité de l’homme », écrit-il assis au bureau de Rousseau dont il a acquis la demeure de Montmorency : « je fais plus ici, je donne la solution » (p. XVIII). Il y fait une série éclectique de recommandations morales et politiques dans un esprit de réforme républicaine du citoyen de l’avenir, qui vise partout à instaurer chez lui l’amour de la vérité, de l’harmonie et de la raison.
Vérité, harmonie et raison : ces trois termes sont presque interchangeables pour Grétry qui voit dans les menteurs des gens qui, en « sonnant faux » ou « détonnant » (p. 3), se portent préjudice à eux-mêmes et aux autres. Dans ce livre, la vérité ne s’oppose pas à l’erreur, comme c’est le cas des vérités physiques, mais au mensonge et à la mauvaise foi. Elle revêt une dimension esthétique : « avec satisfaction je nommerais vérité, tout ce qui est beau et juste ; j’appellerais mensonge, tout ce qui est laid et injuste » (p. 50). L’amour spontané de l’harmonie en ressort comme un des versants, sentimental, par lequel on accède à la vérité morale. Grétry procède ainsi à l’analyse de la société française de son époque, à la recherche de l’« harmonie sociale » républicaine ; mais aussi à l’analyse du cœur humain, agité par des passions harmonieuses ou dissonantes, et dont l’art de la composition lui avait déjà livré bien des secrets. A bien des égards, même s’il n’est plus question de musique, c’est toujours le musicien qui s’exprime, et qui propose au lecteur de lui faire entendre les faussetés de la société, pour les corriger analogiquement dans un accord harmonieux et vrai.
En croisade contre le mensonge et l’amour-propre dans toutes les pages de ce livre, il les débusque dans chaque aspect de la vie et de la société : l’instruction publique, la jeunesse, le commerce, le point d’honneur (qui autorise à provoquer en duel lorsqu’on est déshonoré), les mœurs (t. 1) ; les arts et les sciences, la vie psychologique, l’amour et la gente féminine (qui l’obsède particulièrement) (t. 2) ; ou encore la personnalité de Rousseau, la littérature moraliste, la mort, le bonheur, l’immortalité de l’âme, le temps (t. 3). Des trois volumes, celui où il est le plus question de musique est le deuxième : Grétry s’y penche sur l’influence de la musique sur les mœurs et sur l’usage politique et social qui peut en être fait, notamment à travers les fêtes nationales.
Ces trois tomes ne semblent pas avoir connu de grande postérité et, s’ils sont disponibles en traduction anglaise depuis 2020, leur réception, dont on n’a pas vraiment de trace, paraît aujourd’hui quasi-nulle. L’auteur de l’article du Grove Dictionary consacré en 1900 à Grétry voit dans cet ouvrage « l’affirmation prétentieuse de ses opinions politiques et sociales », ce qui explique peut-être sa tombée dans les oubliettes. Malgré les ambitions que l’auteur se donne, et les philosophes et écrivains qu’il cite, il ne propose pas vraiment de traitement original, ni sur un plan littéraire ni sur un plan philosophique, de son objet, la vérité. Ce livre n’en reste pas moins un document d’intérêt pour l’historien de cette période de transition entre l’âge classique et le romantisme, qui bénéficie de nombreux récits de vie et anecdotes divertissantes de la vie sociale, scientifique et culturelle de cette époque.
Pierre BROUILLET
28/06/2022
genre | Essai |
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années d'édition | 1801 |
langue originale | français |
compositeur |
Volume 1
éditions numérisées | De la vérité. Ce que nous fumes, ce que nous sommes, ce que nous devrions être - volume 1 - Paris - Ch. Pougen [1801] - https://books.google.fr |
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titre | |
éditeur | Ch. Pougen |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1801 |
pages | 248 |
Volume 2
éditions numérisées | De la vérité. Ce que nous fumes, ce que nous sommes, ce que nous devrions être - volume 2 - Paris - Ch. Pougen [1801] - https://archive.org |
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titre | |
éditeur | Ch. Pougen |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1801 |
pages | 402 |
Volume 3
titre | |
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éditeur | Ch. Pougen |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1801 |
pages |
Volume 3
éditions numérisées | De la vérité. Ce que nous fumes, ce que nous sommes, ce que nous devrions être - volume 3 - Paris - Ch. Pougen [1801] - https://books.google.fr |
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titre | |
éditeur | Ch. Pougen |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1801 |
pages |