Mémoires, ou essai sur la musique
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En 1789, André Grétry (1741-1813) est au faîte de la gloire et arrive à la fin d’une période de composition particulièrement prolifique : une quinzaine d’opéras-comiques depuis la création de son Huron à Paris en 1768. Ayant été directeur de la musique de la reine Marie-Antoinette, il jouit des faveurs de la cour et d’une indéniable réputation. La publication de son premier écrit, ses Mémoires, ou Essai sur la musique, « avec approbation et privilège du Roi », s’inscrit ainsi dans ce contexte particulier qui précède les premiers événements révolutionnaires à Paris.
Sur un plan générique, le titre de cette œuvre hybride interpelle. Elle est bien constituée du récit romancé de sa vie, de son enfance liégeoise à sa sociabilité parisienne, en passant par ses années de formation musicale à Rome (dans la section « Voyage de l’auteur en Italie », typique de l’écriture de soi des mémorialistes préromantiques et romantiques). Mais il ne s’agit pas moins d’un « Essai sur la musique », dans la mesure où chaque événement marquant devient prétexte à des développements sur divers aspects de la technique musicale : l’influence du rythme sur l’homme, l’apprentissage de la composition, les difficultés du contrepoint (auxquelles une section entière, « De la musique d’église », est consacrée), les rôles confiés respectivement à la voix et aux instruments… L’ordre d’exposition de son propos suit en fait le développement de ses facultés musicales – son éducation –, offrant à ce volume un air de ressemblance avec l’Emile de Rousseau, par ailleurs abondamment cité.
Ces Mémoires, adressés à un public qui dépasse le strict cercle des connaisseurs, ont pour objectif de convaincre leur lecteur qu’en dépit des brochures contradictoires et des controverses autour des différents compositeurs, où chacun « [prêche] pour son saint », « il est un saint pour tout le monde » (p. 3), c’est-à-dire une musique capable d’obtenir un assentiment universel transcendant le genre ou la nationalité. Se prévalant d’une connaissance pratique de la musique, issue de son expérience de la composition, il se donne pour tâche d’analyser les raisons du succès de son œuvre, en s’appuyant sur de nombreux exemples tirés de grands musiciens comme Pergolèse, Lully, et Gluck. A plusieurs égards, son esthétique rejoint celle de Rousseau : la mélodie est élevée au rang de principe musical, dont la qualité dépend de la simplicité et de la générosité sentimentale du cœur qui la conçoit. Certes « enfant de la nature » (p. 261), le mélodiste ne peut pourtant pas négliger les ressources harmoniques de la composition ; Grétry soutient de fait une position éclectique, respectant par exemple chez Gluck l’expression des passions via la masse instrumentale de l’orchestre et l’harmonie, plutôt que par la voix humaine et la mélodie.
Il reste difficile de voir dans ce livre autre chose qu’un « Essai sur ma musique ». En effet, s’il existe « un saint pour tous », une musique réellement universelle, c’est son œuvre qui en fournit implicitement le modèle. Lors de la reparution des Mémoires en 1797, ceux-ci sont augmentés de deux volumes contenant des notices pour la majorité de ses opéras, plus ou moins détaillées et riches d’anecdotes sur sa vie et sur la technique de composition. Outre les informations que les curieux de son œuvre y trouveront, ces deux volumes sont moins denses et romancés que le premier, qui se laisse encore lire comme un essai.
Un tel jugement, cependant, risque de détourner l’attention d’un aspect frappant de cet ouvrage : sa réception dans la communauté scientifique de l’époque. Le livre est réédité plusieurs fois (1812, 1828), et traduit en allemand en 1800 par Karl Spazier. Le physicien et musicien Ernst Chladni promet dans une lettre de 1801 d’en faire une recension. Plus encore, Grétry est crédité de plusieurs observations pertinentes concernant l’influence de la musique sur le corps, notamment celle du rythme sur le pouls, et sur l’âme, en tant que baume spécifique contre la mélancolie mais aussi comme excitant propre à provoquer le délire. C’est à ce titre qu’il est fréquemment cité dans des thèses et traités de médecine du début du XIXe siècle, comme le Des maladies mentales (1838) du fondateur français de l’aliénisme Jean-Etienne Esquirol. En effet, en s’attachant à analyser les effets physiques et moraux de sa musique sur le public, Grétry initie un mouvement de réflexion quant aux rapports entre musique et psychopathologie, qui accompagne les débats de nature psychophysiologique soulevés par l’émergence des sciences humaines à cette époque.
Pierre BROUILLET
28/06/2022
éditions numérisées |
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genre | Autobiographie (Mémoires) |
éditeur | L'auteur |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1789 |
nombre de pages | 565 |
langue originale | français |
traductions | |
compositeur |