Chroniques de ma vie
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En mars 1935, à l’âge 53 ans, Stravinski fait paraître le premier volume de son autobiographie intitulée Chroniques de ma vie aux éditions Denoël et Steele ; le second volume paraît au mois de décembre de la même année. En publiant ses souvenirs, Stravinski s’inscrit dans une tradition déjà longue d’autobiographies de compositeurs ; il suit aussi en cela le modèle de son professeur Rimski-Korsakov lui même auteur de Chronique de ma vie musicale (1909) dont le titre n’est pas sans parenté. Le livre de Stravinski est écrit dans un style sobre et accessible. Les raisons qui l’ont incité à l’écrire sont clairement exposées dans la préface : il s’agit de « dissiper des malentendus » et présenter son « image véridique » après que ses propos ont été tant de fois « dénaturés » dans de nombreuses interviews. Certes le compositeur avait déjà accordé de nombreux entretiens, mais il avait aussi publié jusqu’alors une quinzaine d’articles dans la presse et les revues spécialisées au travers desquels on devine combien la volonté de prendre la parole, souvent sous forme de « mise au point », était déjà présente.
Dans ses écrits, Stravinski a souvent fait appel à un collaborateur pour l’aider à formuler ses idées. Dans le cas des Chroniques de ma vie, c’est Walter Nouvel (1871-1949), un proche de Diaghilev, également auteur d’une biographie de ce dernier parue la même année, qui a rédigé le texte, ou à tout le moins qui l’a transcrit à partir d’un dialogue avec le compositeur. Quelques lettres de Nouvel à Stravinski attestent d’ailleurs de son séjour à Voreppe au cours de l’été 1934 pour la rédaction de l’autobiographie. En ce sens, le livre est un exemple du genre dénommé par le théoricien de la littérature Philippe Lejeune « L’autobiographie de ceux qui n’écrivent pas » puisqu’il s’agit d’un récit autobiographique produit à deux, dont le « héros » n’écrit pas et dont le rôle de l’autre protagoniste est, non pas d’écrire, mais de transcrire. Malheureusement, autant les brouillons de sa Poétique musicale (1939) permettent de comprendre la part des coauteurs, autant les archives et avant-textes des Chroniques sont pauvres et ne permettent pas de suivre la genèse. Les archives de la collection Stravinski à la Fondation Sacher à Bâle comprennent seulement un tapuscrit corrigé de la première partie et les épreuves corrigées de la seconde partie. Robert Craft, de son côté, a apporté en 1984 une série d’informations relatives à l’implication de Walter Nouvel, à l’origine du livre, aux tractations avec les éditeurs, aux accords financiers avec le coauteur et aux premiers comptes rendus.
Malgré le prétendu souci d’exactitude du compositeur, le texte des Chroniques contient beaucoup d’approximations et d’erreurs. Les indications temporelles sont souvent absentes et parfois fausses. De manière générale, le compositeur ne cherche en rien à ancrer son propos dans une trame historique. Au cours du demi-siècle qu’embrasse le récit, se sont succédé la révolution russe, la Première guerre, l’avènement du communisme, tous les bouleversements de la vie politique, intellectuelle et artistique, mais Stravinski n’y fait jamais référence pour se concentrer sur sa trajectoire personnelle. La première partie comprend trois chapitres : « Premières impressions », « Adolescence » et « Au temps des Ballets russes » qui amène le lecteur jusqu’à la création de Pulcinella en 1920 et la seconde partie en comprend trois également : « Années d’après-guerre », « D’Œdipus Rex au Baiser de la fée » et « Après la mort de Diaghilev ».
Sur le plan du contenu, les idées que le compositeur expose seront encore développées plus tard, notamment dans sa Poétique musicale. Les portraits qu’il dresse de ses collaborateurs, surtout lorsqu’ils sont toujours actifs, sont souvent assez ténus mais aimables. Les pages qu’il consacre aux personnalités qui l’ont marqué reflètent toujours des opinions tranchées, tant dans ses goûts que dans ses rejets : les interprètes, le disque, le wagnérisme, Tchaikovski, Beethoven, l’expression en musique. Aussi, l’obsession du compositeur de fixer les limites de l’interprétation de son œuvre, que cette interprétation soit critique ou musicale, est très présente, mais jamais le compositeur ne formule la moindre doctrine esthétique ou le moindre système.
L’ouvrage connaîtra rapidement une diffusion internationale avec des traductions nombreuses, à commencer par deux éditions anglophones dès 1936 (An Autobiography à New York et Chronicle of my life à Londres) et une édition allemande dès 1937 (Erinnerungen), en partie modifiée pour rendre possible une réhabilitation de Stravinski en Allemagne (voir Evans, 1996). La première édition russe viendra en 1963.
Valérie Dufour
18/02/2020
Pour aller plus loin :
- Igor Stravinski, Chroniques de ma vie, Paris, Denoël et Steele, 2 vols, 1935.
- Robert Craft, « Appendix K : Walter Nouvel and Chroniques de ma vie », Stravinsky : Selected Correspondence, London, Faber and Faber, vol. 2, 1984, p. 487-502.
- Antoni Piza, « Stravinsky’s Autobiography and Stravinsky’s Authority » in Id., The Tradition of Autobiography in Music, PhD, City University of New York, 1994, p. 175-239.
- Joan Evans, « Some remarks on the publication and reception of Stravinsky’s Erinnerungen », Mitteilungen der Paul Sacher Stiftung, 9 (March 1996), p.17-23.
- Irina A. Veršinina, « Perečityvaâ knigu Igorâ Stravinskogo Hronika moej žizni [Re-reading Stravinsky's book Chroniques de ma vie] », Стравинский в контексте времени и места: Материалы научной конференции. Series: Naučnye trudy Moskovskoj Gosudarstvennoj Konservatorii im. P.I. Čajkovskogo, No. 57, Moskva, Gosudarstvennaâ Konservatoriâ imeni P.I. Čajkovskogo (Kafedra Istorii Zarubežnoj Muzyki), 2006, p.173-185.
- Stephen Walsh, Stravinsky. The Second Exile. France and America, 1934-1971, Londres, J. Cape, 2006.
- Valérie Dufour, art. « Chroniques de ma vie », dans Peter O’Hagan et Edward Campbell (eds), The Stravinsky Encyclopedia, Cambridge University Press, 2020, sous presse.
genre | AutobiographieAutobiographie (Mémoires) |
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éditeur | Denoël et Steele |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1935 |
nombre de pages | 187 |
langue originale | français |
traductions | |
compositeur |
Volume 1
titre | |
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éditeur | Denoël et Steele |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1935 |
pages | 187 |
Volume 2
titre | |
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éditeur | Denoël et Steele |
lieu d'édition | Paris |
année d'édition | 1935 |
pages | 190 |