Hervé (Florimond Ronger dit) (1825-1892)
Télécharger le PDF de la notice
Par nécessité autant que par esprit d’indépendance, Hervé a souvent écrit les livrets de ses œuvres. Parmi sa centaine d’œuvres (le nombre exact varie selon les auteurs), le quart environ ont un livret de la main d’Hervé, depuis Les gardes-françaises, à l’époque de ses tout premiers essais (1848), jusqu’à l’échec retentissant d’Alice de Nevers en 1875, année à partir de laquelle il semble avoir abandonné cette pratique. Dans l’intervalle, il a connu deux de ses plus grands succès, L’Œil crevé (1867) et Chilpéric (1868). Des témoignages de collaborateurs attestent qu’il participait activement à l’écriture des textes, même quand il n’était pas cité officiellement comme librettiste, pour Le petit Faust, notamment (1869). Par ailleurs, on peut considérer qu’Hervé se met littéralement en scène dans au moins deux œuvres, aux extrémités de sa carrière. D’abord Le Compositeur toqué (1854), dont il a écrit les paroles et la musique, en plus d’y jouer le rôle principal ; le titre de cette pochade deviendra le surnom officiel d’Hervé, encore en usage de nos jours. Ensuite Mam’zelle Nitouche, dont il n’a pas signé le livret, mais qui se base sur des épisodes de sa vie de jeunesse, alors qu’il était l’organiste de la paroisse de Saint-Eustache le jour et artiste lyrique le soir dans des petits théâtres. Dans certains livrets parmi les plus fous du compositeur, Le Hussard persécuté et L’Œil crevé, la part autobiographie est moins nette mais cependant indéniable.
On trouve dans le Fonds Hervé de la Bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris des livrets non publiés où il semble s’exprimer sur le monde lyrique de son temps par personnage interposé. C’est le cas d’Agamemnon ou le chameau à deux bosses, « tragédie étrange » dans laquelle le librettiste-compositeur, par la bouche de ses personnages, ironise sur les contraintes imposées à son théâtre par la législation en vigueur à l’époque. Certains sont inachevés, dont L’Arène de sabbat, mouvement d’humeur et d’humour, où Hervé par le biais d’un compère s’adressant au public se laisse aller à critiquer de manière comique un opéra de Gounod qui vient d’être créé, La Reine de Saba (1862).
En plus d’écrire paroles et musique, de jouer, chanter, diriger et mettre en scène ses œuvres, Hervé est son propre imprésario. À ce titre il a dû écrire une très grande quantité de lettres au cours de sa vie. Celles qui sont conservées à la Bibliothèque nationale de France sont passionnantes et on regrette qu’il n’y en ait pas davantage. Parmi les plus intéressantes, mentionnons une demi-douzaine de missives adressées de 1848 à 1868 au tout-puissant directeur de l’Opéra-Comique, Émile Perrin. Longtemps conservées dans le Fonds Émile Perrin des Archives nationales, certaines sont venues rejoindre le Fonds Hervé de la Bibliothèque de l’Opéra vers le milieu des années 1990, trop tard pour que ses biographes des années 1990 y aient eu accès. On en a retrouvé trois autres, empilées parmi celles des innombrables demandeurs, compositeurs ou librettistes, auxquels Perrin ne répondait apparemment jamais. Le rêve d’Hervé d’être joué à l’Opéra-Comique est évoqué brièvement par son premier biographe Louis Schneider, par Dominique Ghesquière et Jacques Rouchouse ensuite, mais aucun n’a semblé soupçonner l’ampleur de ce désir, véritable Graal du compositeur, qui quémande, harcèle, supplie, nuançant ainsi fortement l’image d’un joyeux excentrique plutôt satisfait de lui-même.
L’autre correspondant privilégié d’Hervé se nomme Eugène Bertrand, directeur du théâtre des Variétés de 1869 à 1892. La première des soixante lettres qu’il lui envoie date de l’accession de Bertrand au fauteuil directorial de cette salle importante dans l’histoire de l’opérette et qu’Hervé rêvait de conquérir. La dernière lettre à Bertrand est écrite pratiquement à la veille de la mort d’Hervé. Elles constituent des instantanés très savoureux et instructifs quant à ce qu’était la vie d’Hervé, à tout ce qu’il fallait comme tractation pour être joué, mais aussi à son processus créatif.
Hervé ne fut jamais critique musical, mais il adressa fréquemment des lettres ouvertes au Figaro. Un inventaire complet serait à faire, mais on voit qu’il y fait de la réclame pour ses pièces et se justifie contre certaines attaques. En 1868, il réagit à un mauvais tour d’Émile Perrin qui l’a ridiculisé en rendant public un message privé ; en 1875 il défend son opéra-bouffe Alice de Nevers contre un journaliste qui a éreinté la pièce ; en 1892, quelques jours avant sa mort, il résilie son abonnement, mécontent encore d’une critique injuste envers sa plus récente création, Bacchanale. Au moment des Turcs, en 1869, un échange de lettres acrimonieuses fait état de mésententes assez graves avec le directeur du théâtre des Folies-Dramatiques, le peu sympathique Moreau-Sainti.
On pourrait presque classer parmi ses lettres ce document de 22 pages qu’Hervé intitule un peu pompeusement Notes pour servir à l’histoire de l’opérette, puisqu’il est adressé à Francisque Sarcey, journaliste et critique théâtral au Temps. Dans son feuilleton du 18 juillet 1881, Sarcey entreprend une étude sur la formation des genres au théâtre, étude dont l’opérette lui sert de premier exemple. Il pose la question de la paternité de l’opérette, que beaucoup attribuent alors à Offenbach (décédé quelques mois plus tôt), et demande à Hervé de donner sa version des faits. Sarcey publiera des fragments de cette réponse dans laquelle le compositeur raconte sa vie, surtout ses débuts, de manière très détaillée. Les Notes constituent un témoignage de première main donnant accès à la vision d’Hervé sur la création de l’opérette et le reste de sa carrière. Il en profite au passage pour proclamer qu’il est bel et bien le père de l’opérette.
Hervé avait déjà commencé à tisser sa légende, plus de deux décennies auparavant, dans un prospectus anonyme d’une douzaine de pages, émanant du Théâtre des Folies-Nouvelles, qu’on retrouve dans la Collection Rondel (Ro 3464 9). Probablement l’œuvre d’Hervé lui-même, bien qu’écrit à la troisième personne, ce récit des premières années du musicien, remontant à son adolescence, contient bien des anecdotes qui se retrouvent par la suite dans toutes les « vies d’Hervé ».
Qu’Hervé soit un grand humoriste, nul ne saurait le contester en lisant ses livrets. On en a une preuve supplémentaire avec un article humoristique qu’il écrit en 1869 pour un petit journal, Le Moniteur des Théâtres et des Plaisirs. Très réussie, cette pochade intitulée « L’invention du trombone » montre un flegme et une fantaisie qui rappellent immanquablement Alphonse Allais. On peut en dire autant de la préface de Chilpéric (1868), souvent citée dans les biographies, qui contraste de manière étonnante avec les lettres désespérées que le compositeur adressait à Émile Perrin au même moment.
Un document étrange vient compléter cette liste. Il s’agit d’un mémoire qu’Hervé rédige pour se préparer à un procès (qui ne semble pas avoir eu lieu). En 1886, à Londres, il a fait jouer Frivoli, un grand opéra-comique qu’il veut importer à Paris. Il énumère ses déceptions et ses querelles avec les directeurs du Châtelet qui l’abandonnent après avoir d’abord accepté de créer l’œuvre nouvelle. Ce mémoire décrit bien quel pouvait être l’état d’esprit du « compositeur toqué » à la fin de sa carrière, constamment inquiet, parfois paranoïaque, mais toujours créatif et entreprenant.
Pascal BLANCHET
09/10/2020
Pour aller plus loin :
Hervé par lui-même. Ecrits du père de l'opérette présentés par Pascal Blanchet, Arles, Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 2015.
nom | Hervé (Florimond Ronger dit) |
---|---|
année de naissance | 1825 |
année de décès | 1892 |
identique à | https://data.bnf.fr/13517695/herve/ |