Charles Tournemire (1870-1939)
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Le corpus des écrits de Charles Tournemire englobe des textes de nature assez hétérogène : il est l’auteur de deux méthodes d’orgue, d’un ouvrage biographique, de quelques articles, de mémoires inachevées ainsi que de nombreux paratextes et des paroles d’une grande partie de ses compositions.
Les motivations de Tournemire écrivain étaient également nombreuses : à l’objectif constant d’expliquer le contenu programmatique et religieux de ses œuvres s’ajouta de plus en plus le besoin d’exprimer sa vision du monde, même au-delà du domaine musical. Vers la fin de sa vie, une dégradation de sa situation financière poussa le compositeur à accepter des commandes d’ouvrages (sur son maître César Franck et sur le jeu de l’orgue). Quant aux Mémoires, dont les destinataires restent dans l’ombre, leur rédaction avait apparemment aussi une fonction compensatoire et thérapeutique pour le compositeur déçu de son manque de reconnaissance publique.
Néanmoins, les écrits de Tournemire ont en commun qu’ils datent pour la plupart de la fin de sa vie (1927-1939) durant laquelle il a également écrit un nombre étonnant de grandes compositions, dont beaucoup des plus audacieuses et remarquables. Apparemment, ses productions littéraires et musicales se sont nourries réciproquement.
S’il ne faut pas tenir les idées exprimées dans les textes du tardif Tournemire pour le credo artistique et religieux de toute sa vie, il existe néanmoins des documents qui prouvent que les bases de ces idées furent développées beaucoup plus tôt. Selon ses Mémoires, c’est la rencontre avec sa première femme, Alice née Taylor (qu’il épousa en 1903), qui l’a poussé vers une sorte de reconversion et découverte spirituelle au cours de laquelle il s’est imposé un vaste programme de lecture, notamment des écrits religieux et esthétiques du Moyen Âge et du Renouveau catholique, et a développé, autour de 1909-1911, un plan pour un « grand projet » littéraire sur l’histoire religieuse et artistique de l’humanité (archives conservées à la Société Baudelaire et à la Bnf ; cf. la présentation des Mémoires par Jean-Marc Leblanc, p. VII-XVIII). Même si ce projet ambitieux et assez inhabituel pour un compositeur (qui n’avait jamais fait d’études universitaires) n’a pas abouti, de nombreuses références aux ouvrages listés dans ce plan se retrouveront dans les écrits tardifs de Tournemire.
Le seul type de texte que Tournemire produisait constamment consiste en des commentaires programmatiques à ses œuvres musicales (symphonies, musique de chambre, opéras etc.) qui donnent des informations plus ou moins détaillées et claires sur leur contenu religieux et poétique. Ces paratextes, publiés en grande partie par Joël-Marie Fauquet dans son Catalogue de l’œuvre de Charles Tournemire (1979), n’ont pas toujours été intégrés dans les partitions imprimées. Souvent, ils ont servi de plan ou de point de départ créateur pour le compositeur. Le cas le plus impressionnant est celui du plan préparatoire de 161 pages que Tournemire a rédigé avant de se lancer dans le plus ambitieux de ses projets compositionnels : le cycle monumental L’Orgue mystique (1927-1932) comprenant 255 pièces pour tous les offices de l’année liturgique qui se basent sur des chants grégoriens. Ce plan manuscrit non-publié (BnF, Mus. ms. 18932) dans lequel le cycle est encore intitulé L’Orgue glorieux contient une liste des chants grégoriens à paraphraser (les chants du propre, ainsi que quelques chants traités comme thèmes cycliques) avec leur texte original latin, une traduction et un commentaire théologique, ainsi que des citations de la Bible et d’autres ouvrages religieux, notamment de L’Année liturgique de Dom Prosper Guéranger, source d’inspiration principale de l’œuvre.
Répondant à une demande de Joseph Bonnet, la composition de L’Orgue mystique a aussi été une sorte de réaction de dépit à la grande déception de Tournemire lorsqu’il n’a pas été nommé professeur de la classe d’orgue au Conservatoire de Paris en 1926. Apparemment, ce projet exceptionnel incitera aussi le compositeur à publier des textes sur des aspects techniques et idéologiques liés : des articles sur la musique néo-modale et néo-grégorienne et sur l’improvisation à l’orgue (1928-1930), ainsi que le petit ouvrage César Franck (1931) consacré à son maître vénéré mais qui développe surtout une vision du monde et de l’art propre à l’auteur.
Après l’achèvement de L’Orgue mystique, Tournemire a éprouvé le besoin de continuer ses activités d’auteur et a commencé à rédiger ses Mémoires (1933-1939). Ce texte fragmentaire et hétéroclite est transmis sous forme d’une copie dactylographiée qui ne sera publiée que 80 ans plus tard. Il contient quelques souvenirs de jeunesse du compositeur (jusqu’à 1907), une liste détaillée de ses lectures (avec des citations) qui reprend celles du « grand projet » de 1909-1911, un catalogue de ses propres œuvres (avec paratextes), une liste de ses disciples et de ses concerts et surtout un journal intime d’avril 1933 jusqu’à 1939. Ce journal nous informe sur les projets du compositeur, notamment sur ses dernières compositions, et sur ses contacts durant la dernière période de sa vie. Il y cite des extraits de lettres de ses correspondants, de critiques de presse et de ses lectures. En plus, les Mémoires contiennent des jugements sur ses contemporains-musiciens (Widor, Vierne, Ravel, Dupré, Messiaen etc.) pour la plupart très négatifs, amers, et qui expriment, dans un style extrêmement subjectif et impulsif, la déception et le désespoir profond du Tournemire tardif qui, malgré une certaine reconnaissance publique de ses œuvres d’orgue, se sentit totalement méconnu et oublié. Si la lecture de l’ouvrage n’est pas réjouissante, elle nous apporte néanmoins des détails biographiques, artistiques et idéologiques importants sur Tournemire et la musique religieuse à Paris dans les années 1930.
La production littéraire des dernières années du compositeur inclut aussi deux méthodes d’orgue, le Précis d’exécution, de registration et d’exécution (1936) et la Petite méthode (écrite en 1937, publiée en 1949). Ces traités apportent non seulement une multitude d’informations pratiques pour les organistes ainsi que de nombreux exemples musicaux qui font preuve du vaste répertoire de Tournemire (dont des petites compositions de sa propre main), mais encore des remarques révélatrices sur son style et son esthétique. Par exemple, dans le dernier chapitre du Précis, Tournemire recommande à l’improvisateur de se servir des échelles modales médiévales, mais aussi du Sud de l’Inde (« system karnâtique ») afin d’évoquer les murs de pierres précieuses de la Cité sainte décrite dans l’Apocalypse de Saint-Jean, description déjà citée dans son portrait de César Franck improvisateur et reprise plus tard par Olivier Messiaen dans son œuvre orchestrale Couleurs de la Cité céleste (1963).
Stefan KEYM
27/03/2020
Pour aller plus loin :
Leblanc, Jean-Marc, « Présentation des Mémoires », Mémoires de Charles Tournemire, édition critique par Jean-Marc Leblanc, Paris, Les Amis de l’Orgue, 2019 (= L’Orgue. Bulletin des Amis de l’Orgue, n° 321-324. 2018, I-IV), p. I-CXL.
prénom | Charles |
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nom | Tournemire |
année de naissance | 1870 |
année de décès | 1939 |
identique à | http://data.bnf.fr/13900521/charles_tournemire/ |
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