musique acousmatique : propositions... ...positions
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Cet ouvrage est une compilation d'articles de François Bayle, réalisée pour préciser ses différentes positions afin d'enrichir l'écoute de sa musique, avec l'ajout de textes inédits et d'une préface de Michel Chion, ainsi que d'un commentaire de Jean-Christophe Thomas. L'ouvrage est divisé en deux grandes parties, auxquelles s'ajoutent un ensemble de "matériaux" annexes — lexique, catalogues par catégorie, schémas, partitions et sonagrammes, documents traitant de Camera oscura (1976), Son Vitesse-Lumière (1980-83) et Aéroformes (1983).
L'avant-propos de l'ouvrage souligne l'importance de se détacher de l'imitation imagée du monde pour amener une expérience plus riche, alimentée par la surprise et l’exploration perceptive, à condition « que le texte sonore comporte l’agencement des marques du désir d’écoute » (p. 18), des intentions, des idées qu’il veut donc rendre plus explicites pour sa propre musique avec ses textes.
En première partie, Bayle parle de l'acousmatique comme modalité (de Pythagore à Schaeffer et à Chion, en passant par Peignot), avec la justification de l'emploi du terme "acousmatique" pour mettre en avant la pensée perceptive dynamique et ne pas confondre la musique avec ses moyens électroacoustiques. La deuxième partie est consacrée à l'image de son comme figure, avec son caractère intentionnel et son dépassement du figuralisme pour des modes de relation au réel plus éloignés, plus complexes, plus riches : pour une musique figurée plutôt que figurale.
L'acousmatique comme modalité
Bayle développe d'abord le face-à-face du compositeur avec le son et avec lui-même, le conflit entre la volonté du son et celle du compositeur, dans un cadre d'inspiration clairement psychanalytique ("musique et expérience", p. 25-34). Il revient plus loin sur cette question pour y apporter des solutions via quelques concepts : le "champ acousmatique" et son-hors-champ (qui, par analogie avec le cinéma, implique une réalité inaudible pour le spectateur, en marge de ce qui est explicitement donné à entendre), la "norme" structurelle et l' "errance" qui la fait vivre, les archétypes statiques, dynamiques et de positions, important pour faire émerger un genre de communication musicale ("voyage en aéroforme", p. 73-78).
Définissant les musiques acousmatiques comme "les musiques qui dépassent leurs indices sonores, leurs causes instrumentales, et mettent en jeu une écoute active intéressée aux effets et aux sens" (p. 37), il poursuit avec la nécessité "que l'image acoustique occupe l'espace offert" (p. 43), au-delà du studio, avec comme support l'Acousmonium ("pour une musique invisible", p. 35-46). Au-delà de la production sonore, il reparle plus loin de la projection du son par un "interprète responsable" conscient de son rôle déterminant ("méthode", p. 69-72).
Pour lui, l'acousmatique ne descend pas des musiques bruiteuses du début du 20e siècle, mais de la radio, s'y opposant en assumant pleinement le caractère acousmatique du son plutôt que de l'ignorer ou de tenter de le cacher. On peut alors profiter de l'émergence d'un feuilleté de signification lié à des figures spatiales impossibles dans la réalité et à différents niveaux de sémiotisation du son ("la musique acousmatique, ou l'art des sons projetés", p. 47-68). Cette sémiotisation existera grâce à un statut d'image donné au son, qui permet de l'extraire au déroulement du temps pour le relire à l'infini, faisant émerger à partir des saillances locales répétées des prégnances plus générales, mettant en avant les intentions au-delà de l'audible ("écouter et comprendre", p. 79-90).
L'image de son comme figure
Dans la deuxième partie de l'ouvrage, Bayle reprend les trois catégories de signe proposés par Peirce pour les appliquer à la sémiose du son en tant qu'image : l’icône devient im-son (image identique au son qu’elle représente), l’indice devient di-son (diagramme aux contours simplifiés), et la métaphore devient mé-son (correspondance plus détachée, plus générale, métaphore symbolique ou métaforme liée au comportement du son) ("l'image de son, ou 'i-son' : métaphore / métaforme", p. 93-99). Dans la mesure où l'i-son n'est son de rien, "comme si c'était la même chose (la même cause) qui fait que l'on entend ce que l'on entend" (p. 130), Bayle propose aussi de l'appeler "mi-son", évoluant dans un "mi-lieu" ayant une apparence de milieu, mais étant régi par ses propres lois locales, faisant également le lien entre les lieux du compositeur, ceux de l'interprète et ceux de l'auditeur, au service d'une forme de communication ("mi-lieu", p. 129-139).
Toujours à partir de Peirce, Bayle explicite trois stades de l'expérience spatiale qui construisent progressivement les entités acousmatiques, de l'expérience sensori-motrice, en passant par la perception de relations intentionnelles entre différentes entités identifiées, jusqu'à l'élaboration d'un "presque monde" acousmatique, à l'échelle de la forme, au sein duquel les relations se répandent ("l'odyssée de l'espace", p. 101-109). Cette tripartition se retrouve encore avec trois "niveaux qualitatifs de compréhension" : présentification des contours et saillances au sein de la conscience, rayonnement de certains objets "transportant l'intérêt dans la durée" (p. 121) et écoute métaphorique cherchant des lois plus générales régulant l'ensemble des phénomènes au sein d'une œuvre ("penser / créer", p. 117-127).
Bayle prend également la question du point de vue du compositeur. Avec la disparition de l'interprète en chair et en os, avec la naissance de nouvelles entités, de nouvelles images, de nouvelles organisations, reste le besoin de « cohérence » et d’ « écoutabilité », auquel répondent les évolutions du matériau et leur reprise au fil d’une œuvre, au fil d’une écoute attentive, de manière structurée et intentionnée par le compositeur. C’est là, pour Bayle, que se situe le savoir-faire du compositeur acousmatique ("savoir-faire", p. 111-116). Cette cohérence se construirait par un savant mélange de spontanéité et d'approche scientifique, permettant de mettre en place, dans la limite du possible, les relations formelles internes, intentionnées – conditions nécessaires pour le "rimage", retour sur image, rimes, feuilleté de signification ("rimages", p. 141-154) : "Que vienne à s’agrandir l’espace de relations, du même coup s’augmentent à la fois l’expliqué et l’inexpliqué. S’enrichissent les questions. Et alors à ceux-là qui se les posent, participant, communiquant davantage, le jeu de la vie et de ses miroirs offre peut-être de re-commencer. Quelque chose comme son aurore – son éternel rimage." (p. 154)
C'est tout autant le cas de cet ouvrage, qui ouvre autant de nouvelles voies qu'il tente d'en préciser. À le lire, on comprendra mieux comment se rapporter à l'œuvre de François Bayle, ou tout au moins quelles questions se poser pendant l'écoute et quelle importance accorder aux différentes composantes du concert acousmatique.
Nicolas Marty
20/03/2018