Louis-Albert Bourgault-Ducoudray (1840-1910)
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Si le compositeur Louis-Albert Bourgault-Ducoudray est passé à la postérité, c’est probablement moins pour sa production musicale que pour ses écrits. Bien que relativement peu volumineux, ceux-ci ont eu néanmoins une influence significative en France sur la musicologie, l’histoire du folklore et la composition musicale. Comme ses compositions, les écrits de Bourgault-Ducoudray s’illustrent dans de nombreux genres et dans divers types de publications. Sa prédilection pour les textes courts et éphémères (lettres ouvertes, comptes rendus, préfaces) n’a pas particulièrement aidé la diffusion de cet héritage. Si ses écrits sont hétérogènes du point de vue formel, ils sont par contre très cohérents sur le plan thématique et témoignent de la conception précise que le compositeur a de la musique française : une culture enracinée dans ce qu’il estimait être l’héritage traditionnel des musiques populaires et des structures modales, et contenue dans une volonté de fonder la citoyenneté et le patriotisme sur l’éducation musicale et le chant choral.
Les écrits de Bourgault-Ducoudray sont repartis inégalement sur l’étendue de sa carrière. Ses célèbres missions en Grèce et en Anatolie en 1874-1875 marquent un tournant évident. Avant ces voyages, ses écrits se résument principalement à sa thèse de latin rédigée dans le cadre de sa licence de Droit, quelques notes de programme (Guide des concert de musique classique) pour la saison 1866-67 de l’Association philharmonique de Nantes, et un Rapport sur les activités de la société chorale qu’il avait fondée et dirigée jusqu’en 1874.
Les deux voyages en Grèce de Bourgault-Ducoudray, dont le second comportait aussi un déplacement à Smyrne et à Constantinople, ont constitué pour lui une évidente révélation artistique et intellectuelle, non seulement par la découverte de cultures musicales populaires et orthodoxes pour lui insolites, mais aussi par les rencontres avec la communauté des savants (hellénistes, archéologues, philologues) présents à l'École française d'Athènes alors dirigée par Émile-Louis Burnouf (1821-1907). Ces découvertes ont mené à la rédaction de trois ouvrages au moment du retour en France du compositeur – Souvenirs d'une mission musicale en Grèce et en Orient (1876, d’abord publié en feuilleton dans L’Art musical), Trente mélodies populaires de Grèce et d'Orient (1877), et Études sur la musique ecclésiastique grecque (1877) – et aussi à sa nomination comme professeur d’Histoire de la musique au Conservatoire de Paris en 1878, un poste académique qui fonde l’autorité de tous ses écrits ultérieurs.
Le premier de ces ouvrages est un récit de voyage relatant les expériences et l'itinéraire de Bourgault-Ducoudray, ainsi que les détails de ses discussions avec plusieurs musiciens, théoriciens et réformateurs grecs, formant ainsi un cadre utile (avec un peu de marketing) pour les publications suivantes. Le deuxième ouvrage (pour lequel des formulaires de souscription ont été publiés avec les Souvenirs) constitue un recueil de trente chansons populaires grecques, collectées et harmonisées par Bourgault-Ducoudray, et précédé d’une longue préface de théorie musicale dans laquelle il explique sa théorie des anciens modes grecs, comment ils « survivent » dans la chanson populaire grecque moderne, et comment ils pourraient être employés harmoniquement par les compositeurs modernes. En apportant de nombreuses annotations supplémentaires pour expliquer la construction modale et harmonique de chaque chanson, l’anthologie témoigne du projet du compositeur d’affiner et de s’approprier les connaissances scientifiques de cultures musicales historiquement et géographiquement éloignées dans le but de contribuer à l’enrichissement artistique de la musique française, rendant ainsi parfois relativement nébuleuse la distinction entre sa production intellectuelle et sa création musicale. Le dernier des trois ouvrages est présenté comme un manuel d’introduction pour initier les musiciens occidentaux à la « musique orientale ». Il permet également à Bourgault-Ducoudray d’exprimer ses propres souhaits concernant les réformes futures de la musique grecque : selon lui, les musiciens grecs devraient affiner leurs modes traditionnels et les développer de manière polyphonique pour obtenir un art « original, européen et national » (p. 75). Le dernier tiers environ du volume est constitué d'une annexe contenant le traité de Chrysanthe de Madytos sur la musique byzantine, traduit par Émile Burnouf. Les principes musicaux établis dans ces écrits ont été succinctement présentés sous la forme d'une Conférence sur la modalité dans la musique grecque, donnée à l'Exposition universelle de 1878 et publiée l'année suivante. C’est grâce au succès de cette conférence, que Bourgault-Ducoudray se verra confier le poste de professeur au Conservatoire de Paris avant de prononcer son discours inaugural (Cours d’histoire de la musique I,II, II bis, III publié dans Le Ménestrel).
Les voyages en Grèce ont été suivis en 1881 par une mission de collecte de chants populaires dans sa Bretagne natale, ce qui a amené Bourgault-Ducoudray à élaborer sa fameuse théorie des formes musicales racialisées, présentée pour la première fois sous forme d’une conférence d'histoire au Conservatoire en 1881 (et publiée en trois parties dans Le Ménestrel). Bourgault-Ducoudray appliquait des théories inspirées de la philologie, basées sur l’idée d'une « race aryenne » (défendues par Burnouf et d'autres) pour expliquer les caractéristiques « modales » communes aux chansons populaires grecques, russes, scandinaves et celtiques et qu'il estimait être « un héritage commun à tous les Aryens ». Il encourageait ses étudiants à exploiter ces « modes », en les décrivant comme le « patrimoine de notre race, et qui est, en vérité, bien à nous » (p. 21). Cette conférence a été intégrée à la préface de la principale publication suivante, Trente mélodies populaires de Basse-Bretagne (1885) - que Bourgault-Ducoudray décrit comme la « conséquence logique » (p. 5) de son anthologie grecque - et il reprend sa théorie dans une conférence prononcée pour le Club alpin français (1885). C'est sans doute dans la même optique que l'on peut interpréter le dernier recueil de Bourgault-Ducoudray, Quatorze Mélodies celtiques (1909), bien que curieusement, le compositeur ne fournit ici aucune préface ou explication de ces mélodies (raison pour laquelle le recueil ne figure pas dans la base de données DictÉCo). Bourgault-Ducoudray ne produira qu'une seule autre monographie avant sa mort : une biographie de Schubert (1908) dans laquelle Bourgault-Ducoudray se fait le champion du compositeur viennois, notamment en alignant ses lieder sur le folklore en tant qu'expression du sentiment populaire.
Parmi les autres écrits de Bourgault-Ducoudray, on trouve des préfaces à des ouvrages d'histoire de la musique et de pédagogie (notamment ses préfaces au Manuel d'enseignement de la méthode chorale enfantine de Laure Collin, à l'édition du Théâtre à la mode au XVIIIe siècle d'Ernest David, et à L'Histoire de la musique d'Henry Woollett, un ouvrage faisant fortement écho au récit racialisé des origines de la musique tel qu’enseigné par Bourgault-Ducoudray). Il rédige également de nombreux comptes rendus qui lui servent généralement de tribunes pour faire l'éloge de la musique folklorique et liturgique « modale » (les corpus examinés comprennent la collection de chants populaires lituaniens de Friedrich Kurschat, le système pour l'accompagnement du plain-chant de Jacques-Nicolas Lemmens, l'anthologie de mélodies populaires russes de Nicolaï Rimski-Korsakov, le livre de César Cui sur La Musique en Russie, l'anthologie de miniatures modales d'Eugène Gigout). Ses lettres ouvertes (notamment à Alexandre Guilmant [à deux reprises], La Villemarqué, John C. Ward, Félix Pécault, Jules Combarieu, et Charles Bordes) constituent une autre forme d’expression ponctuelle au sein d’un large éventail de publications, parues non seulement dans la presse musicale ou musicologique, mais aussi dans des revues spécialisées dans le domaine du folklore comparé (Mélusine) ou de l’éducation (Revue pédagogique). Bourgault-Ducoudray a également rédigé un important rapport sur L'Enseignement du chant dans les écoles dans le cadre d'une commission officielle d'enquête sur l'éducation musicale dans les écoles ; des extraits de ses conclusions et recommandations ont été publiés à plusieurs reprises (1882, 1898, et 1903). Ces textes, et surtout son Discours d'ouverture du premier Congrès international d'histoire de la musique à l'Exposition universelle de 1900, témoignent du respect et de l'autorité que Bourgault-Ducoudray avait alors acquis dans son domaine.
On ne trouve dans ses écrits qu’un seul article de grande ampleur : « Wagner à Bayreuth » (1893). Publié dans la prestigieuse Revue des deux mondes, Bourgault-Ducoudray y raconte, non sans émotions, son pèlerinage au Festspiele, et invite le public français à juger Wagner non pas comme « un simple compositeur de musique », mais comme « un dramaturge avant tout » et faisant de Parsifal « non seulement un chef-d'œuvre, mais une œuvre de paix, de clémence, de foi » (p. 87). Cependant, malgré ses éloges, Bourgault-Ducoudray met en garde ceux qui croient devoir imiter le « système » de Wagner, en affirmant que les compositeurs français devraient plutôt privilégier la « tradition sacrée » de la mélodie : « l'essence même du pur génie de notre race » (p. 98).
Bourgault-Ducoudray n'a jamais publié systématiquement ses cours d'histoire du Conservatoire : seules les deux conférences mentionnées plus haut (sa conférence inaugurale et sa conférence sur le folklore breton) ont été publiées. Cependant, lorsqu’en 1907 Bourgault-Ducoudray devient conférencier à l'Université des Annales (une sorte d'école supérieure pour femmes fondée la même année par Yvonne Sarcey), ses conférences, transcrites par des sténographes, sont publiées dans revue Conferencia, organe périodique de l’institution en question. Ces cours, qui s'étalent sur trois années académiques, portent sur des compositeurs (Lully, Rameau, Rousseau, Grétry, Gluck, Monsigny, Beethoven, Rossini, Schubert, Schumann, Liszt, Franck), des genres (histoire de l’opéra, opéra bouffe, musique chorale, mélodie) et des traditions populaires (musiques et dansesgrecques et françaises). On peut se demander dans quelle mesure ces cours des Annales, au ton affable et parfois paternaliste, reflètent le programme du Conservatoire de Bourgault-Ducoudray : l'accent est souvent mis sur la biographie ou la description, avec plus d'anecdotes que d'analyses ; d'un autre côté, cela peut se concevoir puisque ses cours au Conservatoire étaient ouverts et fréquentés par un public beaucoup plus large que les seuls étudiants en composition pour lesquels ils étaient obligatoires. Comme au Conservatoire, Bourgault-Ducoudray y fait régulièrement appel à une illustre troupe de musiciens et de danseurs pour agrémenter ses conférences de moments musicaux.
Dans le cas de Bourgault-Ducoudray et de l’évolution des connaissances à son sujet, l’absence d'archives centralisées concernant le compositeur complique la tâche des chercheurs pour rassembler la documentation et évaluer sa place dans la culture musicale fin-de-siècle. De nombreux documents manuscrits inédits sont probablement désormais perdus, d'autres documents restent à localiser dans les archives d’autres protagonistes. Ainsi, une correspondance inédite de Bourgault-Ducoudray a été localisée dans les archives de l'un de ses interlocuteurs les plus formateurs, l’helléniste Émile-Louis Burnouf, qui a conservé environ quatre-vingt lettres que le compositeur lui a adressées entre 1874 (date de sa première visite à Athènes) et 1899 : une édition critique de ces lettres, qui témoignent en partie de la cristallisation de la pensée musicologique de Bourgault-Ducoudray ainsi que des réseaux musicaux et intellectuels sur lesquels Bourgault-Ducoudray a fondé sa carrière, est disponible sur DictÉCo.
Peter ASIMOV
Traduit par Valérie Dufour
Pour aller plus loin :
- « Des airs que j’ai rapportés de Grèce » : Lettres de Bourgault-Ducoudray à Émile-Louis Burnouf (1874-1899), transcrites, annotées et éditées par Peter Asimov, Dictéco - Domaine premier XXe siècle sous la direction scientifique de Valérie Dufour, 2021.
- Asimov, Peter, « Transcribing Greece, Arranging France : Bourgault-Ducoudray’s Performances of Authenticity and Innovation », 19th-Century Music, 44.3 (2021), 133–68
- Baud-Bovy, Samuel, « Bourgault-Ducoudray et la musique grecque ecclésiastique et profane », Revue de musicologie, 68.1–2 (1982), 153–63
- Brambats, Karl, « Louis Albert Bourgault-Ducoudray and Baltic Folk Song Research », Journal of Baltic Studies, 15.4 (1984), 270–81
- Corbier, Christophe, « Bourgault-Ducoudray et le style classique : la musique française entre hellénisme et classicisme », Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, 20.1 (2019), 11–21.
- Corbier, Christophe and Douche, Sylvie, L’Enseignement de Maurice Emmanuel : musique, histoire, éducation (Sampzon, Delatour, 2020)
- Groote, Inga Mai, Östliche Ouvertüren: russische Musik in Paris 1870-1913 (Kassel, Bärenreiter, 2014), 238–58.
- Mordey, Delphine, « Ideologies in Music History: Louis-Albert Bourgault-Ducoudray and the Cours d’histoire Générale de La Musique at the Paris Conservatoire, 1878 to 1908 » (unpublished MSt Thesis, University of Oxford, 2001)
- Vlagopoulos, Panos, « The Harmonisation of Greek Folk Songs and Greek “National Music” », in Music, Language and Identity in Greece : Defining a National Art Music in the Nineteenth and Twentieth Centuries, ed. by Polina Tambakaki, Panos Vlagopoulos, Katerina Levidou, and Roderick Beaton (Abingdon: Routledge, 2020), pp. 206–28
prénom | Louis-Albert |
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nom | Bourgault-Ducoudray |
année de naissance | 1840 |
année de décès | 1910 |
identique à | https://data.bnf.fr/12176921/louis-albert_bourgault-ducoudray/ |