Roger Reynolds (1934)
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Roger Reynolds est certainement l’un des compositeurs américains ayant le plus formalisé sa pensée dans de nombreux écrits produits tout au long de sa vie. Dès la fin des années 1960, il a éprouvé la nécessité de conjuguer une réflexion sur sa pratique compositionnelle à un questionnement plus large sur des sujets qui touchent à l’identité américaine, au rôle du compositeur dans la société ou à la place de l’art dans le monde. Sa formation scientifique initiale l’a par ailleurs conduit à s’investir dans la recherche dans les domaines de l’informatique et de la perception. Si beaucoup de ses écrits sont attachés à sa carrière académique effectuée depuis 1969 au département de musique de l’Université de Californie à San Diego, certains d’entre eux sont liés à ses nombreux séjours aux États-Unis ou à l’étranger en tant que compositeur en résidence ou professeur invité. Ainsi, Reynolds a écrit son premier ouvrage Mind Models (1975) à l’Université de l’Illinois, A Searcher’s Path (1987) au CUNY/Brooklyn College et Form and Method (2002) alors qu’il avait la position de Randolph Rothschild Guest Composer au Peabody Conservatory de l’Université Johns Hopkins. Les articles publiés en français proviennent de ses résidences à l’IRCAM (« Réaliser une expérience musicale », 1985 ; « L’ajustement de la sensibilité à un ensemble de contraintes », 1991).
On peut regrouper les écrits de Reynolds en quatre grandes catégories : a) Les textes consacrés à exposer ses techniques compositionnelles et à auto-analyser sa musique, b) Les textes d’une portée plus générale, c) Les textes, entretiens et échanges sur/avec d’autres compositeurs, d) Les textes rétrospectifs et autobiographiques.
Dans la première catégorie, A Searcher’s Path: A Composer’s Way (1987) tient une place particulière car Reynolds affirme pour la première fois son positionnement de compositeur-chercheur (en opposition au compositeur-faiseur) qui se construit un ensemble de stratégies et de méthodes dont l’objectif est de garantir la cohésion esthétique de l’œuvre et de permettre, selon son expression, « à l’intuition de prendre son envol ». Reynolds dévoile très précisément, notamment à l’aide d’esquisses et de diagrammes préparatoires, ses procédures de composition pour la plupart mises au point lors de la conception d’Archipelago pour orchestre et sons traités par ordinateur composé lors d’une résidence à l’IRCAM entre 1982 et 1983. Son deuxième ouvrage, Form and Method: Composing Music (2002), constitue une réflexion approfondie sur les œuvres des années 1990 alors qu’il élargit ses sources d’inspiration et ses procédés compositionnels. Sa réflexion est particulièrement focalisée sur le rapport entre écriture et perception à travers les questions d’intégrité, de cohérence, de structure, de processus et d’intention expressive. Dans cette même catégorie, on trouve également des articles la plupart du temps liés à une œuvre spécifique. Ainsi dans « Compositional Strategies » et « Epilog: Reflections on Psychological Testing with The Angel of Death », publiés dans un numéro spécial de la revue Music Perception (2004), le compositeur revient sur ses choix compositionnels en regard des résultats des études comportementales en laboratoire et en situation de concert dont les stimuli provenaient de cette œuvre.
Les textes d’une portée plus générale regroupent des thématiques très diverses telles que l’indétermination (« Indeterminancy : Some Considerations », 1965), le temps musical (« It’(s) Time », 1968), la spatialisation (« Thoughts on Sound Movement and Meaning », 1978), l’informatique musicale (« Réaliser une expérience musicale », 1985), l’apprentissage de la composition (« Thoughts on Enabling Creative Capacity », 2012) ou encore les rapports entre art et science (« The evolution of sensibility », 2005). Reynolds, fervent admirateur de la culture japonaise, a également coordonné et édité un recueil d’articles intitulé « A Jostled silence : contemporary musical thought in Japan ». Publié dans la revue Perspective of New Music au fil de trois livraisons en 1992 et 1993, il donne la parole à trois compositeurs japonais (Toru Takemitsu, Yuji Takahashi, Joji Yuasa). Ses collaborations avec les psychologues dans le cadre du projet The Angel of Death l’ont amené à être co-auteur de plusieurs articles scientifiques sur la perception et la mémorisation des matériaux thématiques et de la forme. Mind Models: New Forms of Musical Experience (1975, rééd. 2005) a eu un grand retentissement aux Etats-Unis à sa parution. Tout en capturant le pluralisme stylistique de la scène musicale du troisième quart du XXesiècle, Reynolds donne un aperçu de son propre développement créatif et de ses préoccupations compositionnelles. Prenant tour à tour les points de vue de l’observateur et du praticien, il aborde un vaste champ de questions sous l’angle des tendances et des développements à la fois techniques (matériau musical, notation, morphologie), technologiques (apport de l’informatique et de la spatialisation, EEG, biofeedback), scientifiques (apport de la psychoacoustique) et culturels (sociologie de l’auditeur et du public).
La troisième catégorie concerne les textes, les entretiens et les échanges sur/avec d’autres compositeurs. Mind Models comportait déjà plusieurs analyses d’œuvres telles Metastasis de Xenakis, Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima de Penderecki ou Music for Solo Performer de Lucier. Dans les années qui suivirent, Reynolds continua d’écrire sur d’autres compositeurs, pour la plupart appartenant à son cercle d’amis (Ives, 1977 ; Varèse, 1984, 2013, 2017 ; Takemitsu, 1987, Erickson, 1988 ; Martirano, 1996 ; Finney, 1998 ; Xenakis, 2002, 2003 ; Ashley, 2014 ; Oliveros, 2017). Dans cette catégorie, on trouve également quelques comptes rendus, notamment celui sur l’ouvrage de François-Bernard Mâche Musique, Mythe, Nature (« Seeking Centers », 1994) et des entretiens avec Cage (en 1961 et 1977, publiés respectivement en 1977 et 1979), Nancarrow (en 1975, publié en 1984) et Takemitsu (en 1990, publié en 1991 et 1996).
Les textes rétrospectifs et autobiographiques commencent à émerger en 2007 avec « Ideals and Realities: A Composer in America ». Le texte, divisé en trois parties, suit un plan allant du général au particulier. La première partie – Origins – est un retour sur ses années de formation aux États-Unis et sur les sept années de voyages (1962-1969) effectués avec sa femme Karen en Europe et au Japon. Reynolds s’interroge sur ce qui a forgé son identité musicale et son américanité. Dans la deuxième partie – Features in My Landscape – Reynolds revient sur deux piliers de son esthétique à travers des exemples tirées de son œuvre : le texte, le langage et la voix (Compass, Whispers Out of Time, last things, I think, to think about, The Red Act Project) et l’espace (The Emperor of Ice Cream, Ping, VOICESPACE, The Red Act Arias, Transfigured Wind II, Watershed IV). La troisième partie – Features in the American Landscape – est constituée de réflexions sur le paysage musical américain à travers six thématiques qui lui sont chères : l’originalité, les échelles de temps, la multiplicité (la superposition de flux), la collaboration, la liberté et la technologie. Très récemment, Reynolds a publié un ouvrage intitulé PASSAGE (2017) fondé sur neuf performances réalisées depuis 2009 au cours desquelles il lit ses textes à haute voix et interagit avec d’autres matériaux pré-enregistrés (textes lus, sons et performances) et des images, le tout assemblé, superposé et spatialisé. PASSAGE regroupe l’ensemble des 82 textes actuellement achevés et les nombreuses images intégrées à ses performances. Dans le livre, la superposition des flux auditifs et visuels est par nature absente, mais son effet se traduit par la superposition des images et des textes, chacun possédant sa propre densité visuelle. Ainsi, bien que le livre ne puisse recréer la performance live, il retrouve en quelque sorte une nature performative à travers l’œil du lecteur cherche son propre chemin.
Qu’ils soient introspectifs ou tournés vers le monde contemporain, les écrits de Reynolds se complètent les uns les autres de manière particulièrement significative. Ensemble, ils permettent de plonger profondément dans la pensée complexe et multiforme de l’un des plus influents et des plus singuliers compositeurs américains.
Philippe LALITTE
31/05/2018
Pour aller plus loin :
Reynolds, Roger, Mind Models : New Forms of Musical Experience, New York, Praeger, 1975 ; revised edition, New York, Routledge, 2004.
- A Searcher’s Path, a Composer’s Way, I.S.A.M., Monograps n° 25, New York, 1987.
- Form and Method : Composing Music, New York and Londres, Routledge, 2002.
Lalitte, Philippe, « The Unique Aesthetic Character of the Music of Roger Reynolds », in Stephen McAdams et Marc Battier (Eds.), Creation and perception of a contemporary musical work: The Angel of Death by Roger Reynolds, Paris, IRCAM-Centre Georges Pompidou (DVD), 2005.
Pour citer cet article : Philippe Lalitte, « Reynolds, Roger (1934) : présentation synthétique des écrits », Notice du Dictionnaire des écrits de compositeurs, Dicteco [en ligne], dernière révision le 9 juin 2018.

prénom | Roger |
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nom | Reynolds |
année de naissance | 1934 |
identique à | http://data.bnf.fr/fr/12766176/roger_reynolds/ |