Reynaldo Hahn (1874-1947)
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Doté selon son ami Marcel Proust d’un « tempérament de musicien littéraire » (lettre à Suzette Lemaire, [mi-novembre 1894]), Reynaldo Hahn (1874-1947) commence à pratiquer l’écriture vers 1890 en tenant son journal et à travers sa correspondance. Celle échangée très régulièrement avec son camarade de Conservatoire Édouard Risler – qui jusqu’en 1893 séjourne fréquemment en Allemagne afin de perfectionner son jeu pianistique auprès de plusieurs élèves de Liszt – y tient une place considérable. Les échanges esthétiques autour du wagnérisme et de la valeur de la musique française (Saint-Saëns, Massenet, Fauré) dominent les propos des deux jeunes gens et témoignent de leur mutuelle passion pour sonder l’avenir de la création musicale en cette toute fin du XIXe siècle.
En 1897, cette expression littéraire devient publique avec les premières critiques musicales de Hahn dans Le Gaulois. Sous le titre « Journée parisienne », il rend compte en novembre et décembre de la série de « concerts intimes » organisés par Édouard Colonne au Nouveau-Théâtre. À cette activité journalistique s’adjoindra à partir de 1907 celle de conférencier, qui prendra toute son ampleur en novembre 1913 avec ses conférences sur le chant à l’Université des Annales, publiées d’abord en revue puis en volume. Il faut aussi mentionner à deux reprises ses fonctions de traducteur, avec la « traduction littérale en prose », de l’italien, du livret de Don Giovanni de Da Ponte (Paris : Nouvelle Imprimerie, Thivet, [1903-1912]) et celle, de l’anglais, du roman The Coward de Robert-Hugh Benson (Le Poltron, dans La Revue hebdomadaire, 7 juin-6 septembre 1919, puis en volume, Paris : Fayard, 1922).
La critique musicale occupe une place centrale dans le corpus hahnien, puisqu’elle s’exerce tout le long de sa carrière, avec des périodes d’interruption pendant les deux guerres mondiales et les années vingt, ces dernières correspondent à sa direction musicale des théâtres des casinos de Cannes et de Deauville. Après ses débuts au Gaulois (novembre-décembre 1897), prolongés dans La Presse (mai-décembre 1899), il collabore régulièrement, en ce qui concerne spécifiquement l’activité de critique, à La Flèche (novembre 1904-janvier 1905), à Femina (avril 1908-juillet 1910), aux Nouvelles (décembre 1908-mai 1909), au Journal (juin 1909-juillet 1914), à Excelsior (mai 1919-décembre 1921), à Radio-magazine (décembre 1931-janvier 1932) et au Figaro (juin 1934-septembre 1939, mars-juin 1945). Il peut aussi, ponctuellement, être sollicité pour couvrir certains concerts, comme c’est le cas en 1912 par la S. I. M. : revue musicale. La moitié environ de ses chroniques du Figaro est rééditée dans deux ouvrages, selon un agencement thématique : en 1937 chez Gallimard, sous le titre L’Oreille au guet, et en 1946 chez J.-B. Janin, sous l’intitulé Thèmes variés (l’achevé d’imprimer date de décembre 1945).
Comme l’a montré Vincent Giroud, la critique de Hahn est caractérisée par l’éclectisme. Si la musique vocale et le ballet dominent, tous les arts du spectacle, même les plus populaires, y sont traités, ainsi que tous les médias (cinéma, radio, disque). Attaché à la tradition, à la correction de l’écriture et du style, il fustige les écoles et l’esprit de système, l’avant-garde qui ne recherche l’originalité que pour elle-même et croit au progrès en art, et raille l’amateurisme souvent lié au snobisme. Sur le plan stylistique, Giroud décèle chez lui l’influence de Sainte-Beuve dans son rejet de l’hyperbole, son goût pour le ton de la conversation et certains procédés rhétoriques comme la litote, la prétérition, l’antiphrase ironique et la prosopopée. Émaillés de nombreuses références littéraires et toujours tempérés par l’humour, les jugements de Hahn sont le reflet d’un esprit cosmopolite, réfractaire aux surestimations de principe.
D’autres collaborations, intermittentes, aux Annales politiques et littéraires, à Marianne, au Ménestrel, au Monde musical, à Musica, à la Nouvelle Revue française, etc., relèvent davantage du journalisme, de la vulgarisation musicale, du témoignage ou de la profession de foi artistiques. S’y rattachent les nombreuses conférences publiées, dont celles prononcées à l’Université des Annales, entre novembre 1913 et mars 1946, qui constituent la matière de 39 articles. Ceux consacrés à l’art vocal, parus en 1914-1915, sont réunis dans le volume Du chant par les Éditions Pierre Lafitte en 1920. Les autres thèmes abordés concernent majoritairement le lied et la mélodie (de Schubert à Ravel), l’art lyrique (Lully, Gluck, Offenbach, Gounod, Bizet, Massenet) et l’œuvre de Mozart.
Un autre ensemble notable de la bibliographie hahnienne est issu de son journal ; il est constitué principalement de deux ouvrages. Dans La Grande Sarah : souvenirs (Paris : Hachette, 1930), le compositeur livre les notes prises au jour le jour, entre 1895 et les années 1910, dans l’intimité de Sarah Bernhardt. Seule la traduction anglaise par Ethel Thompson (London, Elkin Mathews & Marrot, 1932) mentionne les dates des épisodes évoqués. On y suit l’actrice dans sa demeure parisienne et son théâtre, lors d’un séjour à Belle-Île, dans ses tournées en province, à Londres et Bruxelles. Au-delà du portrait de l’interprète au quotidien, Hahn observe avec acuité l’élaboration de son jeu théâtral, dans son approfondissement et ses fulgurances. Dans Notes (journal d'un musicien) (Paris : Librairie Plon, 1933), il propose une sélection d’autres relevés intimes, faits de récits de rencontres (Gustave Moreau, Pauline Viardot, Hortense Schneider, etc.), de narrations incisives sur sa vie sociale, d’impressions de voyage, de jugements esthétiques touchant à l’ensemble des arts, mais dont les modernes sont exclus. Précédées des « Fragments d’un journal » (sur Rome et Venise) dans La Revue hebdomadaire, en octobre 1928, et complétées par de « nouveaux souvenirs inédits » dans Candide, en août et septembre 1935, ces notes témoignent des qualités de conteur, de la finesse d’esprit et de l’immense culture de celui qui se considérait, non sans affectation, comme « un écrivain d’occasion » dont « le français [n’était] même pas [la] langue maternelle » (« Avant-propos », Notes).
Philippe BLAY
01/10/2017
Pour aller plus loin :
Blay, Philippe, « Douze lettres de Reynaldo Hahn », Bulletin Marcel Proust, 1993, no 43, p. 37-57.
– . « “Cet amour qui unit l’âme de la parole et celle de la musique” : Reynaldo Hahn et l’art du chant », in Le Chant français, [éd. numérique], colloque de l’Opéra-Comique sous la dir. d’Alexandre Dratwicki et Agnès Terrier, 21 et 22 mars 2013, Bru Zane Mediabase : ressources numériques autour de la musique romantique française, http://www.bruzanemediabase.com (mise en ligne : septembre 2016).
Blay, Philippe (dir.), Reynaldo Hahn, un éclectique en musique, actes du colloque organisé par le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française (Venise, 11-12 mai 2011), Arles : Actes Sud, Palazzetto Bru Zane, 2015.
Blay, Philippe, Branger, Jean-Christophe, Fraisse, Luc, Marcel Proust et Reynaldo Hahn : une œuvre à quatre mains, avant-propos d’Eva de Vengohechea, Paris : Classiques Garnier, coll. Bibliothèque proustienne, à paraître.
Branger, Jean-Christophe, « Quand Reynaldo Hahn évoque Marcel Proust : lettres à Ernest Moret, Jules Massenet et Yvonne Sarcey », Revue d’histoire littéraire de la France, avril-juin 2014, 114e année, no 2, p. 447-457.
Fraisse, Luc, « Un témoignage rapproché sur Marcel Proust : la correspondance inédite de Reynaldo Hahn avec les dames Lemaire », Marcel Proust aujourd’hui, no 9, p. 9-29.
Giroud, Vincent, « Hahn critique musical », in Reynaldo Hahn, un éclectique en musique, sous la dir. de Philippe Blay, Arles : Actes Sud, Palazzetto Bru Zane, 2015.
– . « Reynaldo Hahn, critique éclectique », in La Critique musicale au XXe siècle, 2, Formes et figures, sous la dir. de Timothée Picard, avec la collab. de Claude Coste, Martin Guerpin, Pascal Lécroart, Danièle Pistone et Emmanuel Reibel, Rennes : Presses universitaires de Rennes, à paraître.
– . « Pour Sainte-Beuve : Hahn, Proust, et la critique musicale », in Musiques de Proust, sous la direction de Cécile Leblanc, Françoise Leriche et Nathalie Mauriac Dyer, actes du colloque des 25, 26, 27 octobre 2016 à la Fondation Singer-Polignac, Paris : Hermann, à paraître.
Jousse, Eurydice, Gérard, Yves (éd.), « Reynaldo Hahn », in Lettres de compositeurs à Camille Saint-Saëns, préf. de Pierre Ickowicz, Lyon : Symétrie, Palazzeto Bru Zane, 2009, p. 261-282, coll. Perpetuum mobile.
Leblanc, Cécile, « L’Ardoise de Beckmesser, la critique musicale des Maîtres Chanteurs, autour de Reynaldo Hahn et Marcel Proust », Musicorum (Richard Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg), 2012, no 12, p. 173-190.
– . « Reynaldo Hahn (1874-1947) », in Cécile Leblanc, Proust écrivain de la musique : l’allégresse du compositeur, Turnhout : Brepols, 2017, p. 407-421, coll. Le Champ proustien.