Antoine Reicha (1770-1836)
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Antoine Reicha a laissé un corpus de textes théoriques conséquent, couvrant de nombreux domaines de la théorie de la musique. Toutefois, la langue et l’époque de rédaction de ces textes, leur longueur (de quelques dizaines de lignes à plus d’une centaine de pages), leur destination, leur état d’achèvement ou encore leur nature (textes autobiographiques, théoriques ou pédagogiques, textes inédits ou publiés) en font un corpus hétérogène. À ces écrits théoriques, s'ajoute une poignée de lettres conservées pour la plupart au Département de la musique de la bibliothèque nationale de France.
Les quatre traités théoriques de langue française que Reicha publia entre 1814 et 1833, après son installation à Paris, firent sa notoriété sous la Restauration et sont bien connus aujourd’hui des musicologues. Bien que décriés, le Traité de mélodie (1814) et le Cours de composition musicale (1816) écrits dans une perspective à la fois théorique et didactique lui permirent de se faire connaître et ne sont sans doute pas étrangers à sa nomination comme professeur de contrepoint et fugue au Conservatoire de Paris en 1818. Les deux volumes du Traité de haute composition (1824-1826) et l’Art du compositeur dramatique (1833) lui permirent d’asseoir sa notoriété. Ces quatre traités qui abordent la composition de manière systématique (dans l’ordre : mélodie, harmonie, contrepoint, fugue, formes, musique lyrique) témoignent de la pensée méthodique de leur auteur.
À ce corpus d’écrits publiés, s’ajoute celui, antérieur, des inédits. Restés à l’état de manuscrits jusqu’à leur publication en 2011-2013, ils furent rédigés pour la plupart en langue allemande au début du xixe siècle, lors des séjours hambourgeois et viennois de Reicha. Trois textes conséquents forment cette partie du corpus : Philosophisch-practische Anmerkungen zu den practischen Beispielen (Observations philosophiques et pratiques, avec des exemples), Grundsätze der practischen Harmonie (Principes de l’harmonie pratique) et Die Kunst der practischen Harmonie (L’Art de l’harmonie pratique – inachevé). Les circonstances précises de leur rédaction, ainsi que les raisons qui ont présidé au choix de Reicha de ne pas les faire publier nous sont inconnues. La découverte de ces textes inédits – notamment les Philosophisch-practische Anmerkungen et Die Kunst der practischen Harmonie – a mis au jour un cheminement de pensée étonnant entre les années de jeunesse du compositeur et la période qui assoit sa reconnaissance institutionnelle à Paris. Reicha semble en effet s’être assagi entre le moment de la rédaction des traités théoriques inédits et ceux publiés de son vivant – assagissement sans doute davantage lié au contexte institutionnel de la publication de ses ouvrages théoriques, qu’à l’âge du compositeur, si l’on en croit les différents témoignages de ses élèves qui le décrivent comme un professeur iconoclaste. Pour prendre l’exemple de la fugue, Reicha indique dans les Philosophisch-practische Anmerkungen que les entrées du sujet et de la réponse peuvent se faire à n’importe quel intervalle – ce qu’il applique d’ailleurs dans ses propres fugues de la même époque – alors qu’il n’autorise que les réponses à la quinte dans le Traité de haute composition de 1824. On peut observer le même retrait entre ces deux textes sur la question de la tonalité à adopter dans la zone secondaire des expositions des formes sonate (le plus ancien prônant un renouveau des tonalités, l’autre conservant le cadre strict d’une modulation à la dominante ou au relatif majeur).
Mentionnons enfin, pour compléter le corpus, deux textes inédits de langue française : les Notes sur Antoine Reicha (texte rédigé à Paris vers 1824) et Sur la musique comme art purement sentimental (ca. 1809-1813). L’autobiographie du compositeur ambitionnait sans doute de nourrir des notices biographiques de dictionnaires, certaines anecdotes qu’elle contient se retrouvant régulièrement dans différentes sources du xixe siècle. Sur la musique comme art purement sentimental atteste du fait que, bien qu’il s’en défende, Reicha a éprouvé le besoin de philosopher sur la musique pour appuyer ses propos théoriques. Les efforts du théoricien pour penser son art se traduisent bien souvent par des répétitions, des approximations ou des maladresses, mais elles témoignent de la façon dont il s’approprie des idées dans l’air du temps en Allemagne ou en France – on pense, par exemple, à ses réflexions sur la question du primat de l’harmonie sur la mélodie.
Cet imposant corpus revêt un intérêt pour la théorie musicale prise en tant qu’objet d’histoire, quand bien même le compositeur, contrairement à un Fétis, ne produisit pas de réelle réflexion historique sur le sujet. « Cours », « observations », « principes », « art », « traité » : la multiplicité de la terminologie choisie par Reicha pour les titres de ses écrits – dans lesquels « théorie » n’apparaît du reste pas – traduit la diversité des champs dans lesquels il pense la théorie. Entre l’approche proprement pédagogique des Grundsätze der practischen Harmonie ou du Cours de composition musicale, et les réflexions de nature plus esthétique de Sur la musique comme art purement sentimental, les écrits de Reicha laissent transparaître une forte tension entre le spéculatif et le pratique. C’est le cas notamment des Philosophisch-practische Anmerkungen zu den practischen Beispielen, du Traité de haute composition, de L’Art du compositeur dramatique, mais aussi des recueils de composition accompagnés de considérations théoriques comme les Trente-six fugues pour le piano forte (édition de 1805) ou les Études dans le genre fugué pour le piano-forte, précédées de quelques remarques instructives sur différentes propositions musicales à l’usage des jeunes compositeurs opus 97 (c. 1820). Ces ouvrages posent la question du statut de la composition dans la pensée théorique de Reicha, que l’on ne peut réduire à une simple valeur d’exemple, mais qui semble au contraire être au fondement des réflexions théoriques du compositeur, ce qui est sans doute un des signes de sa singularité. La récurrence de l’adjectif « pratique » dans les titres des textes illustre la redéfinition de la théorie comme une large discipline pédagogique de l’étude de la musique à la fin du xviiie siècle – redéfinition que Thomas Christensen attribue à Forkel, dont le nom est cité à plusieurs reprises par Reicha. Sans surprise pour cette époque, le domaine spéculatif traditionnel de la musica theoria formé par les mathématiques et la physique n’est présent dans les écrits du compositeur que de manière anecdotique, au travers des allusions faites à sa formation à Bonn. La grammaire et la rhétorique sont en revanche toujours bien vivaces, notamment dans le Traité de mélodie, Sur la musique comme art purement sentimental et même dans le Traité de haute composition. Enfin, on peut remarquer que les traités publiés par Reicha lui-même sont ceux dans lesquels les œuvres de ses prédécesseurs ou contemporains ne sont plus simplement citées, mais sont l’objet d’une véritable analyse critique, approche qui prendra un rôle croissant dans la théorie au xixe siècle.
Les quatre traités édités du vivant de Reicha furent largement attaqués par Fétis dans la Biographie universelle des musiciens, où un manque d'érudition et des aberrations théoriques lui sont reprochés de manière acerbe - on pense, par exemple, à la théorie de la constitution et de l'enchaînement des accords exposée dans le Cours de composition musicale. Ces critiques n'empêchèrent pas la diffusion européenne des traités de Reicha. Ils furent traduits en allemand par Carl Czerny entre 1832 et 1835 et diverses traductions italiennes et espagnoles confortèrent la renommée du théoricien. L'histoire de la diffusion de ces écrits en Europe reste à ce jour à écrire, mais il semble que différentes traductions et adaptations des ouvrages théoriques de Reicha servirent de matériel pédagogique au Conservatoire royal de musique de Madrid - première institution du genre en Espagne - de sa création en 1832 jusqu'au milieu du siècle au moins.
Louise BERNARD DE RAYMOND
23/10/2018
Pour aller plus loin
Louise Bernard de Raymond, Jean-Pierre Bartoli, Herbert Schneider (éd.), Antoine Reicha, Compositeur et théoricien, Hildesheim, Zürich, New-York, Olms, 2015.
Thomas Christensen, The Cambridge History of Western Music Theory, Thomas Christensen (éd.), Cambridge, CUP, 2006 [1/2002], p. 9.
Maurice Emmanuel, Antonin Reicha, Paris, Henri Laurens, coll. « Les Musiciens célèbres », 1937.
François-Joseph Fétis, "Reicha", Biographie universelle des musiciens, Paris, Firmin Didot, vol. VII, 2e édition, 1866, p. 202-206.
Antoine Reicha, Vollständiges Lehrbuch der musikalischen Composition, Carl Czerny (trad.), 4 vol., Vienne, Diabelli & Comp., [1832-1835]
Antoine Reicha, Écrits inédits et oubliés/Unbekannte und unveröffentlichte Schriften, vol. 1, vol. 2.1-2.2, Hervé Audéon, Alban Ramaut, Herbert Schneider (éd.), Hildesheim, Olms, 2011, 2013
Ramón Sobrino, "The Impact of Reicha’s Compositional Legacy in Nineteenth-Century Spain: Translations and Diffusion of his Theoretical Treatises", communication donnée au colloque international « Professor Reicha: Practice and Legacy of a Composer-Teacher », Lucques, Centro Studi Opera Omnia Luigi Boccherini / Palazzetto Bru-Zane, novembre 2017 (résumé).
prénom | Antoine |
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nom | Reicha |
année de naissance | 1770 |
année de décès | 1836 |
identique à | http://data.bnf.fr/13898892/antoine_reicha/ |