Lourié, Arthur Vincent (1892-1966): présentation synthétique des écrits

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Lourié, Arthur Vincent (1892-1966): présentation synthétique des écrits

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Le compositeur russe Arthur Vincent Lourié (Artur Lur’ye, pseudonyme de Naum Izraílevitch Lur’ya) est l’auteur de plusieurs articles parus en russe, en français et en anglais durant toute sa vie, dont certains republiés par Jean Mouton dans un recueil qui contient également une sélection d’écrits fragmentaires (Profanation et sanctification du temps. Journal musical Saint-Pétersbourg–Paris–New York, 1966). Il est également l’auteur d’une biographie du chef d’orchestre Serge Koussevitzky (dont il a également été le « nègre ») publiée à New York en 1931 (Sergei Koussevitzky and His Epoch. A Biographical Chronicle).

Parmi les documents d’archives sont à signaler des copieuses correspondances, riches en réflexions esthétiques, avec Koussevitzky (Library of Congress, Koussevitzky Collection), Igor Stravinsky (dont la correspondance russe jusqu’en 1939 a été publiée par Viktor Varunc, Perepiska s russkimi korrespondentami. Materialy k biografii [Stravinski : Lettres avec les correspondants russes. Matériel pour une biographie], Moscou, Kompositor, 1998-2003) et Jacques et Raïssa Maritain (Fonds Jacques et Raïssa Maritain à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg; ce corpus est en cours de publication par les soins d’Olesya Bobrik).

Le journal qui couvre les années américaines de Lourié à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale (conservé à la Paul Sacher Stiftung) a été partiellement publié et étudié par Olesya Bobrik et Ludmila Korabel’nikova, tandis que le journal des années parisiennes (entre les deux guerres) est perdu. Plusieurs lettres de Lourié sont reprises dans la biographie romancée Artur i Anna écrite par Michaïl Kralin (1990; 2e éd. Tomsk, Vodoley, 2000), centrée sur relation amoureuse entre Lourié et Anna Achmatova, un sujet qui a par la suite inspiré le film de Vladimir Nepevny, Anna Akhmatova et Artur Lurie. Parole et musique (2010).

Lourié a publié régulièrement dans les plus prestigieuses revues musicales de l’entre-deux-guerres (La Revue musicaleModern MusicMusic and Letters) ainsi que dans les organes de l’émigration russe à Paris (les revues eurasistes Yevraziya et Vyorstï) et à New York (surtout le Novïy zhurnal), où il s’est établi en 1941.

Lourié prend généralement la plume pour promouvoir sa propre musique en soutenant celle de Stravinsky (jusqu’au début des années 1930) et celle interprétée par Koussevitsky. Malgré (ou peut-être en raison de) ce caractère « militant » de ses écrits, les articles de Lourié sont des contributions essentielles à l’étude historique et esthétique du néoclassicisme musical, que le compositeur théorise dans une série d’articles souvent directement liés à l’œuvre de Stravinsky (Lourié projetait d’écrire un livre sur le compositeur) et ancrés dans la pensée politico-philosophique eurasiste. On y retrouve ainsi les thèmes récurrents de la crise de la culture occidentale, de la place historique et actuelle de la musique russe, de la nécessité d’un retour au religieux, de la promotion de l’universalisme contre l’individualisme (Lourié ouvre en ces termes l’opposition désormais classique entre Stravinsky et Arnold Schönberg), du pouvoir de la musique de transformer l’humanité (celle-ci étant une idée issue des cercles symbolistes russes que Lourié fréquentait dans le Saint-Pétersbourg des années 1910).

Il est possible de mettre en lumière des correspondances entre les principes esthétiques promus par Lourié et sa production musicale, ce qui a été fait notamment à propos de son Concerto spirituale (1928-1929), de ses deux symphonies (Sinfonia dialectica, 1930 ; Symphonie « Kormtchaïa », 1939) et de l’opéra Le Maure de Pierre le Grand (1949-1955).

Le style d’écriture de Lourié est très dense, avec une tendance à la complexification et aux élans métaphysiques déjà dénoncée par d’autres critiques musicaux contemporains. Dans une polémique sur la critique musicale parue dans la Revue Pleyel en 1926, Roland-Manuel remarque sarcastiquement que pour lire Lourié, il faudrait être « à la fois licencié ès-sciences physiques et naturelles et docteur en philosophie – sinon agrégé de grammaire » (« Jérémiades », n28, p. 12-15 : 14).

 

Federico LAZZARO

22/03/2018

 

Pour aller plus loin :

- Sur le journal américain de Lourié, voir : Ludmila Korabel’nikova, « Amerikanskiye dnevniki Artura Lur’ye. K probleme muzikal’noy emigratsii “pervoy volni” [Les journaux américains d’Arthur Lourié. À propos de l’émigration musicale pendant la “première vague”] », dans S. G. Svereva (dir.), Keldïshevskiy sbornik. Muzïkal’no-istoricheskiye chteniya pamyati Yu. V. Keldïsha [Le Recueil de Keldych. Lectures musicales et historiques en mémoire de Youri V. Keldych], Moscou, GII, 1999 ; Olesya Bobrik, « Kronika pamyati. Iz amerikanskikh dnevnikov Artura Lur’ye » [Chronique de la mémoire. Du journal américain d’Arthur Lourié], Iskusstvo muzïki. Teoriya i istoria [L’art de la musique. Théorie et histoire], vol. 5, 2012, p. 158-184, http://imti.sias.ru/upload/iblock/b05/bobrik.pdf.

- Sur l’esthétique de Lourié en relation à l’Eurasisme, voir : Ekaterini Levidou, The encounter of neoclassicism with Eurasianism in interwar Paris. Stravinsky, Suvchinsky, and Lourié, thèse de doctorat, University of Oxford, 2009; Katerina Levidou, « Arthur Lourié and His Conception of Revolution », Музикологија / Musicology, 2012, no 13, p. 79‑100; Klára Móricz, « Arthur Lourié’s Eurasianist and Neo-Thomist Responses to the Crisis of Art », dans Tamara Levitz (dir.), Stravinsky and His World, Princeton, Princeton University Press, 2013, p. 164-178; Richard Taruskin, « Turania Revisited, with Lourié My Guide », dans Klára Móricz et Simon Morrison (dir.), Funeral Games in Honor of Arthur Vincent Lourié, Oxford/New York, Oxford University Press, 2014, p. 63-120. Plusieurs textes eurasistes de Lourié ont été recueilli dans Igor Vishnevetsky, Yevraziyskoye ukloneniye v muzïke 1920-1930-kh godov: Istoriya voprosa. Stat'i i materiali A. Lur'ye, P. Suvchinskogo, I. Stravinskogo, V. Dukel'skogo, S. Prokof'yeva, I. Markevicha [Le mouvement eurasiste en musique dans les années 1920 et 1930 : une histoire. Articles et matériaux sur A. Lourié, P. Suvchinsky, I. Stravinsky, V. Dukelsky, S. Prokofiev et I. Markevich], Moscou, NLO, 2005.

- Sur Lourié comme « nègre » et promoteur de Stravinsky et Koussevitsky, voir : Simon Morrison, « Koussevitzky’s Ghostwriter », dans Klára Móricz et Simon Morrison (dir.), Funeral Games in Honor of Arthur Vincent Lourié, Oxford/New York, Oxford University Press, 2014, p. 121-149; Valérie Dufour, Stravinski et ses exégètes (1910-1940), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2006, chap. 4 : « Arthur Lourié ».

- Sur Lourié et le concept de néoclassicisme, voir : Valérie Dufour, « “Néo-gothique et néo-classique”. Arthur Lourié et Jacques Maritain: aux origines idéologiques du conflit Stravinski-Schoenberg » dans Musique, art et religion dans l’entre-deux-guerres, Lyon, Symétrie (coll. « Perpetuum mobile »), 2009, p. 31‑42.

- Sur les correspondances entre les positions esthétiques de Lourié et sa production musicale, voir : Detlef Gojowy, Arthur Lourié und der russische Futurismus, Laaber, Laaber Verlag, 1993; Caryl Emerson, « Jacques Maritain and the Catholic Muse in Lourié’s Post-Petersburg Worlds », dans Klára Móricz et Simon Morrison (dir.), Funeral Games in Honor of Arthur Vincent Lourié, Oxford/New York, Oxford University Press, 2014, p. 196-268; Klára Móricz, « Decadent Truncation: Liberated Eros in Arthur Vincent Lourié’s The Blackamoor of Peter the Great », Cambridge Opera Journal, vol. 20, no 2, juillet 2008, p. 181‑213; Klára Móricz, « Symphonies and Funeral Games. Lourié’s Critique of Stravinsky’s Neoclassicism », dans Tamara Levitz (dir.), Stravinsky and His World, Princeton, Princeton University Press, 2013, p. 138-163.

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