Style and Idea
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Publié en 1950 par la Philosophical Library à New-York, Style and Idea se présente comme un recueil d’écrits d’Arnold Schoenberg (1874-1951) couvrant l’ensemble de sa carrière. Hétérogènes en volume et en contenu, les quinze articles sont disposés chronologiquement, certains accompagnés d’une brève note contextuelle. Pourtant, la faible quantité de textes retenus, la prééminence de ceux datant de la période américaine du compositeur et la réécriture partielle des précédents confèrent plutôt à l’ensemble l’unité stylistique d’une monographie. Le livre apparaît surtout comme un témoignage du dernier Schoenberg, inquiet d’être reconnu par l’histoire à la place qu’il revendique et soucieux de faire comprendre sa musique et ses idées à un public américain éloigné de son propre milieu culturel.
Dès les années 1930, le compositeur estime son œuvre écrite à 1500 pages et présente à un premier éditeur le projet d’un livre retraçant l’évolution allant des compositeurs post-wagnériens à la composition à 12 sons. Mais à partir de 1943, la sélection toujours plus restreinte opérée par la Philosophical Library l’incite à reporter cette ambition sur un autre volume, resté inachevé. Les questions de traduction ont également pesé sur la genèse de l’ouvrage : à celle des textes allemands s’ajoutent la correction d’un anglais inégal, la gestion d’une terminologie singulière, et l’évolution sur quatre décennies des prétentions littéraires de l’auteur. Son aversion pour toute trahison langagière a eu raison de plusieurs équipes de traducteurs jusqu’en 1948 : la tâche fut alors confiée à Dika Newlin, ancienne étudiante de Schoenberg à l’UCLA, qui l’avait déjà assisté pour les Structural Functions of Harmony. Celle-ci a su « adhérer aussi littéralement au style original que l’usage de l’anglais » (Editor’s Foreword) le supporte, et tempérer sinon les blessures d’égo de l’auteur.
Deux fils conducteurs permettent de cerner les principales thématiques de l’ouvrage. En premier lieu, Schoenberg se veut le garant d’une compréhension purement musicale des œuvres. Les propos sur sa propre musique ne sont pas absents (V, VIII, XII*), mais il s’agit davantage de développer une philosophie générale de la composition, à partir de la tradition germanique. Organisée autour du concept d’idée musicale, celle-ci articule une idéalisation romantique de la musique pure et un formalisme annonçant le discours analytique des avant-gardes d’après-guerre. Ainsi, d’un côté l’ouvrage exalte l’immatérialité de la musique et sa signification abstraite (I, II, V, XI), ou attribue les réussites compositionnelles à des forces obscures – inconscient somnambulesque (I, II), puis Seigneur dispensant ses dons à qui les mérite (III, IV, V, VIII, XII). L’œuvre est alors assimilée à un produit de la nature où, tel un arbre fruitier ou un enfant venant à naître (I, II, III, VII, IX, X), chaque partie se rapporte organiquement au tout. Pour autant, c’est avec les mots ordinaires du langage parlé que l’analogie prévaut lorsque l’œuvre est abordée en tant que forme (II, III, IV, V, VII). Plutôt que la recherche du beau, c’est une exigence d’intelligibilité [comprehensibility] que souligne l’auteur, analysant dans le répertoire allant de Bach à Mahler les procédures de « variation développante » qui connectent les concepts – purement musicaux – selon les lois de la logique humaine (II, III, IV, V, VII, IX, X).
En second lieu, il s’agit également pour Schoenberg de faire reconnaître sa contribution personnelle à une Weltliteratur musicale. Ainsi, face à l’expression de soi pulsionnelle revendiquée dans les années 1910 (I, II) le reste de l’ouvrage privilégie une conception plus rationaliste de la création. Sans refuser la part d’inspiration spontanée (II, III, IV, V, VIII), la composition y est définie comme un acte intellectuel consistant à trouver la manière adéquate de présenter des idées musicales. Le compositeur est rapproché du mathématicien rédigeant ses théorèmes, ou du joueur d’échecs prévoyant ses coups à l’avance (III, IV, V, X). Le développement historique de l’art musical, quant à lui, est indépendant aussi bien du goût du public que des créateurs. Il est interprété par Schoenberg comme une optimisation progressive de l’espace sonore, orientée vers une densité croissante des idées musicales. La méthode dodécaphonique se justifie alors comme le stade le plus avancé dans l’exploitation d’un espace musical unifié (V) : en elle les relations contrapuntiques – « verticales » – de l’ère polyphonique s’associent à l’art « horizontal » du développement, propre à l’ère homophonique des Classiques (III, XII). Cette téléologie justifie également la dévalorisation des musiques nationales et traditionnelles (III, X), ainsi que l’aversion de Schoenberg pour les mots d’ordre artistiques (II, III, IX). Dans un effort platonicien, le créateur doit délaisser tout maniérisme personnel, relevant du style éphémère, et œuvrer à faire advenir les idées, éternelles et universelles.
Paru après les Models for Beginners in Composition (1943) et la traduction anglaise de la Harmonielehre (1948), deux ouvrages pédagogiques, Style and Idea devait révéler au public américain une image plus personnelle de l’inventeur de la méthode dodécaphonique. Souvent malmenée par le compositeur, la critique y vit surtout un style littéraire pauvre, un culte désuet au génie – notamment au sien –, et une terminologie esthétique approximative. Cela n’a pas empêché l’ouvrage de s’affirmer rapidement comme une référence incontournable de la littérature sur la musique moderne, bénéficiant à l’international de la vogue formaliste et sérielle des avant-gardes, et de l’institutionnalisation au sein de l’université américaine de la théorie harmonique et formelle de Schoenberg. Sous l’impulsion de Leonard Stein, ancien élève du compositeur aux Etats-Unis et directeur du Arnold Schoenberg Institute fondé à Los Angeles en 1973, une seconde édition parut en 1975. Bien que deux textes n’aient pas été repris (VI, XV), elle incorpore à l’ouvrage initial d’autres documents de différentes natures et époques, pour un total de 94 textes répartis en 10 sections thématiques. C’est cette version qui fut traduite en français en 1977 par Christiane Delisle pour Buchet-Chastel, malgré l’absence de certains textes. C’est en revanche une autre version qui parut en allemand chez Fischer en 1976, encouragée par Nuria Nono-Schoenberg, comme premier volume des écrits complets : à une première partie qui reprend les quinze textes de Style and Idea, en privilégiant pour certains l’orignal allemand, succède un ensemble de 59 documents disposés en ordre chronologique, ainsi qu’un appareil critique de trente pages. Entretemps, l’Italie puis l’Espagne avaient déjà bénéficié d’une traduction de la première édition, respectivement en 1960 et 1963. Mais depuis les années 2000, l’ambition d’éditer l’ensemble des textes du compositeur et la revalorisation des premières versions a finalement achevé la dilution du Style and Idea de 1950 dans des recueils qui n’en portent plus tout-à-fait le titre. Ainsi de Stile herrschen, Gedanken siegen [Les styles règnent, les idées triomphent] édité chez Schott en 2007 par Anna Maria Morazzoni, ou des Ecrits 1890-1951 parus chez Contrechamps en 2024. Le statut historique singulier de l’ouvrage de 1950 fut toutefois souligné par la Philosophical Library, qui en réédita en 2014 la version originale.
*Les numéros en chiffres romains, de I à XV, désignent les articles de l’ouvrage (passim)
Dimitri KERDILES
13/04/2025
Pour aller plus loin
McGeary Thomas, « The Publishing History of Style and Idea », Journal of the Arnold Schoenberg Institute, vol. X n°2, novembre 1986, p. 181-209.
Krones Harmut (dir.), Arnold Schonberg in seinen Schriften, Budapest, Böhlau, 2011.
Table des matières
I. The Relationship to the Text
II. Gustav Mahler
III. New Music, Outmoded Music, Style and Idea
IV. Brahms the Progressive
V. Compostion with Twelve Tones
VI. A Dangerous Game
VII. Eartraining through Composing
VIII. Heart and Brain in Music
IX. Criteria for the Evaluation of Music
X. Folkloristic Symphonies
XI. Human Rights
XII. On Revient Toujours
XIII. The Blessing of the Dressing
XIV. This is My Fault
XV. To the Wharfs
éditions numérisées | |
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genre | Recueil d'articles |
éditeur | Philosophical Library |
lieu d'édition | New-York |
années d'édition | 1950 |
nombre de pages | 224 |
langue originale | anglais |
traductions | |
réédition d'ouvrage | |
compositeur |