La note et le son
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La Note et le Son est un recueil de 422 pages rassemblant 32 textes écrits par Philippe Manoury entre 1981 et 1998, publiés dans diverses revues ou inédits. Pour l'occasion, les textes ont été réécrits par le compositeur avec l'aide de la musicologue Danielle Cohen-Levinas qui signe également l'avant-propos de l'ouvrage. Ils ont été répartis en quatre catégories : écrits théoriques, esthétiques, thèmes et variations sur des questions diverses, entretiens. L’ouvrage se termine par un catalogue commenté des œuvres, couvrant la période 1972-1998.
La première partie du recueil est consacrée aux écrits théoriques du compositeur, soit 5 textes qui sont parmi les plus longs de l’ouvrage. Ils permettent d'appréhender les fondements de l’œuvre de Philippe Manoury, les conceptions qui régissent ses compositions, notamment dans le champ de la musique mixte et du temps réel, mettant en relation instruments acoustiques et moyens électroniques. Le dernier de ces textes, intitulé « Les partitions virtuelles » (1997) est sans doute le plus connu d’entre eux, à l’aune de la notoriété du compositeur considéré comme précurseur de la musique temps réel. Il s’agit ici d’unir musique instrumentale et musique électronique. Tout comme la partition classique se caractérise comme incomplète car son économie de moyens, ouvrant à des structures complexes ne représente que partiellement le phénomène sonore, la partition virtuelle en musique mixte ne définit qu’une partie du rendu électronique et la part manquante est déterminée par les relations qui sont établies entre l’interprète et la machine, qui reconnaît et suit le jeu du premier. Le texte précédent, « La note et le son : un carnet de bord » (1990) constitue en quelque sorte le prélude de ces considérations. Rédigé après la composition de trois œuvres pionnières associant instruments et électronique Ircam temps réel à base de station 4X (Jupiter en 1986, Pluton en 1987-1988, La partition du ciel et de l’enfer en 1989), le texte souligne les qualités principales de l’écriture traditionnelle – pouvoir d’abstraction, caractère symbolique, puis l’importance du processus d’interprétation de la musique écrite, avant de montrer les différences avec la musique électronique dont les objets sont difficilement détachables de leur fonction sonore et dont l’interprétation ne lui paraît possible que dans une situation temps réel.
Les trois autres textes de cette première partie sont consacrés à des questions dépassant le cadre de la musique mixte, même si composition instrumentale et création électronique s’y croisent à plusieurs reprises. Le premier d’entre eux, « La flèche du temps », pose un cadre général d’approche de la composition chez Manoury : pour importante que l’écriture musicale soit dans sa musique, le compositeur pose d’emblée que le catalyseur de sa création est plutôt à chercheur du côté de questions de perception. Comme souvent chez Manoury, curieux des sciences et des autres arts, ce sont des phénomènes, pris dans la vie courante ou découverts dans d’autres disciplines dont la perception le questionne, trouvant là matière à expérimenter et construire. Le compositeur réaffirme la musique comme art du temps, ce dernier étant la condition nécessaire de toute perception, immédiate, réfléchie ou prémonitoire. Dans le second texte, « La part consciente », Manoury s’interroge sur une question au cœur de toute activité compositionnelle, celle de l’articulation entre conception et perception. Le compositeur pose deux points extrêmes entre lesquels se situe toute composition : d’une part la primauté donnée à la création de relations fortes entre éléments laissant parfois émerger des phénomènes perceptuels qui leur sont exogènes ; d’autre part, le travail sur la nature individuelle d’éléments isolés dont la perception est plus univoque. Le troisième texte « Les limites de la notion de timbre » prend ici position à l’opposé des conceptions « spectralistes » considérant le timbre comme un composant qui aurait été délaissé historiquement et émergerait enfin dans la composition contemporaine. Dans le domaine de la musique écrite, Manoury considère que le timbre ne se situe pas au même niveau conceptuel que les autres composants que sont les hauteurs, les durées et les intensités. Dans le domaine de la musique électronique, il n’est plus possible de parler de timbre tant les moyens de son analyse et de son contrôle sont nombreux : mode d’attaque, phrasé, vibrato, rugosité, etc. sont mis en évidence par les psychoacousticiens et deviennent manipulables par l’ordinateur. Et le compositeur de conclure : « En tant qu’objet unitaire de la composition, le timbre, pour moi est mort ».
La deuxième partie de l’ouvrage, « Écrits esthétiques » rassemble des textes plus courts qui témoignent de l’activité d’analyste et de lecteur de Philippe Manoury, qui ne cesse d’explorer certaines partitions du passé dans lesquelles il retrouve des questionnements - et non des procédés stylistiques, proches de ceux qui entrent dans la composition de ses propres œuvres, qu’il a exposés dans la première partie du recueil. Il s’agit bien avec Baudelaire d’aller tirer l’éternel du transitoire, comme le propose le texte « Le transitoire et l’éternel ou le crépuscule des modernes ? ». Ces textes nous font découvrir les allers-retours permanents du compositeur entre Wagner, Mahler, la Seconde École de Vienne, Debussy, Boulez ou Stockhausen et son atelier compositionnel. Ils ont été groupés en trois thèmes : modernité, opéra, modèles.
Le thème « Modernité » regroupe 5 textes. « Coupure dans l’instant » s’intéresse à la question de la ponctuation du continuum musical en examinant différents contextes et mises en œuvre dans l’histoire de la musique, dans le cadre tonal et en dehors. La fin du texte montre des exemples de continuums sonores qui éliminent la ponctuation que ce soit chez Berg, Grisey, Murail, Xenakis ou Chowning. Le texte suivant « Le geste, la nature et le lieu : un démon dans les circuits » pose la question de l’altérité des machines informatiques et dispositifs sonores artificiels, dont l’intérêt principal est de brouiller les liens unissant causes (gestes) et effets (sons) dans la musique instrumentale en pouvant s’affranchir des lois de l’acoustique physique. Le texte « Le transitoire et l’éternel ou le crépuscule des modernes ? » est central, consacré à la question de la modernité en art et en particulier en musique, posant la nécessité de différencier « principes généraux et procédés esthétiques d’une part, […] expression et technique de l’autre ». Dans le texte « A propos de quelques éléments stylistiques », Manoury insiste sur la nécessité de trouver une forme musicale personnelle dépassant les questions de langages musicaux mais en prise avec le réel pour le transformer et non le subir. « La musique aujourd’hui : un univers en expansion sauvage » pose la question de la nature des politiques publiques en faveur de l’art et de la culture, que Manoury différencie, et notamment d’une éducation musicale significative à l’école, permettant d’appréhender la musique comme autre chose qu’un élément du paysage global des produits fonctionnels qui nous entourent.
Le thème « Opéra » entre plus avant dans l’œuvre des compositeurs du passé dont les démarches compositionnelles rencontrent l’intérêt de Manoury dans sa propre création. Wagner est à l’honneur avec deux textes qui lui sont consacrés, le premier montrant le potentiel de transformation des leitmotive dans le Ring, tandis que le second se penche sur la modalité et le diatonisme dans Parsifal. Manoury analyse ensuite les matériaux thématiques de l’opéra La Femme sans ombre de Richard Strauss et leur déploiement en termes quasi cinématographiques. Cette perspective de relation au temps dans le cinéma lui sert à introduire le travail mené dans l’écriture de son premier opéra, 60ème Parallèle, issu du processus de composition d’un opéra précédent, inachevé, inspiré du film Citizen Kane d’Orson Welles, et comme lui faisant abondamment usage du procédé de flashback. Le texte « Du fonctionnel au symbolique dans la musique d’opéra » présente quelques rapports entre musique et drame que Manoury identifie notamment chez Wagner et Berg. Le compositeur conclut le thème Opéra par un texte issu des notes de programme de la création de 60ème Parallèle, montrant comment la forme de l’œuvre est construite à partir du Prélude, auquel l’opéra ne cesse de revenir.
Dans le dernier thème intitulé « Modèles », Manoury propose trois textes fondés sur des observations, phrases ou textes de compositeurs et écrivains du passé. Ils reprennent parfois des thématiques déjà traitées, comme celui de la composition mixte (texte « La petite phrase de Berlioz »). Le texte « Les points de vue de Borges » constitue une exploration de l’univers de Borges dans sa relation aux questions explorées par Manoury, telles que la perception, la mémoire, le rapport du macrocosme au microcosme, la continuité versus la discontinuité. Le texte suivant revient sur l’ouvrage Les testaments trahis de l’écrivain Milan Kundera qui intéresse le compositeur par sa mise en parallèle des grandes phases de la littérature et de la création musicale, que Manoury approfondit dans la perspective extension / prolifération / augmentation versus limitation / contraction / condensation.
La troisième partie de l’ouvrage « Thèmes et variations sur des questions diverses » regroupe des textes variés, allant de la réponse du compositeur à l’ouvrage Requiem pour une avant-garde de Benoît Duteurtre à une série de brefs Impromptus, consacrés à l’actualité intellectuelle et musicale. La quatrième partie est consacrée à des entretiens du compositeur avec Danielle Cohen-Levinas, Jean-Pierre Derrien et Peter Szendy, qui peuvent donner au lecteur une idée d’ensemble des conceptions et du parcours de Philippe Manoury.
À travers ces 32 textes se révèle une grande cohérence et unité d’intention chez le compositeur, à l’image d’une des stratégies compositionnelles qu’il affectionne, consistant à présenter une même idée musicale sous des aspects différents. Malgré les évolutions très rapides des technologies, les propos relatifs à l’électronique n’ont pas perdu de leur actualité, car ils sont abordés selon des perspectives compositionnelles en relation avec l’écriture musicale, sans référence à des aspects de mise en œuvre qui pourraient être obsolètes.
Alain BONARDI
28/09/2019
genre | Recueil d'articles |
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éditeur | L'Harmattan |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1998 |
nombre de pages | 422 |
langue originale | français |
compositeur | |
identique à | https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36995805r |