Méthode de violon par les c[itoy]en[s] Baillot, Rode et Kreutzer, membres du Conservatoire de musique, rédigée par le citoyen Baillot, adoptée par le Conservatoire pour servir à l'étude dans cet établissement
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La Méthode de violon de Pierre Baillot, Rodolphe Kreutzer et Pierre Rode marque durablement la pédagogie de l’instrument. Commandée par le Conservatoire de Paris à sa création en 1795, comme treize autres traités d’instrument, elle a pour but de fixer un modèle d’enseignement et d’établir une unité dans ses principes. L’élaboration de l’ouvrage est confiée à trois des professeurs de violon – Baillot se chargeant de la rédaction –, qui prennent soin de consulter des recueils antérieurs avant de composer le leur. Achevé en 1802, ce dernier devient dès lors un support obligatoire pour les élèves violonistes de l’institution. Son dessein est également d’être diffusé en province : il est notamment imposé dans les succursales du Conservatoire, instaurées à partir de 1826. L’écrit se compose de deux parties, traitant du « mécanisme du violon » (p. 5) et « de l’expression et de ses moyens » (p. 158).
La première, la plus longue, intègre une série de gammes dans tous les tons et aux sept positions, soutenues par une basse de Luigi Cherubini, puis 50 Études sur la gamme composées par Baillot. Contrairement aux autres méthodes du Conservatoire, comme celle de piano rédigée par L. Adam, ou de violoncelle, rédigée par Baillot, aucun exemple musical tiré du répertoire n’est proposé pour étayer les explications théoriques. Courants dans les recueils pédagogiques, les principes de solfège sont absents, tout comme l’illustration de la posture de l’exécutant et de la tenue des instruments – cette fois conformément aux traités parus en France à cette époque.
Bien que le titre ne le précise pas, la Méthode est un ouvrage élémentaire. Elle est destinée non pas à assurer à elle seule la formation du violoniste, mais à servir de support et de complément à l’enseignement d’un professeur. Le Conservatoire, à sa création, accueille des « commençants », loin de sa vocation de perfectionnement actuelle. Si certains chapitres du traité peuvent sembler aujourd’hui peu étoffés, tel celui consacré aux coups d’archet, l’ouvrage doit être replacé dans son contexte, bien avant l’apparition, dans les années 1830, d’une virtuosité qui signe le développement de la technique de l’instrument. La Méthode de Baillot, Kreutzer et Rode contribue à fixer certains principes, comme l’usage du menton reposant à gauche du cordier. Tandis qu’auparavant, les préconisations différaient au gré des ouvrages, les méthodes ultérieures au traité des professeurs parisiens stipulent désormais unanimement cette pratique.
La seconde partie (« des moyens d’expression », « du son », du mouvement », « du style », « du goût », « de l’aplomb », « du génie d’exécution ») expose des pensées humanistes et philosophiques qu’aucun recueil pédagogique de violon n’a abordé précédemment. En se référant fréquemment au Dictionnaire de musique de Jean-Jacques Rousseau, les auteurs livrent de précieux renseignements sur des éléments de tradition orale qui régissent l’exécution : goût, conception de l’art, timbre, idéal de vocalité, caractéristiques du jeu selon qu’il s’applique à la sonate, au quatuor ou au concerto. Car il ne suffit pas que l’élève devienne « habile dans le mécanisme du Violon » : « l’expression vient ouvrir à son talent une carrière qui n’a de bornes que dans les sensations du cœur humain » (p. 158). L’accent est mis sur la nécessité de dépasser ce « mécanisme », de s’en servir comme un moyen et non comme une fin. Cette partie totalement inédite dans le corpus des méthodes antérieures inspirera maints pédagogues pour leur propre opuscule.
Dans une France où les classes de violon peinent à s’ouvrir en province jusqu’aux années 1830, la Méthode offre aux professeurs un support portant la prestigieuse caution du Conservatoire de Paris, comme celle des virtuoses et pédagogues internationalement réputés qui l’ont conçue. Ces raisons expliquent sans doute le succès au long cours de cet ouvrage devenu référence, fort d’une diffusion dans de nombreux pays et de multiples traductions. Sa popularité est certifiée autant par les références qu’y font les auteurs de traités postérieurs que parce qu’il continue d’être diffusé et réédité au long du XIXe siècle, en langue française ou étrangère, alors que des méthodes beaucoup plus complètes ont paru, en phase avec l’évolution de la technique instrumentale, à l’instar de L’Art du Violon de Baillot (1834).
Cécile KUBIK
26/01/2018