Gérard Grisey: Écrits
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En 2008 Guy Lelong, en collaboration avec Anne-Marie Réby, publie la première anthologie des écrits significatifs de Gérard Grisey (Écrits ou l’invention de la musique spectrale, MF, 2008, 378 pages) dans laquelle sont réunis l’ensemble des textes publiés du vivant du compositeur mais aussi de nombreux inédits retrouvés notamment dans les archives du compositeur qui sont aujourd’hui conservées au sein de la fondation Paul Sacher à Bâle. Dix ans plus tard paraît une nouvelle édition augmentée (Écrits, MF, 2018, 430 pages) : le sous-titre « ou l’invention de la musique spectrale » a été supprimé ainsi que le livret photo sur papier glacé mais en revanche un ensemble de lettres inédites envoyées à Jocelyne Grisey-Simon (avec qui le compositeur partagea sa vie entre 1966 et 1986), à l’acousticienne Michèle Castellengo et au musicologue Jean-Noël Van der Weid a été ajouté. Nous nous référerons par la suite à cette édition augmentée qui, comme la première, réunit les textes du compositeur selon six catégories : « Écrits sur ses principes de composition », « Écrits sur ses œuvres », « Autres écrits et textes de circonstance », « Entretiens », « Lettres » et « Pages de journal ».
Dans la première partie – « Écrits sur ses principes de composition » – figurent par ordre chronologique sept textes théoriques. À l’exception du court texte « Vous avez dit spectral ? » (1998) qui porte un regard rétrospectif sur l’aventure spectrale, les autres reviennent sur les fondements et caractéristiques de sa pensée musicale et ont tous été rédigés durant la période de composition du cycle Les Espaces acoustiques (1974-1985). Le premier texte – « Devenir du son » – est tiré d’une conférence donnée en 1978 lors de la 29ème édition des Internationale Ferienkurse für Neue Musik à Darmstadt. Paru originellement en langue allemande, ce texte d’essence théorique révèle certains aspects essentiels de son approche de la composition : analyse acoustique des sons, processus de mutation d’un son en un autre, temps contracté vs. temps dilaté… Les deux textes suivants – « À propos de la synthèse instrumentale », et « Réflexion sur le temps », rédigés un an plus tard, sont deux inédits retrouvés dans les archives du compositeur. Ces trois textes relativement courts (entre 3 et 6 pages) préparent les trois suivants – « La musique : le devenir des sons », « Tempus ex machina (réflexions d’un compositeur sur le temps musical) » et « Structuration des timbres dans la musique instrumentale » – qui sont bien plus conséquents et souvent enrichis d’extraits de partitions. Il existe naturellement de nombreuses redondances tant au niveau des titres que du contenu entre ces deux séries de textes si bien que le lecteur non soucieux de scruter dans les moindres détails l’évolution du positionnement du compositeur pourra se référer directement aux trois derniers textes qui sont, pour l’éditeur, les « manifestes théoriques les plus développés de sa pensée musicale » (p. 391). Sans se noyer dans des considérations trop techniques, le compositeur révèle dans ces textes les soubassements théoriques et esthétiques de son langage et donne quelques secrets de fabrique de ses œuvres : apport des recherches en acoustique et psychoacoustique, manières de structurer le temps musical, mise en place de processus de transformation graduelle, dialogue entre les univers microphonique et macrophonique, développement de la synthèse instrumentale…
La deuxième partie de l’ouvrage – « Écrits sur ses œuvres » – rassemble les notes de programme rédigées par le compositeur à l’occasion de la création de ses œuvres. Les Espaces acoustiques (1974-1985) servent de période étalon, l’éditeur ayant choisi de présenter les pièces de manière chronologique à partir de Charmes (1969), en les regroupant suivant trois grandes périodes selon qu’elles ont été composées avant, pendant et après le cycle emblématique. Ces notes de programme sont par nature relativement concises mais le compositeur y donne néanmoins des informations très précises pour appréhender, dans les grandes lignes, la construction et la forme de ses pièces.
La troisième partie – « Autres écrits et textes de circonstance » – regroupe des témoignages et réflexions du compositeur dont beaucoup sont inédits et malheureusement non datés. L’éditeur a choisi de les réunir arbitrairement selon quatre catégories : « Questions sur la musique », « Avec l’Itinéraire », « Problèmes d’institution », « Sur trois compositeurs et un peintre ». La nature de ces textes demeure très hétéroclite, tant dans la forme que dans le contenu. Certains s’apparentent à des pages de son journal intime, d’autres traitent, en vrac, de l’importance du son, de la place des percussions et des technologies dans la musique, des recherches en acoustique, du collectif L’Itinéraire… La personnalité de Grisey transparaît à travers ces différentes réflexions qui soulignent notamment son intérêt pour les musiques extra-européennes ou pour l’acoustique musicale mais aussi son regard critique envers les institutions, l’enseignement de la composition ou la musicologie.
Dans la quatrième partie figurent des entretiens qui, à l’exception du premier – un inédit daté de 1974 – ont été réalisés à partir de 1985 et publiés dans différentes revues spécialisées alors que la notoriété de Grisey commençait enfin à être installée. Une multitude de sujets sont abordés au fil de ces neuf entretiens: le compositeur évoque ses années de formation en soulignant l’influence d’Olivier Messiaen, György Ligeti et Karlheinz Stockhausen dans la construction de son langage ; il revient sur son expérience états-unienne lorsqu’il enseignait la composition à Berkeley au début des années 1980 ; il décrit les principes généraux qui définissent l’attitude spectrale ou se concentre sur certaines de ses œuvres comme Le Noir de l’étoile (1989-1990) ou L’Icône paradoxale (1992-1994). Ces entretiens forment ainsi un parfait complément aux textes théoriques et notes de programme et permettent d’apprécier pleinement les fondements et l’évolution de son langage sans jamais entrer dans des considérations trop techniques.
Les cinquième et sixième parties de l’ouvrage regroupent d’une part des lettres envoyées par Grisey à ses proches et d’autre part des fragments de son journal intime. Les passages relevant de la sphère privée et ne traitant aucunement de la musique n’ont bien évidemment pas été reproduits. Ces textes mettent en lumière la personnalité de Grisey et le monde musical de son époque. Le premier extrait qui est issu de son journal date de 1963. On découvre la nature mystique du jeune compositeur qui était un fervent croyant (« J’ai écouté Idoménée de Mozart et je suis pris tout à coup d’un désir fou de me replonger dans la prière et dans le silence », journal, 15 janvier 1973, p. 365). On prend conscience du labeur que représentait la composition d’une œuvre pour cet ascète et de l’émerveillement et du soulagement lorsqu’il achevait une partition (« Après des mois de travail, après de longues semaines acharnées et sans relâche, je termine le 3e mouvement de Vortex Temporum. Quel bonheur ! Je n’ai jamais autant travaillé. Jamais aussi le temps ne m’a pris ainsi à la gorge », journal, Printemps 1996, p. 373). L’ajout dans la nouvelle édition de nombreux fragments de lettres envoyées à Jocelyne Grisey-Simon entre 1966 et 1984 est précieux pour retracer les cheminements et méandres dans sa carrière professionnelle avant qu’il ne soit nommé professeur au CNSMD de Paris.
À la fin de cet ouvrage figure un important dossier compilant une courte biographie du compositeur, le catalogue de ses œuvres, la liste des enregistrements commerciaux ainsi qu’une bibliographie sommaire réunissant les principaux livres, articles, films ou émissions radio qui lui ont été consacrés. C’est aussi dans ce dossier que l’éditeur a choisi d’insérer les notices et compléments d’information relatifs aux différents textes présentés dans cet ouvrage. Cet appareil critique mentionne non seulement la provenance des textes mais ajoute des précisions qui auraient pu servir d’introduction pour chaque partie du livre et figurer sinon en notes de bas de page afin de minimiser les allers et retours entre ce dossier et les textes eux-mêmes. Il est dommage aussi que l’éditeur n’ait pas ajouté un index des œuvres en plus de l’index des noms car celui-ci aurait permis de se repérer plus aisément au sein des différents écrits du compositeur. Cette anthologie n’en demeure pas moins un ouvrage tout aussi essentiel qu’indispensable pour tous musiciens, chercheurs et mélomanes soucieux de comprendre les fondements et enjeux de la pensée musicale de Gérard Grisey et, à travers elle, de l’attitude spectrale qui a tant marqué l’histoire de la musique du XXe siècle et qui continue encore d’influencer de nouvelles générations de compositeurs.
François-Xavier FÉRON
22/10/2019
genre | AutreEdition scientifique de textesEntretienLettreNote de programme |
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éditeur | MF éditions |
années d'édition | 2018 |
pages | 430 |
édité par | Guy Lelong avec la collaboration d'Anne-Marie Réby |
langue originale | français |
repris de | |
compositeur |